- A mama, sa ! Danse maman ! Danse ! Sinon ta dent ne va pas repousser hein !
Je venais de perdre une dent. Encore. Mémé disait que lorsqu’on perdait une dent, on devait la lancer au-dessus de la toiture. Loin. Très loin. Ensuite, on devait chanter des louanges à Dieu et danser… danser.. jusqu’à l’épuisement… afin qu’Il vous donne une nouvelle dent toute belle et toute neuve.
Ce jour-là, maman était assise sur les escaliers de sa villa et dégustait des tranches d’ananas. Tonton Vieux, assis près d’elle, lui en arrachait les plus grosses…
- Ouaaaaa Vieux ! Pourquoi tu es nuisible comme ça ? Je t’ai donné trois gros ananas à toi tout seul ! Trois ! Tu ne voulais même pas que je m’approche ! Tu as fui avec ça dans ta chambre, tu es allé manger avec Dany ! Maintenant que je suce mon seul ananas, tu viens encore arracher !
- Aka ! Maf ! Tu vas faire quoi ? jusqu’à tu parles même fort hein ! Tu t’amuses, j’arrache même tout ton plateau là, je pars avec ! Tu n’es pas fière qu’une future star comme moi, Kotto Bass, je suis là, assis au sol avec toi pour manger tes « kankan » ananas ci ? qui t’a même dit que l’aînée pleure ? wé ! A londè pôn mbémbé wuma yèsè pôn ! Si je te vole, tu supportes madame ! Tous les ananas que tu as suçés sur la terre-ci avant que je ne naisse, ça ne te suffit pas ?! vois sa tête comme la hache ! Didon donne ça ici ! weu !
- Tsuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip !
Depuis sa natte sur sa véranda, et sans prêter attention aux chamailleries de tonton Vieux et maman, Mémé chantait en frappant des mains, et m’accompagnait dans l’ésèwè tâtonnant que je déployais à corps perdu dans la grande cour.
Il fallait chanter fort, très fort pour que Dieu m’entende, et qu’Il m’envoie une nouvelle dent. Un éclair rapide traversa les nuages dans le ciel. Le visage de mémé s’illumina.
- Ahan ! Angel yé ngéa ! Voilà les anges qui descendent déjà pour ramasser ta dent et l’emporter au ciel hein… chante hein ! Sinon Jésus ne va rien envoyer ! Yésu angamènè senga doï longo ! Jésus doit entendre ta voix ! Sa pè ésèwè bwam ! Frappe bien le sol avec tes pieds !
Minyangadu mangamènè o kwala Tétè nà wa nu nan ! A lomé wa songa nipèpè na pèlèpèlè! La terre doit crier à Dieu que voici Dany ici, envoie-lui vite une nouvelle dent ! sa ! danse !
J’étais très heureuse ce jour-là, et je riais aux éclats. L’histoire de King Joss qu’elle m’avait raconté la veille, et de ses incorrigibles fils, galopait encore dans mon esprit…
● Doo La Makongo dit King Joss. ( période de règne:1751-1792)
- Hein mémé ? Donc c’est Doo La Makongo qu’on appelait Joss? Pourquoi on l’appelait comme ça ?
… Doo La Makongo fut surnommé « King Georges » par les explorateurs Anglais fascinés par son opulence, sa richesse et son pouvoir. Il était le roi le plus puissant de la côte atlantique ouest-africaine. Grand chasseur d’éléphant, il pratiquait le commerce de l’ivoire. Comme tous ses prédécesseurs donc, il était un illustre commerçant, grand chasseur et intrépide marin. Les Anglais en séjour sur les rives du fleuve Wouri, supplièrent le puissant Roi Doo La Makongo de les protéger contre d’autres rois de la côte, qui les pourchassaient et voulaient enterrer vivants ces visages pâles, comme sacrifices rituels lors des cérémonies de deuils des membres des familles royales. Le Roi Doo La Makongo pris de pitié, leur donna asile et protection. Son pouvoir était tel qu’il était craint de toute la Côte Ouest-africaine. Subjugués et émerveillés, les Anglais lui donnèrent alors le nom de leur propre roi : King Georges III.
- Heinhein mémé c’est Georges noor ?! Ekié! Pourquoi toi tu dis alors Joss ?
— Mouf ! Tes ancêtres n’ont pas su bien prononcer « Georges » ! Ba kwadi ndé na « Joss » ! Ils ont prononcé Joss, King Joss ! Di dina di tiki pè ndé nika na tè na wèngè ! Et ce nom est resté ainsi jusqu’à ce jour!
- Ahaaaan ! Donc quand j’entends souvent « taxi : lycée Joss ! » Joss là c’est lui hein ?
- Eééé ! Oui ! Quand tu entends « le Plateau Joss », « le lycée Joss », mô nù ! C’est lui ! C’est Doo La Makongo, King Joss !
- Yééééééééé !
King Joss vit ainsi son nom être attribué au lieu que les Bassa avaient à l’époque donné à son ancêtre Ewalè : le Plateau Joss (Bali, Bonanjo, Bonadibong etc.).
Le Roi Doo La Makongo dit King Joss engendra plusieurs enfants parmi lesquels, Makongo II, Njo a Doo (alias Priso), Bèllè a Doo (King Bell 1er), Same I, Same II, Dumbè, Dibondo, Epombo, Dipa I, Makubè, Dipa II, Kampesi, etc.
A l’époque du King Joss, aucun traité n’avait encore été signé avec les Européens qui, entretenaient simplement avec les Duala des relations commerciales. Les explorateurs étaient des patrons de firmes qui séjournaient dans les ports le long des côtes, pendant toute la durée des transactions financières. Comme toute collectivité en sol étranger, ils s’étaient donc constitués en une sorte de syndicat ou encore d’association, pour la meilleure défense de leurs intérêts vis-à-vis des Duala qui, à cette époque, étaient de loin le parti le plus fort. J’explique simplement pour qu’on puisse comprendre. A la tête donc de ce syndicat ou association, il y avait un Consul. C’est-à-dire que, la notion de consulat s’impose en raison de leur présence permanente sur la terre des mbéatoè. Ce Consul jouera un rôle déterminant dans la guerre de succession qui opposera Njo a Doo ( alias Priso) et son frère cadet Bèllè a Doo ( Père des BonaBèllè devenu Bonabèri)…
- Njo a Doo était très dur de caractère, très honnête aussi, mais il était trop violent et trop autoritaire.
- Hein mémé ?
- Oui, il était très fort et très grand de taille. Il frappait ses frères jusqu’au sang. Bato bèsè ba ta ndé ba bwanè mô mbongo, tout le monde avait peur de lui, y compris son propre père Doo La Makongo.
- HEIN ??? je relâchai ma cuillère dans mon délicieux bol de tapioca aux arachides bien grillés et à l’eau bien fraiche comme je l’aimais. Yéééé mémé… donc le type-là tapait tout le monde ?
- Oui. On le surnommait Priso.
- Pourquoi ? parce qu’il tapait les gens ?
- Njo accompagnait son père à chaque transaction avec les Blancs et les Blancs Anglais l’ont donc surnommé « Prince Doo »…
- Heinhein…
- Ndé bisô di si bèn letta la R o bwambo bwasù bwa Duala…. Mais dans notre langue Duala, la lettre R n’existe pas…
- Ahaaan…
- Eéééé. Oui. C’est pourquoi les Duala l’appelaient « Piinso » au lieu de « Prince Doo ». Maintenant, en entendant les Duala appeler Njo « Piinso », les Blancs à leur tour ne prononçaient pas comme il fallait, ils disaient plutôt « Priso ». Et tous les explorateurs commerçants qui venaient sur nos côtes, Hollandais, Portugais, Anglais, etc. disaient « Priso ».
- Ahaaaaaan… c’est lui le Père des Bonapriso hein ?
- Oui, les BonaPriso sont ses descendants.
- Ahaaan… donc Rudolf est de Bonapriso alors…
Mémé cessa un instant de passer son gros peigne chauffant dans ses cheveux et sourit. J’aimais contempler la fumée qui s’échappait alors de ses cheveux soudain devenus lisses… et cette odeur familière de brûlé de cheveu, de mi-chaud mi-humide, je l’ai encore dans l’esprit… ainsi que ce fameux peigne défrisant qui me terrifiait…
- Kèm a mama ! Rudolf a titi mun’a Bonapiso. Rudolf ne vient pas de Bonapriso, ni même de Bonanjo comme beaucoup le pensent.
- Hein ?!
- Huhum… Rudolf vient de Bonabèri…
Né vers 1750 et décédé vers 1810, Njo a Doo alias Priso était en réalité le second fils de Doo La Makongo. Après la mort de son frère aîné Makongo ma Doo (que Njo tua de sang-froid, selon les Anciens…), Njo a Doo alias Priso devint l’aîné de toute la fratrie.
- Ahan mémé ! Donc c’est lui qui a succédé à son père le Roi Doo la Makongo ! Donc Rudolf vient de lui…
- Kèm ! Non ! Doo La Makongo préférait son fils cadet Bèllè…
- Hein ? Pourquoi ?
- Wa mô senga ndé ékwadi…. Calme-toi et écoute l’histoire… je t’ai dit que le Roi Doo la Makongo était un grand chasseur d’éléphant et qu’il vendait l’ivoire nooor ?
- Heinhein…
… Un jour, le Roi Doo La Makongo alla vendre son ivoire dans un petit village Pongo, appelé Mulanga, situé sur la rive gauche du fleuve Mongo. Il y rencontra une jolie fille de Mongo, appelée Mandonè à Lobè, et lui demanda sa main. Mais Mandonè était déjà fiancée à un homme du nom de Eyumè à Mbonjo, qui était bien trop pauvre pour payer sa dot. Mandonè tomba aussi amoureuse de Doo la Makongo qui, faisant fi de la Tradition, agit à son aise exactement comme son aïeul Ewalè. Mandonè tomba enceinte.
Voyant sa grossesse bientôt arriver à son terme, Madonè envoya chercher Doo la Makongo, qui revint à Mulanga prendre sa femme pour l’emmener avec lui à Douala.
Le père de Mandonè demanda à Doo La Makongo de nommer l’enfant Ebellè s’il était un garçon, du nom du frère de Mandonè, qui s’appelait Ebellè a Lobè. Il demanda aussi à Doo La Makongo de remettre l’enfant à sa famille maternelle quand il serait grand. Doo La Makongo accepta ces conditions, mais il ne les respecta pas.
Au lieu d’Ebéllè, il transforma le nom du garçon en Bèllè en supprimant le préfixe « E », et fit envoyer une dot au père de Mandonè, qu’il épousa sans autre forme de procès à Douala. Même si elle avait pour la famille de Mandonè un goût amer, cette dot imposée donnait au Roi Doo La Makongo toute légitimité sur la paternité de l’enfant, selon la tradition Duala.
- Mais mémé le père de Mandonè devait être content noor ? il a eu la dot !
- A ta ndé à pula muna ! Il voulait son petit-fils ! et Doo La Makongo lui, ne pouvait pas laisser son enfant grandir loin de lui, et devenir un Pongo !
- Ahaaaaan !
- Eéééé ! Oui ! C’est pourquoi il leur a envoyé la dot, pour avoir toute la paternité sur son fils, selon la Tradition.
A wusa tè jésèlè mun’a ooo kè Rudolf a si wusa bè Tét’ékombo ! S’il laissait son fils devenir un Pongo, alors Rudolf Douala Manga Bell n’allait jamais être ce grand roi qu’il était destiné à être, puisque cet enfant devait être l’aieul de Rudolf… - Ahaaaaaan… mémé ooo.. mémé ooo… peut-être que hein, les Oracles avaient soufflé à Doo la Makongo qu’un grand Roi allait naitre de son enfant là hein… tu vois noor…
- Eééééé ! Oui ! Les rois consultaient toujours les oracles ! Té bè ndé na kumba pè é ta o tén… même s’il y avait en Doo La Makongo l’orgeuil légitime d’un roi, ba tétè bâna bèn mwayé mundènè… les Anciens racontent que les Oracles avaient vu une grande lumière dans la descendance de Mandonè… et plus tard, on a compris que cette lumière c’était Rudolf…
- Heinhein…
- C’est peut-être pour tout cela que Doo La Makongo préférait son fils Bèllè Ba Doo…
- Ahaaaan..
- O nyola nika pè ndé Piinso a puli nô o bwa mô… Piinso était très jaloux, parce que leur père Doo La Makongo préférait Bèllè… et il cherchait à tuer son frère…
… Selon les Historiens, la haine de Priso a Doo envers son frère Bèllè ba Doo, était alimentée de plusieurs aspects :
1) Leur concurrence dans les transactions; commerciales auprès des commerçants européens ;
2) Leur rivalité pour la succession au trône de leur père ;
3) Le penchant affiché de Doo La Makongo pour son fils Bèllè ;
4) La perfidie sournoise de Bèllè vis-à-vis de Priso.
Priso a Doo avait l’habitude d’opérer des descentes nocturnes dans les bateaux des commerçants européens et, assassinant certains d’entre eux, il emportait alors les marchandises de son choix. Priso était une terreur tant pour les siens que pour les Européens. Le Roi Doo La Makongo était obligé à chaque fois, de payer les dettes correspondant aux marchandises volées.
Exaspérés de ses agissements, ses frères firent une réunion secrète où ils demandèrent tous à Bèllè le préféré de leur père, de faire tomber Priso dans un piège. Bèllè alla rendre compte de cette réunion à son père Doo La Makongo qui lui instruisit alors:
« Ala ! ndé ba baïsè tè wa dina longo, kwala ndé nà wa ndé wé Piinso a Doo ». « Vas-y, mais si les Blancs t’arrêtent, ne donne pas ton vrai nom, donne-leur le nom de Piinso a Doo ».
Ainsi, Bèllè alla une nuit à un bateau qui portait le nom de « Kata », extorquer les marchandises aux Européens. Pris au piège comme l’avait prévu son père Doo, car Bèllè n’avait pas la redoutable force physique de Piinso, les Européens lui demandèrent son nom et il dit « my name is Piinso a Doo ».
Les commerçants européens se contentèrent de noter minutieusement son nom dans leurs carnets. Certainement, pour reporter la situation à leur Consul afin qu’il en parle au Roi Doo La Makongo… qui donna son autorisation pour une petite punition à son fils Piinso…
Quelques jours plus tard, de retour de sa pêche en eaux profondes, Priso apprend qu’un nouveau bateau dénommé « Kata » a jeté l’ancre dans le royaume de son père. De son pas ferme et autoritaire, il y va donc naturellement bastonner tous ses occupants, et arracher leurs marchandises. Les historiens racontent que Priso avait une force exceptionnelle, à tel point que les Duala le disaient possédé par les divinités de l’eau…
Priso arrive et comprend rapidement qu’il y a anguille sous roche… en effet, tous les commerçants européens tombent à qui mieux mieux sur lui, le saisissent et le clouent par l’oreille à un mât du bateau « Kata ». Devant un Priso stupéfait, ils expliquent alors qu’il est déjà venu extorquer leurs marchandises il y a quelques jours, et qu’il n’a toujours pas payé leurs dettes. Il restera donc là, suspendu, tant que le Roi Doo La Makongo n’aura pas reversé leur argent.
Le plus jeune des matelots, le capitaine en second en charge de le surveiller, et qui a une grande sympathie pour ce géant rebelle de la côte ouest-africaine dont il entend les aventures, via les explorateurs qui vont et viennent et notent tout dans leurs carnets… fasciné, car il a enfin sous les yeux le magnifique spécimen qui lui semblait jusqu’ici comme une légende inventée par les marins de son pays…ce jeune matelot Anglais donc, chuchotera à Priso, que quelqu’un est venu une nuit voler leurs marchandises, en donnant son nom. Priso comprend qu’il ne peut s’agir que de ce satané Bèllè.
Précisons que ces Duala étaient parfaitement polyglotes car, à force de commercer avec tous ces Européens, ils parlaient parfaitement Hollandais, Portugais, Espagnol, Anglais etc.
Mis au courant, le Roi Doo la Makongo ne s’empressa pas de faire libérer son fils… il le laissa poireauter pendant quelques jours puis, pris de compassion, il ordonna qu’on le relâche. Fou de colère et blessé dans son amour propre par une telle humiliation auprès de vulgaires commerçants européens, lui un Prince ! Priso jura de tuer Bèllè ! Il apostropha son père en ces termes, dont le proverbe qu’il a lui-même créé dans sa colère, est encore aujourd’hui employé régulièrement dans la langue Duala :
« A Piinso a Doo La Makongo ! moto a mènè lambo o nin was’a wei, ndé a si bwé nyolo é ! »
« Piinso fils de Doo La Makongo ! L’Homme voit ( ou subit) des choses terribles sur cette terre sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
- Ahaaaaaaan !!!! Méméééé !!! Maman dit ça tout le temps ici quand je déchire ses rideaux ! Même toi ! Même tonton Vieux !!! Euye !!! J’entends ça partout ! On dit ça tout le temps !!! Moto a mènè lambo a si bwé nyolo éééé ! yééééé ! Donc c’est Priso qui avait dit ça ?
Mémé pouffa de rire en tirant vers nous, la bassine de graines de pistache, pour qu’on les décortique… j’adorais décortiquer les pistaches avec mémé les soirs, sur sa vieille natte… à sa véranda… tandis que le vent généreux de Deido allait et venait…ah si vous n’avez jamais décortiqué les graines de pistache avec votre grand-mère tandis qu’elle murmure à votre âme, alors…. Je ne sais pas… il y a là un délice d’enfance qui ne se raconte pas…
- Eéééé ! Piinso ndé a kwadi nika ! mot’a Duala a tè ndé mu musia kè lâ buka mô ! kè épamè, a si bi pè njé o bola tô njé o kwala ! a tè ndé nà ayo ! moto a mènè lambo a si bwé nyolo é !
Oui ! c’est Piinso qui avait dit ce proverbe ! Le Duala le dit aujourd’hui quand il est si choqué par une situation ou un drame, qu’il ne sait quoi faire ! il s’écrie alors : « mon Dieu ! l’homme voit des choses terribles sur cette terre, sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
… « C’est toi qui m’as fait ça ! A moi ton fils ! Tu as préféré protéger ce perfide de Bèllè ! Mais je vais le tuer ! Ce voyou ! Je vais le tuer ! Na bwa nun mun’à Mongo wèngè !!! Je tuerai ce fils du fleuve Mongo ce soir même !»…
Pris de panique, le Roi Doo La Makongo qui savait très bien que Piinso disait ce qu’il faisait, et faisait ce qu’il disait, fit voyager en secret dans une pirogue son épouse Mandonè et leurs enfants parmi lesquels Bèllè (déjà père de son premier garçon Bébé à Bèllè), pour la rive droite du fleuve Wouri, chez Samè II ( l’un des fils de Makongo qui s’y était établit… Père des Bonasama…).
Plus tard, Bèllè en visite chez le chef Bassa Dissomé la Mbwèmè, demanda la main de sa fille la princesse Bassa Ebassi Dissomé. Le chef Bassa sur la demande de Bèllè, lui donna de grandes parcelles de terre. Bèllè sur le conseil de son père le Roi Doo La Makongo, versa aux Bassa une dot si grandiose que la nouvelle parvint au Plateau Joss, et sur toute la Côte. Par cette alliance, les Bassa assuraient la protection de Bèllè que Piinso cherchait toujours à éliminer. Piinso savait que même si sa force était redoutable, il ne pouvait à lui tout seul, décimer tout un village Bassa, dont chaque fils était au moins aussi robuste que lui.
Par ailleurs, fou de jalousie car convaincu que c’était leur père Doo La Makongo qui avait payé cette dot faramineuse, Piinso entreprit de tuer son père. Pour sauver sa vie, Doo la Makongo fut obligé de se retirer dans la forêt où il se cacha pendant trois jours, tandis que les notables essayaient de ramener Piinso à la raison… ceci n’est pas une légende. C’est votre Histoire.
- Mama ééééééé ! le type là c’était un fou hein mémé ! Il voulait même tuer son père ?!
- Ah ! Piinso ?! wa o si bi pôn nja nu ta Piinso ! Mais toi tu ne sais pas qui était Priso ! Quand on prononçait son nom, c’était la débandade totale ! Tout le monde fuyait ! C’est à cause de son caractère là aussi que son père Doo la Makongo ne le voulait pas comme successeur…
Le Roi Doo La Makongo écrivit en secret une lettre de commandement qu’il remit à l’une de ses épouses, celle en qui il avait le plus confiance. Elle s’appelait Mandoungué Mandoumba. Il la lui remit deux jours avant sa mort. Nous sommes en 1792.
Avant, il avait fait promettre à son fils Bèllè que ce dernier viendrait lui succéder au trône, ou tout au moins, un des fils de Bèllè. Après les obsèques grandioses de Doo La Makongo, Piinso qui avait fait une trève de guerre pour le bon déroulement des obsèques, va s’enquérir de la lettre de commandement, et on lui dit alors que cette lettre a déjà été remise à son frère Bèllè.
Fou de colère, il se rendit néanmoins chez le Consul Anglais se faire reconnaitre comme successeur de Doo La Makongo, et donc, seul interlocuteur valable désormais, dans les transactions commerciales. Mais le Consul, lui demanda la lettre de commandement signée de son défunt père et Priso ne l’avait pas…
Allant chez le même Consul dans la nuit, par peur de son frère, Bèllè lui présenta la lettre de commandement dans laquelle Doo la Makongo le désignait comme son successeur au trône. Une réunion eut alors lieu la nuit même, à laquelle prirent part tous les notables et tous les capitaines des navires. Les écrits disent qu’il y avait au total 15 personnes à cette réunion.
Lors de cette réunion, les notables confirmèrent la lettre de commandement de Doo La Makongo, et les griefs ci-après furent soulevés contre Njo a Doo alias Priso:
- Comportement très sévère envers sa fratrie;
- Attaques répétées des Européens dans leurs navires et extorsion de leurs marchandises;
- Assasinat de 02 de ses frères : Makongo Ma Doo et Ngoundo a Doo;
- Tentative d’éliminer son frère Bèllè et même son père Doo La Makongo;
- Contenu de la lettre de commandement en faveur de Bèllè;
- Et selon le Dibambè la Sawa ( la Tradition), Priso appartenait au foyer de son oncle Ngangè à Makongo, parce que la mère de Priso fut acquise grâce au produit de la dot de la sœur utérine de Ngangè a Makongo. Selon le Dibambè, Priso n’appartenait donc pas au foyer de son père biologique Doo la Makongo, mais bel et bien au foyer de son oncle Ngangè a Makongo, partant… il ne pouvait prétendre à la succession de Doo La Makongo.
Reconnu par tous comme digne successeur de son père, le Prince Bèllè fut proclamé en 1792, « King Bell ». Toutefois, il ne se fit pas introniser. Il voulait ce trône pour son fils aîné Bébé a Bèllè … mais en 1792, Bébé a Bèllè qui est né vers 1774 n’avait que 18 ans… il est possible que Bèllè l’ait jugé pas encore assez mûr et ait entrepris de gérer les affaires courantes du royaume, tandis qu’il formait son fils à en prendre les rennes… ou aussi et surtout… l’ombre menaçante de Piinso qui n’avait pas dit son dernier mot rodait toujours et ferait tout pour récupérer le trône… ou aussi, d’autres frères de Bèllè estimaient qu’il était de leur droit de revendiquer ce trône… la mort d’un roi aussi puissant que Doo la Makongo fait toujours jaillir des fratricides sanglants…
Toujours est-il que ce n’est qu’en 1832 que Bébé a Bèllè, fils de Bèllè ba Doo la Makongo, fut intronisé comme successeur légitime de Doo La Makongo dit King Joss, dans la plus grande solennité et devint le fondateur de la Dynastie des Bell sous le patronyme de King Bell 1er.
- Mémé j’ai fini de danser. Regarde ! Le soleil se couche déjà… Dieu va venir la nuit alors me donner une nouvelle dent…? Hein mémé ?
- Eéééé ! Bon bulu mènè ! Oui! Cette nuit même , Il va planter une nouvelle graine ! Tu as bien chanté et bien dansé !
- Mémé ooo raconte moi alors la suite de l’histoire…
- Kèm ! O wodi ! Mba mènè pè na wodi… non ! Tu es fatiguée et moi aussi… kiyèlè ndé ! Demain, je te dirai la suite…
Na tondi kè wa kwala dina lao… à mama ba ta ndé ba bélè mô na nja ? kwala pètè dina lao… J’aime quand tu dis son nom… maman on l’appelait encore comment ? dis-moi son nom… - Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo.
(Rudolf Duala fils de Manga fils de Ndumbè fils de Lobè fils de Bébé fils de Bèlè de Doo de Makongo.) - Kwala dina lao… Kwala… Dis son Nom… Dis son nom…
Ce fut le 3e soir.
FIN EPISODE 3.
LIEN EPISODE 2: https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=464635525664890&id=100063553390926
N.B : Je me fonde, lis, et collecte les informations de plusieurs livres pour notre série littéraire sur Rudolph :
-« Le Ngondo,Assemblée traditionnelle du peuple Duala » de Maurice Doumbé Moulongo
- « Le pays Sawa, Ma passion » de Eric de Rosny Dibounjé
- « les Bonadoo La Makongo au sein de Sawa Douala » de Samuel Ngoyè Mukuri
- « le paradis tabou » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Douala Manga Bell, héros de la résistance douala » de Iwiyè kala Lobè - « Adolf Ngosso Din l’étoile des forces vives » du Dr jean Toto Moukouo
- « Maso ma ndala, révélations des vérités cachées » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Ngum’a jéméa, la foi inébranlable de Rudolf Dualla Manga Bell » de David Mbongo Eyombwan - Plusieurs articles et écrits de Kum’a Ndumbè III à moi envoyés par son fils Khéops à qui je dis grandement merci.
- Merci à Tété Mandjombé pour son soutien dans cette démarche.
- Merci à Ngueng y Yango pour son accompagnement.
- Merci à toi PNB pour les livres ô combien rarissimes que tu m’as donnés. Tu sais au moins que plus on m’en donne, plus j’en veux non… ? je n’ai pas fini de vider ta bibliothèque, i’m just getting started… (sourire).
- Merci à mémé, ma défunte grand-mère pour… pour… et pour…
A mama sa ! danse maman ! danse ! sinon ta dent ne va pas repousser hein !
Je venais de perdre une dent. Encore. Mémé disait que lorsqu’on perdait une dent, on devait la lancer au-dessus de la toiture. Loin. Très loin. Ensuite, on devait chanter des louanges à Dieu et danser, danser jusqu’à l’épuisement afin qu’Il vous donne une nouvelle dent toute belle et toute neuve. Ce jour-là, maman était assise sur les escaliers de sa villa et dégustait des tranches d’ananas. Tonton Vieux, assis près d’elle, lui en arrachait les plus grosses…
Ouaaaaa Vieux ! pourquoi tu es nuisible comme ça ? je t’ai donné trois gros ananas à toi tout seul ! trois ! tu ne voulais même pas que je m’approche ! tu as fui avec ça dans ta chambre, tu es allé manger avec Dany ! maintenant que je suce mon seul ananas, tu viens encore arracher !
Aka ! maf ! tu vas faire quoi ? jusqu’à tu parles même hein ! tu t’amuses j’arrache même tout ton plateau là, je pars avec ! tu n’es pas fière qu’une future star comme moi, Kotto Bass, je suis là, assis au sol avec toi pour manger tes kankan ananas ci ? qui t’a même dit que l’aînée pleure ? wé ! A londè pôn mbémbé wuma yèsè pôn ! Si je te vole tu supportes madame ! tous les ananas que tu as sucés sur la terre ci avant que je ne naisse, ça ne te suffit pas ?! vois sa tête comme la hache ! didon donne ça ici ! weu !
Tsuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip !
Depuis sa natte sur sa véranda, Mémé chantait en frappant des mains, et m’accompagnait dans l’ésèwè tâtonnant que je déployais à corps perdu dans la grande cour. Il fallait chanter fort, très fort pour que Dieu m’entende, et qu’Il m’envoie une nouvelle dent. Un éclair rapide traversa les nuages dans le ciel. Le visage de mémé s’illumina.
Ahan ! Angel yé ngéa ! Voilà les anges qui descendent déjà pour ramasser ta dent et l’emporter au ciel hein… chante hein ! sinon Jésus ne va rien envoyer ! Yésu angamènè senga doï longo ! Jésus doit entendre ta voix ! sa pè ésèwè bwam ! frappe bien le sol avec tes pieds ! minyangadu mangamènè o kwala tétè nà wa nu nan ! a lomé wa songa nipèpè na pèlèpèlè! la terre doit crier à Dieu que voici Dany ici, envoie-lui vite une nouvelle dent ! sa ! danse !
J’étais très heure ce jour-là et je riais aux éclats. L’histoire de King Joss qu’elle m’avait raconté la veille, et de ses incorrigibles fils, galopait encore dans mon esprit…
Doo La Makongo dit King Joss. ( période de règne:1751-1792)
Hein mémé ? Donc c’est Doo La Makongo qu’on appelait Joss? Pourquoi on l’appelait comme ça ?
… Doo La Makongo fut surnommé « King Georges » par les explorateurs Anglais fascinés par son opulence, sa richesse et son pouvoir. Il était le roi le plus puissant de la côte atlantique ouest-africaine. Grand chasseur d’éléphant, il pratiquait le commerce de l’ivoire. Comme tous ses prédécesseurs donc, il était un illustre commerçant, grand chasseur et intrépide marin. Les Anglais en séjour sur les rives du fleuve Wouri, supplièrent le puissant Roi Doo La Makongo de les protéger contre d’autres rois de la côte, qui les pourchassaient et voulaient enterrer vivants ces visages pâles, comme sacrifices rituels lors des cérémonies de deuils des membres des familles royales. Le Roi Doo La Makongo pris de pitié, leur donna asile et protection. Son pouvoir était tel qu’il était craint de toute la Côte Ouest-africaine. Subjugués et émerveillés, les Anglais lui donnèrent alors le nom de leur propre roi : King Georges III.
Heinhein mémé c’est Georges noor ?! pourquoi toi tu dis alors Joss ?
Mouf ! tes ancêtres n’ont pas su bien prononcer « Georges » ! ba kwadi ndé na « Joss » ! ils ont prononcé Joss, King Joss ! di dina di tiki pè ndé nika na tè na wèngè ! et ce nom est resté ainsi jusqu’aujourd’hui !
Ahaaaan ! donc quand j’entends souvent « taxi : lycée Joss ! » Joss là c’est lui hein ?
Eééé ! oui ! quand tu entends « le Plateau Joss », « le lycée Joss », mô nù ! c’est lui ! c’est Doo La Makongo, King Joss !
Yééééééééé !
King Joss vit ainsi son nom être attribué au lieu que les Bassa avaient à l’époque donné à son ancêtre Ewalè : le Plateau Joss (Bali, Bonanjo, Bonadibong etc.)
Le Roi Doo La Makongo dit King Joss engendra plusieurs enfants parmi lesquels, Makongo II, Njo a Doo (alias Priso), Bèllè a Doo (King Bell 1er), Same I, Same II, Dumbè, Dibondo, Epombo, Dipa I, Makubè, Dipa II, Kampesi, etc.
A l’époque du King Joss, aucun traité n’était encore signé avec les Européens qui, entretenaient simplement avec les Duala des relations commerciales. Les explorateurs étaient des patrons de firmes qui séjournaient dans les ports le long des côtes, pendant toute la durée des transactions financières. Comme toute collectivité en sol étranger, ils s’étaient donc constitués en une sorte de syndicat ou encore d’association, pour la meilleure défense de leurs intérêts vis-à-vis des Duala qui, à cette époque, étaient de loin le parti le plus fort. J’explique simplement pour qu’on puisse comprendre. A la tête donc de ce syndicat ou association, il y avait un Consul. C’est-à-dire que la notion de consulat s’impose en raison de leur présence permanente sur la terre des mbéatoè. Ce consul jouera un rôle déterminant dans la guerre de succession qui opposera Njo a Doo ( alias Priso) et son frère cadet Bèllè a Doo ( Père des BonaBèllè devenu Bonabèri)…
Njo a Doo était très dur de caractère, très honnête mais il était aussi trop violent et trop autoritaire.
Hein mémé ?
Oui, il était très fort et très grand de taille. Il frappait ses frères jusqu’au sang. Bato bèsè ba ta ndé ba bwanè mô mbongo, tout le monde avait peur de lui, y compris son propre père Doo La Makongo.
HEIN ??? je relâchai ma cuillère dans mon délicieux bol de tapioca aux arachides bien grillées et à l’eau bien fraiche comme je l’aimais. Yéééé mémé… donc le type-là tapait tout le monde ?
Oui. On le surnommait Priso.
Pourquoi ? parce qu’il tapait les gens ?
Njo accompagnait son père à chaque transaction avec les Blancs et les Blancs Anglais l’ont donc surnommé « Prince Doo »…
Heinhein…
Ndé bisô di si bèn letta la R o bwambo bwasù bwa Duala…. Mais dans notre langue Duala, la lettre R n’existe pas…
Ahaaan…
Eéééé. Oui. C’est pourquoi les Duala l’appelaient « Piinso » au lieu de « Prince Doo ». Maintenant, en entendant les Duala appeler Njo « Piinso », les Blancs à leur tour ne prononçaient pas comme il fallait, ils disaient plutôt « Priso ». Et tous les explorateurs commerçants qui venaient sur nos côtes, Holandais, Portugais, Anglais, etc. disaient « Priso ».
Ahaaaaaan… c’est lui le Père des Bonapriso hein ?
Oui, les BonaPriso sont ses descendants
Ahaaan… donc Rudolf est de Bonapriso alors…
Mémé s’arrêta un instant de passer son gros peigne chauffant dans ses cheveux et sourit. J’aimais contempler la fumée qui s’échappait alors de ses cheveux soudain devenus lisses… et cette odeur familière de brûlé de cheveu, je l’ai encore dans l’esprit…
Kèm a mama ! Rudolf a titi mun’a Bonapiso. Rudolf ne vient pas de Bonapriso, ni même de Bonanjo comme beaucoup le pensent.
Hein ?!
Huhum… Rudolf vient de Bonabèri…
Né vers 1750 et décédé vers 1810, Njo a Doo alias Priso était en réalité le second fils de Doo La Makongo. Après la mort de son frère aîné Makongo ma Doo (que Njo tua de sang-froid, selon les Anciens…), Njo a Doo alias Priso devint l’aîné de toute la fratrie.
Ahan mémé ! donc c’est lui qui a succédé à son père le Roi Doo la Makongo ! donc Rudolf vient de lui…
Kèm ! non ! Doo La Makongo préférait son fils cadet Bèllè…
Hein ? pourquoi ?
Wa mô senga ndé ékwadi…. Calme-toi et écoute l’histoire… je t’ai dit que le Roi Doo la Makongo était un grand chasseur d’éléphant et qu’il vendait l’ivoire nooor ?
Heinhein…
… Un jour, le Roi Doo La Makongo alla vendre son ivoire dans un petit village Pongo, appelé Mulanga, situé sur la rive gauche du fleuve Mongo. Il y rencontra une jolie fille de Mongo, appelée Mandonè à Lobè, et lui demanda sa main. Mais Mandonè était déjà fiancée à un homme du nom de Eyumè à Mbonjo, qui était bien trop pauvre pour payer sa dot. Mandonè tomba aussi amoureuse de Doo la Makongo qui, faisant fi de la Tradition, agit à son aise exactement comme son aïeul Ewalè. Mandonè tomba enceinte. Voyant sa grossesse bientôt arriver à son terme, Madonè envoya chercher Doo la Makongo, qui revint à Mulanga prendre sa femme pour l’emmener avec lui à Douala.
Le père de Mandonè demanda à Doo La Makongo de nommer l’enfant Ebellè s’il était un garçon, du nom du frère de Mandonè, qui s’appelait Ebellè a Lobè. Il demanda aussi à Doo La Makongo de remettre l’enfant à sa famille maternelle quand il serait grand. Doo La Makongo accepta ces conditions, mais il ne les respecta pas. Au lieu d’Ebéllè, il transforma le nom du garçon en Bèllè en supprimant le préfixe « E », et fit envoyer une dot au père de Mandonè, qu’il épousa sans autre forme de procès à Douala. Même si elle avait pour la famille de Mandonè un goût amer, cette dot imposée donnait au Roi Doo La Makongo toute légitimité sur la paternité de l’enfant, selon la tradition Duala.
Mais mémé le père de Mandonè devait être cpntent noor ? il a eu la dot !
A ta ndé à pula muna ! il voulait le petit-fils ! et Doo La Makongo lui, ne pouvait pas laisser son enfant grandir loin de lui, et devenir un Pongo !
Ahaaaaan !
Eéééé ! Oui ! C’est pourquoi il leur a envoyé la dot, pour avoir toute la paternité sur son fils, selon la Tradition. A wusa tè jésèlè mun’a ooo kè Rudolf a si wusa bè Tét’ékombo ! s’il laissait son fils devenir un Pongo, alors Rudolf Douala Manga Bell n’allait jamais être ce grand roi qu’il était destiné à être, puisque cet enfant devait être l’aieul de Rudolf…
Ahaaaaaan… mémé ooo.. mémé ooo… peut-être que hein, les Oracles avaient soufflé à Doo la Makongo qu’un grand Roi allait naitre de son enfant là hein… tu vois noor…
Eééééé ! oui ! les rois consultaient toujours les oracles ! té bè ndé na kumba pè é ta o tén… même s’il y avait en Doo La Makongo l’orgeuil légitime d’un roi, ba tétè bâna bèn mwayé mundènè… les Anciens racontent que les Oracles avaient vu une grande lumière dans la descendance de Mandonè… et plus tard, on a compris que cette lumière c’était Rudolf…
Heinhein…
C’est peut-être pour tout cela que Doo La Makongo préférait son fils Bèllè Ba Doo…
Ahaaaan..
-o nyola nika pè ndé Piinso a puli nô o bwa mô… Piinso était très jaloux, parce que leur père Doo La Makongo préférait Bèllè… et il cherchait à tuer son frère…
Selon les Historiens, la haine de Priso a Doo envers son frère Bèllè ba Doo, était alimentée de plusieurs aspects :
Leur concurrence dans les transactions commerciales auprès des commerçants européens ;
Leur rivalité pour la succession au trône de leur père ;
Le penchant affiché de Doo La Makongo pour son fils Bèllè ;
La perfidie sournoise de Bèllè vis-à-vis de Priso ;
Priso a Doo avait l’habitude d’opérer des descentes nocturnes dans les bateaux des commerçants européens et, assassinant certains d’entre eux, il emportait alors les marchandises de son choix. Priso était une terreur tant pour les siens que pour les Européens. Le Roi Doo La Makongo était obligé à chaque fois, de payer les dettes correspondant aux marchandises volées. Exaspérés de ses agissements, ses frères firent une réunion secrète où ils demandèrent tous à Bèllè le préféré de leur père, de faire tomber Priso dans un piège. Bèllè alla rendre compte de cette réunion à son père Doo La Makongo qui lui instruisit : « Ala ! ndé ba baïsè tè wa dina lpongo, kwala nà wa ndé wé Piinso a Doo », « Vas-y, mais si les Blancs t’arrêtent, ne donne pas ton vrai nom, donne le nom de Piinso a Doo ».
Ainsi, Bèllè alla une nuit à un bateau qui portait le nom de « Kata », extorquer les marchandises aux Européens. Pris au piège comme l’avait prévu son père Doo, car Bèllè n’avait pas la redoutable force physique de Piinso, les Européens lui demandèrent son nom et il dit « je m’appelle Piinso a Doo ». Les commerçants européens se contentèrent de noter minutieusement son nom dans leurs carnets. Certainement, pour reporter la situation à leur Consul afin qu’il en parle au Roi Doo La Makongo… qui donna son autorisation pour une petite punition à son fils Piinso…
Quelques jours plus tard, de retour de sa pêche en eaux profondes, Priso apprend qu’un nouveau bateau dénommé « Kata » a jeté l’ancre dans le royaume de son père. De son pas ferme et autoritaire, il y va donc bastonner tous ses occupants et arracher leurs marchandises. Les historiens racontent que Priso avait une force exceptionnelle, à tel point que les Duala le disaient possédé par les divinités de l’eau… Priso arrive et comprend rapidement qu’il y a anguille sous roche… tous les commerçants européens tombent sur lui, le saisissent et le clouent par l’oreille à un mât du bateau « Kata ». Devant un Priso stupéfait, ils expliquent qu’il est venu extorquer leurs marchandises il y a quelques jours et qu’il n’a toujours payé leurs dettes. Il restera donc là, suspendu tant que le Roi Doo La Makongo n’aura pas reversé leur argent. Le plus jeune des matelots, le capitaine en second en charge de le surveiller, et qui a une grande sympathie pour ce géant rebelle de la côte ouest-africaine dont il connait les aventures, via les explorateurs qui vont et viennent et notent tout dans leurs carnets… fasciné car il a enfin sous les yeux le magnifique spécimen qui lui semblait jusqu’ici comme une légende inventée par les marins de son pays…ce jeune matelot donc, chuchotera à Priso, que quelqu’un est venu une nuit voler leurs marchandises en donnant son nom. Priso comprend qu’il ne peut s’agir que de ce satané Bèllè. Précision que ces Duala étaient parfaitement polyglotes car, à force de commercer avec tous ces Européens, ils parlaient parfaitement Hollandais, Portugais, Espagnol, Anglais etc.
Mis au courant, le Roi Doo la Makongo ne s’empressa pas de faire libérer son fils… il le laissa poireauter pendant quelques jours puis, pris de compassion, il ordonna qu’on le relâche. Fou de colère et blessé dans son amour propre par une telle humiliation auprès de vulgaires commerçants européens, lui un Prince ! Priso jura de tuer Bèllè ! il apostropha son père en ces termes, dont le proverbe qu’il a créé est encore aujourd’hui employé régulièrement dans la langue Duala :
« A Piinso a Doo La Makongo ! moto a mènè lambo o nin was’a wei, ndé a si bwé nyolo é ! » « Piinso fils de Doo La Makongo ! L’Homme voit ( ou subit) des choses terribles sur cette terre sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
Ahaaaaaaan !!!! mémé !!! maman dit ça tout le temps ! même toi ! même tonton Vieux !!! euye !!! j’entends ça partout ! on dit ça tout le temps !!! moto a mènè lambo a si bwé nyolo éééé ! yééééé ! donc c’est Priso qui avait dit ça ?
Mémé pouffa de rire en tirant vers nous, la bassine de graines de pistache, pour qu’on les décortique… j’adorais décortiquer les pistaches avec mémé les soirs, sur sa vieille natte à sa véranda, tandis que le vent généreux de Deido allait et venait…ah si vous n’avez jamais décortiqué les graines de pistache avec votre grand-mère tandis qu’elle murmure à votre âme, alors…. Je ne sais pas… il y a là un délice d’enfance qui ne se raconte pas…
Eéééé ! Piinso ndé a kwadi nika ! mot’a Duala a tè ndé mu musia kè lâ buka mô ! kè épamè, a si bi pè njé o bola tô njé o kwala ! a tè ndé nà ayo ! moto a mènè lambo a si bwé nyolo é !
Oui ! c’est Piinso qui avait dit ce proverbe ! le Duala le dit aujourd’hui quand il est si choqué par une situation ou un drame, qu’il ne sait quoi faire ! il s’écrie alors : « mon Dieu ! l’homme voit des choses terribles sur cette terre, sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
… « c’est toi qui m’as fait ça ! A moi ton fils ! tu as préféré protégé ce perfide de Bèllè ! mais je vais le tuer ! ce voyou ! je vais le tuer ! na bwa nu mun’à Mongo wèngè !!! je tuerai ce fils du fleuve Mongo ce soir même !»… Pris de panique, le roi Doo La Makongo qui savait très bien que Piinso disait ce qu’il faisait et faisait ce qu’il disait, fit voyager en secret dans une pirogue son épouse Mandonè et leurs enfants parmi lesquels Bèllè (déjà père de premier garçon Bébé à Bèllè), pour la rive droite du fleuve Wouri, chez Samè II ( l’un des fils de Makongo qui s’y était établit… Père des Bonasama…).
Plus tard, Bèllè en visite chez le chef Bassa Dissomé la Mbwèmè, demanda la main de sa fille la princesse Bassa Ebassi Dissomé. Le chef Bassa sur la demande de Bèllè, lui donna de grandes parcelles de terre. Bèllè sur le conseil de son père le Roi Doo La Makongo, versa aux Bassa une dot si grandiose que la nouvelle parvint au Plateau Joss, et sur toute la Côte. Par cette alliance, les Bassa assuraient la protection de Bèllè que Piinso cherchait toujours à éliminer. Piinso savait que même si sa force était redoutable, il ne pouvait à lui tout seul décimer tout un village Bassa, dont chaque fils était au moins aussi robuste que lui.
Par ailleurs, fou de jalousie car convaincu que c’était leur père Doo La Makongo qui avait payé cette dot faramineuse, Piinso entreprit de tuer son père. Pour sauver sa vie, Doo la Makongo fut obligé de se retirer dans la forêt où il se cacha pendant trois jours, tandis que les notables essayaient de ramener Piinso à la raison…
Mama ééééééé ! le type là c’était un fou hein mémé ! il voulait même tuer son père ?!
Ah ! Piinso ?! wa o si bi pôn nja nu ta Piinso ! mais toi tu ne sais pas qui était Priso ! quand on prononçait son nom, c’était la débandade totale ! tout le monde fuyait ! C’est à cause de son caractère là aussi que son père Doo la Makongo ne le voulait pas comme successuer…
Le Roi Doo La Makongo écrivit en secret une lettre de commandement qu’il remit à l’une de ses épouses, celle en qui il avait le plus confiance. Elle s’appelait Mandoungué Mandoumba. Il la lui remit deux jours avant sa mort. Nous sommes en 1792. Avant, il avait fait promettre à son fils Bèllè que ce dernier viendrait lui succéder au trône, ou tout au moins, un des fils de celui-ci. Après les obsèques grandioses de Doo La Makongo, Piinso qui avait fait une trève de guerre pour le bon déroulement des obsèques, s’enquit de la lettre de commandement, et on lui dit alors que cette lettre avait déjà été remise à son frère Bèllè. Fou de colère, il se rendit chez le Consul Anglais se faire reconnaitre comme successeur de Doo La Makongo, et donc, seul interlocuteur valable désormais, dans les transactions commerciales. Mais le Consul, lui demanda la lettre de commandement signée de son défunt père et Priso ne l’avait pas…
Allant chez le même Consul dans la nuit, par peur de son frère, Bèllè lui présenta la lettre de commandement dans laquelle Doo la Makongo le désignait comme son successeur au trône. Une réunion eut alors lieu la nuit même, à laquelle prirent part tous les notables et tous les capitaines des navires. Les écrits disent qu’il y avait au total 15 personnes à cette réunion. Lors de cette réunion, les notables confirmèrent la lettre de commandement de Doo La Makongo, et les griefs ci-après furent soulevés contre Njo a Doo alias Priso:
Comportement très sévère envers sa fratrie
Attaques répétées des Européens dans leurs navires et extorsion de leurs marchandises
Assasinat de 02 de ses frères : Makongo Ma Doo et Ngoundo a Doo
Tentative d’éliminer son frère Bèllè et même son père Doo La Makongo
Contenu de la lettre de commandement en faveur de Bèllè
Et selon le Dibambè la Sawa ( la Tradition), Priso appartenait au foyer de son oncle Ngangè à Makongo, parce que la mère de Priso fut acquise grâce au produit de la dot de la sœur utérine de Ngangè a Makongo. Selon le Dibambè, Priso n’appartenait donc pas au foyer de son père biologique Doo la Makongo, mais bel et bien au foyer de son oncle Ngangè a Makongo, partant… il ne pouvait prétende à la succession de Doo La Makongo.
Reconnu par tous comme digne successeur de son père, le Prince Bèllè fut proclamé en 1792, « King Bell ». Toutefois, il ne se fit pas introniser. Il voulait ce trône pour son fils aîné Bébé a Bèllè … mais en 1792, Bébé a Bèllè qui est né vers 1774 n’avait que 18 ans… il est possible que Bèllè l’ait jugé pas encore assez mûr et ait entrepris de gérer les affaires courantes du royaume, tandis qu’il formait son fils à en prendre les rennes… ou aussi et surtout… l’ombre menaçante de Piinso qui n’avait pas dit son dernier mot rodait toujours et ferait tout pour récupérer le trône… ou aussi d’autres frères de Bèllè qui estimaient qu’il était de leur droit de revendiquer ce trône… la mort d’un roi aussi puissant que Doo la Makongo fait toujours jaillir des fratricides sanglants.
Toujours est-il que ce n’est qu’en 1832 que Bébé a Bèllè, fils de Bèllè ba Doo la Makongo, fut intronisé comme successeur légitime de Doo La Makongo dit King Joss, dans la plus grande solennité et devint le fondateur de la Dynastie des Bell sous le patronyme King Bell 1er.
Mémé j’ai fini de danser. Regarde ! le soleil se couche déjà… Dieu va venir la nuit alors me donner une nouvelle dent mémé ?
Eéééé ! bon bulu mènè ! cette nuit même , Il va planter une nouvelle graine ! tu as bien chanté et bien dansé !
Mémé ooo raconte moi alors la suite de l’histoire…
Kèm ! o wodi !mba mènè pè na wodi… non ! tu es fatiguée et moi aussi… kiyèlè ndé ! demain je te dirai la suite… na tondi kè wa kwala dina lao… à mama ba ta ndé ba bélè mô na nja ? kwala pètè dina lao… J’aime quand tu dis son nom… maman on l’appelait encore comment ? dis-moi son nom…
Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo.
(Rudolf Duala fils de Manga fils de Ndumbè fils de Lobè fils de Bébé fils de Bèlè de Doo de Makongo.)
Kwala dina lao… Kwala… Dis son Nom… Dis son nom…
FIN EPISODE 3.
N.B : Je me fonde, lis, et collecte les informations de plusieurs livres pour notre série littéraire sur Rudolph :
-« Le Ngondo,Assemblée traditionnelle du peuple Duala » de Maurice Doumbé Moulongo
- « Le pays Sawa, Ma passion » de Eric de Rosny Dibounjé
- « les Bonadoo La Makongo au sein de Sawa Douala » de Samuel Ngoyè Mukuri
- « le paradis tabou » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Douala Manga Bell, héros de la résistance douala » de Iwiyè kala Lobè - « Adolf Ngosso Din l’étoile des forces vives » du Dr jean Toto Moukouo
- « Maso ma ndala, révélations des vérités cachées » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Ngum’a jéméa, la foi inébranlable de Rudolf Dualla Manga Bell » de David Mbongo Eyombwan - Plusieurs articles et écrits de Kum’a Ndumbè III à moi envoyés par son fils Khéops à qui je dis grandement merci.
- Merci à Tété Mandjombé pour son soutien dans cette démarche.
- Merci à Ngueng y Yango pour son accompagnement.
- Merci à toi PNB pour les livres ô combien rarissimes que tu m’as donnés. Tu sais au moins que plus on m’en donne, plus j’en veux non… ? je n’ai pas fini de vider ta bibliothèque, i’m just getting started… (sourire).
- Merci à mémé, ma défunte grand-mère pour… pour… et pour…
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