» Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé », mon retour de lecture du dernier roman de Marc Alexandre Oho Bambé.

 

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Souvenez-vous que je vous parle uniquement des livres que j’ai aimés…
De grâce, souvenez-vous en toujours…
Et souvenez-vous encore que je lis lentement. Très lentement. Et par trois fois. Le même livre.
Trois fois. Toujours. Trois fois. A chaque fois.
J’ai surement acheté votre livre à votre insu… et je vous lis surement à pages de tortue.
De grâce, souvenez-vous en toujours…
Je grignote. Je suis une petite fille. Et je grignote. Lentement. Trois fois. Pendant des mois.
Un livre n’est jamais le même à chaque fois. Et un livre est toujours le même à la fois. Que celui qui est assez initié pour comprendre, comprenne.
Quand j’aime un livre, je le trimbale partout. Le pauvre. Partout. Dans la cuisine. Devant mon plat de ndolè ou d’ékôki. En me servant du vin. Dans mon sac à main. Mon véhicule. Sur mon lit. Mon tapis. C’est simple, ils sont très sales les livres que j’aime. Les pauvres.
C’est dingue, mais ce jour-là, je n‘avais aucune envie de lire. Et je mourais d’envie de lire.
Ne cherchez pas à me comprendre, je n’y arrive pas moi-même. Parfois, je vois Dieu garer son vieux 4X4 à Douala Bar pour y acheter une « 1664 » bien glacée et la boire à la trompette, tellement je Lui donne la migraine. Je vous promets.
Pourtant c’est exactement cela : ce jour- là, je n’avais aucune envie de lire et je mourais d’envie de lire. En fait, j’avais envie de lire sans avoir l’impression de lire.
Je ne voulais pas d’une histoire architecturée de manière magistralement romanesque. Non. J’étais épuisée. En proie aux gémissements de ma propre Muse et je voulais une pause. Je voulais lire. Mais je ne voulais pas lire. A Douala Bar, je L’ai alors vu en commander une 3e. Pauvre Dieu.
Agacée, j’ai jeté un regard furieux sur les livres disposés en colonnes sur la table du salon… et le titre m’a happée. J’aime les beaux titres. J’ai une sensibilité pour le Beau. Le souci du Beau.
« Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé ». Je le prends. Ça faisait un bon bout que je l’avais acheté chez Bel Ange. L’ogre qui m’envoyait chaque mois des factures de livres que j’avais rarement choisis : « madame ! viens payer ! tu as les livres ici ! je ne demande pas ton avis ! tu vas les lire ! viens verser mon argent ! ». Elle me l’avait recommandé avec insistance « prends ça ! Tu es poétesse! Tu vas aimer ! »
« Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé ». J’ai contemplé le titre. Longtemps. J’ai souri. Je l’aimais.
J’ai ouvert le livre. « Dans cette histoire tout est vrai, j’ai tout inventé » … J’ai souri. Encore. J’aimais les esprits rebelles.
« J’ai découvert que mon père était encore en vie. Le jour de sa mort », j’ai souri. Un sourire plus large. J’avais trouvé ce que je cherchais : lire sans avoir l’impression de lire. Lire en flottant.
A Douala Bar, le Mec a fait un ouf de soulagement. La chipie voudrait surement la pluie maintenant. Facile à exaucer. C’était la saison.
Jaromil joue du saxo. Føu de jazz, il vit chaque jour comme s’il mourrait le lendemain. Jusqu’au bout. A l’extrême. Métis, il n’a jamais connu son père. Sa mère, une Blanche, n’en parle jamais. Cette absence narrée avec une légèreté qui en dévoile pourtant l’abîme, le jette corps et âme perdus dans les bras du jazz. Telle une fatalité génétique. Le père de son père jouait aussi du saxo. Mais Jaromil ne le sait pas. Pas encore. Avec le jazz, Jaromil aura deux autres amours véritables : sa fille Indira et sa femme Maisha. Mais ces 02 amours ne lui suffisent pas. Ils ne comblent pas le gouffre. Jaromil parcourt le monde avec son groupe de jazz et boit jusqu’à la lie toutes les passions… les femmes, comme la drøgue. Et puis un jour, débarquent comme cela dans son courrier, des cassettes audios, des lettres, et la photo d’un homme qui lui ressemble trait pour trait …
« J’ai tremblé à ta naissance. Peut-être trembleras-tu à ma mørt. Il faut trembler pour ressentir la vie. Vraiment. La vie qui vient, la vie qui est passée. La vie, simplement. Incertaine, tellement. »
Dans un style cocassement singulier, ne respectant aucune structure classique du roman, dans une liberté à fleur de peau et une quête solitaire tant du bonheur que d’une identité, l’écrivain livre et se livre dans ce livre qui est à la fois, un Manifeste d’Amour de Jaromil envers Indira, et un Plaidoyer de Liberté de l’écrivain envers l’Humanité : « souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé ».
Marc Alexandre Oho Bambe livre des partitions de jazz… spontanées… telles les improvisations d’un musicien sur scène… qui oublie tout… qui s’oublie… les yeux fermés, pour jouer et souffler du saxo à corps et âme perdus. On saute du coq à l’âne ici. Mais rien n’est hors de sa place, rien n’est en désordre, rien n’est disproportionné. Ce n’est pas du libertinage. C’est la liberté qui gémit. Analystes-Pharisiens littéraires pompeux de leur connaissance…passez.
Ici, c’est l’Art. Et l’Art ne fait comprendre Sa Beauté qu’aux esprits libres.
Permettez-moi de l’écrire : Marc Alexandre écrit comme on fait l’amøur. Voilà. Je l’ai dit. Ouf.
C’est cela, la description la plus juste de son style.
Marc Alexandre Oho Bambé écrit comme on fait l’amøur. Sans calcul. Sans business plan. Sans préméditation de cris ou de caresses. Sans planification de budget. Seul l’instant compte. Seul ETRE compte.
L’ørgasme n’est pas le but. Le but est simplement cette communion là! A l’instant…! Magique…! Alors, l’ørgasme vient naturellement car alors, on aura été…!
Dans l’univers de Marc Alexandre, tout réside là : ETRE. Il y a une urgence ici.
Oui, il y a une urgence, certes moulée dans un vase poétique mais bel et bien là. « Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé ».
Il y a une urgence ici. Dans cette écriture slammée sur un tempo de jazz… un peu comme lorsqu’on tape qu’on tapote sur sa cuisse en chantant, pour ne pas perdre le rythme…
Dans cette écriture suggérée… oui c’est cela, l’adjectif qui m’échappait… « suggérée »… une écriture humble d’elle-même… une écriture à contre-jour… sans l’air d’y toucher… sans l’air même d’écrire, mais qui vous kidnappe… l’entrée par effraction a été si habile que vous n’avez rien vu venir. Une écriture « suggérée » qui n’impose ni le message qu’elle transmet, ni le style avec lequel elle le chante…
Ici, on EST et on « suggère » d’ETRE.
Être à la fois prose et poésie. Dans une même phrase, un unique paragraphe. Et refuser de s’entendre dire : « c’est du roman, retire ta poésie ! » Bel Ange avait raison. « Tu vas aimer ! » qu’elle m’avait assuré.
Être. Être ce que j’ai baptisé depuis toujours « des jetés-de-textes ». Sans ordre apparent. Mais logiques pourtant.
Plus que le jazz à l’âme, Jaromil a le gouffre à l’âme. Alors, il parcourt désespérément le monde, pour le remplir. Alors il fuit désespérément le sommeil parce qu’il refuse de s’y laisser mourir. Alors il aime pour oublier enfin de souffrir. Alors, il se shoote de drogue… pour ne plus craindre de mourir.
A l’école primaire Notre-Dame de Bonadibong, il y avait souvent dans la cour de recré, cette gamine qui regardait les autres prendre la peine de dessiner sur le sable, le tableau du « pousse-pion ». Elle ne disait rien.
Puis, vous commenciez à jouer. A aucun moment, elle ne disait qu’elle voulait jouer. Vous poussiez votre vieux noyau de mangue de case en case. Soudain, sans crier gare, elle s’approchait et effacait de ses pieds quelques lignes du tableau… elle voulait jouer, mais elle n’aimait pas les règles. Et elle jouait très bien, à l’aveuglette, dans son tableau handicapé de la moitié de ses lignes. Cette gamine là c’est Marc Alexandre Oho Bambe, qui livre un roman d’une beauté singulière, et qui me donne la foi qu’en Littérature, garder sa singularité n’empêche pas de danser avec les étoiles.
« Souviens-toi de ne pas mourir
Sans avoir aimé
Souviens-toi de ne pas partir
Sans avoir été
Souviens-toi de toi, de moi, de nous
Souviens-toi de tout
Papa qui t’aime ».
Et vous, souvenez-vous que je vous parle uniquement des livres que j’ai aimés…
De grâce, souvenez-vous en toujours…
Et un livre… on mesure parfois à quel point on l’a aimé… au regret qu’on a de l’avoir achevé.
Ce jour-là, je mourais d’envie de lire, sans avoir l’impression de lire. Et je sais à présent pourquoi le Mec de Douala Bar à sa 3e « 1664 », m’a suggéré Marc Alexandre Oho Bambé.
Vous avez deviné pourquoi ? c’est parce que Marc Alexandre écrit… sans donner l’impression d’écrire.
Comme j’aime à le dire… l’inattendu est parfois la belle des promesses. Et ce roman est inattendu. Ce roman est Beau.🌹

Analyse du roman  » De purs hommes » de Mohamed Mbougar Sarr

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💖🌹 Mon expérience de lecture du roman  » De purs hommes » de Mohamed Mbougar Sarr.
 » On l’a tué, puis on a refusé que je l’enterre. La rumeur était passée par là. Je n’avais pas d’argent pour le mettre à la morgue. Je voulais l’enterrer tout de suite. L’Imam a refusé. Il avait entendu la rumeur. Je n’avais pas le choix. Je n’avais personne. Je lui ai donné seule le bain mortuaire. J’ai lavé mon fils mort. Le lendemain, le cadavre commençait à puer. Il faisait chaud. Le corps enflait. L’odeur de la mort. L’odeur de mon fils mort. J’ai dormi avec lui, avec son cadavre, dans la même pièce, ici même. Il était étendu sur cette natte, exactement là où vous êtes.
… Oui, il était là… Personne ne voulait l’enterrer. On le tuait une seconde fois. Deux jours ont passé. Le cadavre était toujours là. Il puait… les vers… les mouches… tout ça dans cette chambre ici.  »
Ndéné est un professeur de littérature, issu d’un milieu religieux strict et conventionnnel dont il tente tant bien que mal de fissurer les chaines; il mène une vie qui aurait été totalement sans épices, sans les ébats torrides avec la sublime Rama, qui aime autant les hommes que les femmes. Librement et dans tabou.
Lors d’une nuit de plaisir, Rama lui montre alors une vidéo virale sur la toile. Dans un cimetière, une foule en furie profane une tombe. Le corps en est extirpé sans ménagement. Foulé aux pieds. C’est un « góor’jigéen ». Un « homme-femme ». Un hømøsexuel. Il ne mérite pas de reposer en paix… dans un cimetière… au milieu de croyants ayant vécu dignement. C’est un apatride jusque dans l’au-delà.
Par cette vidéo aussi violente que fugace, le lecteur plonge alors dans une société rigidement établie sur un principe simple, clair, à ne jamais éluder,  » flouter », ni  » quiproquer », pour soi ou pour les autres: votre s*x*alité.
Car la religion est claire: les « hommes-femmes » méritent la mort. L’extermination. Alors on est scruté, zoomé,  » écran-capturé », le moindre fait et non-fait compte. Le moindre geste, la moindre apathie est interprétée.
A partir du moment où Ndéné, le professeur de littérature ose juger  » stupide » l’interdiction du ministère de tutelle, d’enseigner Verlaine parce qu’il était un hømøs*el… Ndéné devient subitement dangereux. Un virus à exterminer. Une maladie virale à sonder. Un flou, une zone d’ombre même pour son propre père. Un apatride.
Mbougar a une écriture mâle. Sauvage. Primitive. S*x*elle. Virile. Erøtique. Libidineuse. Epileptique.
Et c’est ce dernier trait qui me frappe le plus dans l’écriture de Mbougar. Mbougar a une écriture épileptique.
Comment vous l’expliquer…? Une sorte de saillie incontrôlable qui traverse le corps sans relâche de part en part… des saillies compulsives… une sorte de malédiction à écrire… qui se fout pas mal de votre Morale, votre Foi, votre confort politico-sociétal… qui se fout même d’être condamnée à l’exil… une saillie en-sauvagée, dont les coups épileptico-sex*els vous traquent sans relâche dans cette quête ô combien éternelle: la Quête Humaine.
Oui. La Quête Humaine. Prenez une pause et relisez-moi bien. La Quête Humaine.
Il y a ici, pour moi, 03 personnages principaux.
1) Amadou. Le mort profané. Il hante Ndéné. Il l’incite à cette quête. Qui es-tu Ndéné? Que serais-tu…?
L’apatride, du fond de l’Abîme, appelle Ndéné à l’exil. L’exil urgent de se définir. L’exil urgent de se regarder dans le Miroir. « QUOI » es-tu donc Ndéné?
2) La Solitude. Elle est omni-présente. Omni-émotionnelle. Omni-sociétale. Omni-identitaire. Omni-s*x*elle. Omni-Humaine. Les Imams qui du haut de leurs prêches, appellent au meurtre public des « hommes-femmes », sont aussi solitaires que les hommes-femmes qui se camouflent dans la nuit.
Le père de Ndéné qui le somme de répondre à l’urgente question sociétale » Ndéné es-tu un « homme-femme? », est aussi solitaire que son fils Ndéné, qui sort de la cour familiale en silence.
La mère d’Amadou, unique sympathisante publique de sa propre souffrance, est aussi solitaire que son fils là dans sa tombe.
3) La Rumeur. Le personnage le plus puissant de ce roman, tant son pouvoir et sa capacité de nuire et de détruire, se déploient épileptiquement à chaque page. Il suffit d’un soupir, d’une sympathie, d’un non-jugement pour que tout bascule. La Rumeur est une Lèpre. Et nul n’est à l’abri de la Lèpre.
Oui, la Quête est Humaine. Et Mbougar en est le pianiste maudit. Qui joue et danse sur les décombres malodorants qu’il orchestre et entasse.
Il faut déchirer le Rideau quitte à provoquer le Chaos! Mbougar est épileptique. Son art est incontrolable.  » In-camisolable ».
Il déchire le Rideau de la Bienséance. Prédateur, ses crocs ravagent tout.
Mbougar est vorace dans son écriture.
Il déchire le Rideau de la Sacro-Sainte Religion. Maudit, il brûle ses arcanes et empale sa carcasse. Essouflé, son corps dégoulinant de sueur et de sang, Mbougar fait face à la foule choquée, pétrifiée. Il la regarde bien en face. Debout. Sous le Soleil. Il lui murmure, la main pointant la carcasse empalée de la Religion: » ECCE HOMO » « VOICI L’HOMME ».
Mbougar est apatride dans son écriture.
Il déchire le Rideau lourd… si lourd… de la Convenance sociétale… et il en coud des Ailes… de fabuleuses Ailes aux hommes. Vous avez été assez courbés… en-courbés. Il est temps pour vous de vous envoler.
Mbougar est libre… liberticide… dans son écriture.
Car, en effet, la Quête ici est Humaine. Elle semble bien être l’unique qui en vaille la peine aux yeux de l’auteur: la Quête Humaine.
Ndéné est dans cette Quête. Qui est-il? « Quoi » est-il? Serait-il lui aussi un homme-femme…? Mais non… et s’il l’était…? Et même, pourquoi le  » serait-il » serait-il…?!
 » Qu’ils aillent tous au diable! » Ecrira Mbougar.
Dans cette haine, cettre traque meurtrière et même génocidaire envers les « hommes-femmes », la même Société n’en ferait-Elle pas au même moment… justement… le seul repli contre la Bêtise Humaine? Le Seul travestissement possible, dans une tentaive aussi cacophonique que désespérée d’exister…? l’unique moyen de protester contre la rigidité sociétale, politique et religieuse ambiante…? L’unique évidence simple de révolte?
Quand on cristalise autant un état, quand on  » égrégorise » autant un « Etre », un « Faire », un  » Aimer »… tel le serpent de bronze empalé, et qu’on hurle:  » n’y allez pas! Sinon on vous égorge! Et votre cadavre ambulant sans tombe est livré à la foule! »…
N’en fait-on pas justement le réflexe épileptique de tout désireux de liberté…?
L’épilepsie. Elle est partout on dirait… ah! L’épilepsie… l’épilepsie de haïr… l’épilepsie de se trouver soi-même… l’épilepsie d’écrire… l’épilepsie de lire.
L’épilepsie d’envoyer tout paître. L’épilepsie de se suicider pour enfin avoir le choix de VIVRE.
Ndéné murmurera:
 » La rumeur se rapproche. Je lui ouvre les bras comme à un frère. La lucidité… celle dont parlait Rama. La lucidité… la voilà peut-être. Encore quelques pas et elle m’aveuglera. J’ai fait mon choix. Tout le monde ici est prêt à tuer pour être un apôtre du Bien. Moi, je suis prêt à mourir pour être la seule figure encore possible du Mal. »
Et moi… j’ai fermé les yeux. 02 larmes silencieuses sanctionnaient ainsi ma 4e et ultime relecture.
J’imaginais… je voyais… j’imaginais Ndéné rejoignant Samba Awa le travesti, là-bas, sur le Chemin des Damnés… et sifflotant avec lui dans la Nuit… le coeur enfin léger d’ETRE… le coeur enfin léger vers les Etoiles.🌹💖

ANALYSES LITTÉRAIRES LE JOURNAL D’UN FOU…

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💖 Retour de lecture  » le journal d’un føu » d’Ahmed El Falah, publié en mars 2023 aux éditions Le Sélénite à Rabat. Donné à moi, pour lecture en exclusivité, par Legrandvidegrenier Cmr.
Né à l’actuel Afghanistan le 30 septembre 1207, et décédé à l’actuelle Turquie le 17 décembre 1273, Mawlana Djalâl ad-Dîn Rûmî est un poète, théologien, philosophe et mystique Persan qui a profondément influencé le Soufisme, au point d’être considéré comme l’un des grands maitres spirituels musulmans et appelé sous le titre de « Mawlana » signifiant « notre maître »… comme le titre « Rabbi » « Maître » donné au Christ par ses disciples.
Mawlana qui fut reconnu de son vivant comme un Saint, fréquentait les Juifs et les Chrétiens tout autant que les musulmans. Pour célébrer le 800ème anniversaire de sa naissance, l’Unesco a d’ailleurs proclamé l’année 2007 en son honneur.
Son œuvre principale, à savoir le « Masnavi », traditionnellement désigné comme « le Coran en Perse », constitue l’un des plus grands commentaires ésotériques du Coran et des hadiths (versets). Cette œuvre est considérée comme l’une des plus influentes du Soufisme. Le Soufisme désigne les pratiques ésotériques et mystiques de l’Islam visant la « purification de l’âme » en vue de se « rapprocher » de Dieu.
On parle ici d’une voie d’élévation spirituelle, un chemin initiatique de transformation intérieure, transcendant le formalisme des intégristes et autres tenants d’un islam rigoriste. Pratiqué généralement au sein d’une confrérie rassemblant des fidèles autour d’un maître spirituel, le Soufisme se veut le « cœur » de l’Islam.
Dans « le journal d’un føu », l’auteur Ahmed El Falah parle à Mawlana…
Mais il ne vous dit pas qui est Mawlana. Il n’y songe même pas. Et j’ai aimé cela. Si vous n’avez pas une certaine culture islamique, vous ne saurez pas qui est Mawlana. Et j’ai aimé cela.
Si vous n’êtes pas Marocain ou si vous ne vivez pas au Maroc, ou du moins encore, si vous ne vous intéressez pas à l’actualité de ce pays, vous ne saisirez rien des maux qu’il décrie. Et j’ai aimé cela.
« Le journal d’un føu » d’Ahmed El Falah est « unapologetically » endogène, tant sur le plan spirituel que sur le plan socio-politique.
« Unapologetically ». Sans vergogne. Ce point m’a frappée et j’y ai médité longuement… un livre qui se veut être lu du monde entier, mais qui demeure résolument endogène. Sans complexe. J’ai jeté un coup d’œil à Jasmine… Et j’ai aimé cela.
Il revient donc au lecteur Camerounais ou Français ou Togolais, peu importe, de faire ses propres recherches pour saisir le contexte de ce texte. Ce que j’ai entrepris de faire. J’aime qu’un écrivain enrichisse ma culture. J’ai adoré cela en lisant « le journal d’un føu ».
La discipline de l’écrivain en appelle à la discipline du lecteur. Si vous êtes un lecteur paresseux, qui veut simplement lire une belle histoire toute simple, sans trop chercher à cogiter ou à méditer… passez. Ahmed El Falah n’a pas écrit pour vous. Et cela, même si vous êtes Marocain. Car, le tableau qu’il dépeint est encore plus inconfortable pour qui comprend ses métaphores.
Ainsi, j’ai cherché qui était Mawlana…
Dans « le journal d’un føu », Ahmed El Falah parle donc à Mawlana…
En de courts textes d’une esthétique à la fois aérée et éthérée, il lui raconte le Maroc actuel… ses injustices, ses violences, ses beautés écorchées, ses larmes… son peuple qu’il ne voit plus, qu’il n’entend plus… son peuple jugé, pré-jugé, persécuté, muselé, abandonné à lui-même… tellement qu’il en devient føu… dans le journal d’un føu, au-delà de l’artiste, au-delà de l’écrivain, au-delà du paria jugé paria selon les stéréotypes sociétaux et religieux de sa socio-culture… c’est le citoyen marocain lui-même qui semble ainsi crier au Maître Mawlana…
« Mawlana, j’ai tout essayé, ça ne marche pas. Je me suis cherché, mais je ne me retrouve pas. Dans tous les endroits où je suis passé. Les librairies, les bars, les cafés. J’ai sorti tous les albums de famille. J’ai inspecté toutes les photos qu’on a prises de moi. J’ai demandé à toutes les personnes que je fréquente. Personne ne m’a vu. Il y en a même qui m’ont dit : « si on te voit, on t’appelle. Personne ne m’a appelé… est-ce une folie que de se chercher, Mawlana… ? »…
Comme une volonté inassouvie de liberté, de liberté d’être, mais à chaque fois « camisolée » par les dogmes tant religieux que socio-politiques. « … Est-ce une følie que de se chercher, Mawlana… ? »
Dans une beauté poétique magistrale, capturée en des clichés de scènes cinématographiques du Maroc d’aujourd’hui, Ahmed El Falah dessine le Marocain de ce siècle avec ses aspirations et même son physique et même ses amours… et même sa se*xua*lité… jugés non conformes par le Régime imposant caricaturé sous le Parlement à la fois en ses membres et en son majestueux bâtiment. Le Régime qui le pré-juge et le juge de fou, à tel point que le citoyen en est lui-même convaincu, mutilé et muselé qu’il est, au point de ne pouvoir confronter ses pensées qu’avec son propre reflet dans le miroir…
Alors dans cette følie, vers qui se tourner… ? qui peut l’écouter sans le juger ? qui peut voir ses nombreux avortements clandestins, ces nombreux bébés tu*és dont le sang crie dans les rigoles de la ville de Rabat ? parce que les jeunes mères mineures, soit viølées soit prøstituées par misère n’ont pas le choix face à une loi qui refuse de légaliser l’avørtement ? et qui en meurent dans des circonstances d’indigence et d’insanité intølérables… « entre 600 et 800 avørtements clandestins chaque jour » lirai-je dans mes recherches… qui peut aider le « føu » à se faire entendre du Parlement.. ? sinon Mawlana…
Ahmed El Falah ressuscite Mawlana et le promène dans Rabat… la capitale… la capitale avec les répressions san*glantes du peuple qui manifeste, qui gicle du sang sur les pavés, qui devient føu… alors qu’il essaie simplement de se faire entendre… qui peut aider le føu à se faire entendre du Parlement… ?
« … Tu es trop. Tu as tellement été. Et puis c’est quoi cette manie de toujours vouloir donner ton avis ? Est-ce qu’on le donne, nous ? on se contente d’aimer tout ce qu’on voit. On dit que tout est beau… ton authenticité nous a toujours insultés… c’est notre culture qui veut ça. »
« Ils ont choisi pour moi, Mawlana, ils ne m’ont rien demandé. Mon corps était couvert de sang. Je me suis amusé à comparer mes blessures. »
La puissance de l’écriture d’Ahmed El Falah réside dans sa capacité quasi naturelle et spontanée à mêler la Candeur au Chaos, des réflexes d’enfant à des traumas d’adulte. Ahmed El Falah poétise le chaos sans en atténuer la laideur… on dirait un jardinier qui l’air de rien construit des édifices et des murailles sur fond de bouquets de jasmins… avec une maitrise au mot près de la mise en scène cinématographique qu’il veut sciemment donner au rendu architectural. D’ailleurs, il est comédien, auteur et metteur en scène…
« … Rabat est si petite qu’il suffit de coller son oreille par terre pour entendre ses histoires. C’est comme ça que j’ai découvert que la femme de mon médecin n’était pas une femme. Que le garçon brun d’1m85 qui chaque matin me servait mon café, avec un sourire aussi radieux qu’une composition de Vivaldi, avait adopté un chat. Que ce même garçon de café était le fils caché de mon médecin. Et que sa femme, qui n’était pas une femme, était allergique aux poils de chat. On dit que les murs ont des oreilles. A Rabat ils parlent. »
Ahmed El Falah a un sans gêne totalement décomplexé à empiler, à enchâsser les uns aux autres, tel un petit garçon qui débite sans trop réfléchir, des faits sans aucun rapport immédiat entre eux, pour vous expliquer le puzzle socio-politique à la fin, tel un enfant qui réussit enfin à attacher ses lacets. Le jardinier, l’air de rien construit des édifices sur fond de bouquets de jasmins…
Mais qu’est-ce donc écrire ? si ce n’est architecturer, « pyramider », orchestrer… qu’est-ce donc écrire si ce n’est se soucier de la Beauté du rendu architectural… car l’écrivain, tel le sculpteur, ou le peintre ou le violoniste, est un artiste… il cisaille, il rabote, il re-moule, il rejoue les notes cent fois, il recherche l’harmonie, il détruit, il reconstruit… tel Daniel Alain Nsegbe repassant au crible et réexaminant cent fois chaque phrase de ses textes.
Qu’est-ce donc écrire ? si ce n’est mourir chaque soir et ressusciter tel le soleil à chaque aube, avec dans la tête une symphonie qui vous hante et qui ne vous quitte pas, qui vous investit l’esprit du droit tout-puissant que lui donne l’Univers, et dont vous seul pouvez écrire la partition… ? car pour moi, oui l’Ecriture est Son, l’Ecriture est Musique.
Ahmed El Falah est un compositeur et chef d’orchestre exceptionnel. Ahmed El Falah est rigoriste à la fois dans la préservation de la candeur de son art, qui fait sa poésie- musique, et dans la dégaine à qui mieux mieux du mal-être du peuple.
« Le silence m’a réveillé. Mon réveil n’avait pas sonné. La voisine du dessus n’avait pas fait les cent pas entre sa chambre et la salle de bain pour parfaire son maquillage. Les oiseaux n’avaient pas toqué à ma fenêtre pour que je remplisse leur mangeoire de graines. Je m’étais réveillé en sursaut. J’avais l’impression de mourir. Je n’ai pas envie de mourir avant de me retrouver, Mawlana.»
Ainsi pour dire, je n’ai pas envie de mourir pour me faire entendre, je n’ai pas envie de mourir pour qu’on me voie enfin… je n’ai pas envie de mourir pour enfin vivre en paix et heureux, tel que je suis… moi, le fou que le Gouvernement ne voit pas et n’entend pas. Sauve moi Mawlana…
A chaque orgasme littéraire du føu, orgasme à la fois libérateur et douloureux, à chaque pulsion sous forme d’un court texte, Mawlana le guide éternel et omniprésent, répond par un quatrain extrait d’un de ses poèmes, comme des hadiths soufistes en opposition avec l’islam extrémiste qui torturerait le citoyen føu… et tel un quatrain prémonitoire, Mawlana s’adressant au føu pour la toute première fois, lui dira :
« Frappe avec une pierre l’aiguière des paroles ignorantes,
Attache-toi à l’habit de ceux doués d’intelligence.
Ne reste pas un seul instant avec les ignorants :
Le miroir se rouille, quand on le met dans l’eau. »
T’écoutera-t-il, Mawlana…? Voici qu’il erre là-bas, dans les rues sans fin, chantant ton nom dans Rabat… te trouvera-t-il enfin, Mawlana…?
J’aime qu’un écrivain ait un univers propre à lui. Singulier. J’aime qu’un écrivain écrive comme personne d’autre.
Peu importe que son univers rentre dans les schémas conformes et conformistes d’une écriture dite classique ou conventionnelle, ou « éditable ». Rien à secouer. J’aime les hors-la-loi et les anticonformistes. La Beauté est parfois dans les aspérités. La Beauté est la Beauté, qu’on la trouve belle ou pas.
J’aime qu’un écrivain assume sa Muse, c’est-à-dire son univers, que celui-ci soit aimé, reconnu ou pas. Depuis petite, j’aime les gens debout sous le Soleil et sous la Lune. Les gens qui ne s’excusent pas d’ETRE. Basta.
J’aime qu’un écrivain vous happe dès la 1ère phrase : « Mawlana, j’ai tout essayé, ça ne marche pas. Je me suis cherché, mais je ne me retrouve pas. »
Avec Ahmed El Falah, on ne tourne pas en rond dans le salon, il vous traine directement dans la chambre, avec la cocasserie, l’incomplexe d’un enfant et la souffrance d’un adulte.
J’aime qu’un écrivain vous happe dès la 1ère phrase… et ne vous relâche plus jusqu’à la dernière. Un coup de poing dans la gueule.
Ahmed El Falah écrit comme j’aime.
Entièrement. Quitte à se brûler les ailes. Debout sous le soleil et sous la lune. Ne relâcher sa plume qu’à l’apogée de l’agonie. Offrir son bouquet sanglant de jasmins au public à la fois choqué et extasié… doit-on l’acclamer ou le faire périr… ? Ecrire pour ETRE. Ecrire avec le cœur de son cœur.
« A mun’am, tombwéa nà bébolo bongo, bato ba tôpi tè dina lôngô o bwindéa nà o bwindéa… kè o kèdi loba. Tô bunya o si ma wô pè. A Dany… yèkèîtè o longè lôngô, bola mèsè nà mèsè nà o kè Loba ! »
M’avait soufflé Mémé ce matin-là, en se penchant pour humer la poussière de la cour et prédire ainsi la météo de la journée…
« Mon enfant, si à travers tes œuvres, les hommes disent ton nom pour l’éternité… alors tu auras blessé Dieu. A jamais sur Sa peau, Il portera la marque de cette blessure. Dany… dans ta vie, fais tout ton possible pour blesser Dieu ! »
Doit-on l’acclamer ou le faire périr… ? Ecrire pour redevenir ce que l’on est. Ecrire pour reprendre à Dieu, un brin de Peau d’Eternité.
Qu’est-ce donc écrire Ray Ndébi … si ce n’est cela… ? 💖

NOTE DE LECTURE DU   » SOLEIL NOIR »

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💖… Ma note de lecture du  » soleil noir » d’Yvette Revellin, publié aux éditions Fondation AfricAvenir International.
« … Je viens de rêver que je tombais dans un puits, un puits sans fin… je tombais et ma chute n’avait pas de fin. Des cercles blancs se refermaient autour de moi… je tombais… je tombais… l’angoisse m’a réveillée et c’est là qu’elle est arrivée comme une voleuse, à pas de velours : l’absence… et les murs se sont mis à hurler : demain, il ne sera plus là… et les murs me menaçaient… et dans le noir de la nuit quelques mots brillaient : il ne sera plus là… l’absence a la couleur des ciels d’automne, gris, pesants, ces ciels qui ne semblent présager que de mauvaises nouvelles… nous avons souvent regardé le ciel ensemble ; mais c’était le ciel d’été, cet embrasement de couleurs qui nous faisait dire qu’il faut être peintre pour traduire la beauté d’un tel spectacle. Ce ciel-là a la couleur de notre amour. Il éclatait de joie, il éclatait de vie. L’absence n’a pas de couleur. L’absence a la couleur de la mort »
Il était une fois, une jeune Française qui fit la rencontre en mai 1968, d’un Prince venu du Cameroun. Une alchimie à la fois intellectuelle et spirituelle qui la marqua pour toute sa vie… « Je t’aime, Toi, Rivage inconnu, Rivage tant désiré, page à jamais inachevée, source de vie, source de mort ».
Yvette Revellin n’a aucune prétention d’être écrivaine et encore moins poétesse. Son écriture est dépouillée, mise à nuit, déshabillée de toute estime même d’écriture… et c’est cela qui séduit et désarçonne.
Yvette Revellin murmure; ce ne sont pas des crachats… aucune violence ici… ce sont des murmures intimes, intimistes… Yvette Revellin donc, murmure en ce que j’ai toujours baptisé des « jetés de textes », l’amour douloureux qui l’habite depuis 50 années. Cet amour qui l’a condamnée à ce qu’elle appelle « la grande vague noire », signifiant la solitude.
Elle fait beaucoup référence aux vagues, à la mer, la pluie, l’océan… pour imager peut-être la distance géographique entre les origines de son Prince et les siennes, pour imager aussi… surement… les obstacles que leur amour n’a pas su braver… pour imager aussi… précisément…la Côte, la culture endogène de son Prince. « Je crains de nous voir séparés un jour » lui dira-t-il sur un ton prémonitoire… mais Yvette était certaine que rien ne viendrait écorcher leur amour… leur amour trop solide… leur fusion intellectuelle puissante… du moins le croyait-elle… Mais le Prince avait une vue sur la Mer que la Française n’avait pas… il venait de l’Eau, alors Il en connaissait les abysses… Il savait. « Je crains… »
Ceci n’est pas un livre à lire avec la prétention de critiquer… « soleil noir » est un silence. Le silence d’une âme qui se sait habitée d’une solitude éternelle. Quand la Nuit frappe, on ne Lui hurle pas dessus, on n’exige pas alors le Soleil avec arrogance… on rentre dans sa case et on se couche. Silence. Il fait Nuit. Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit.
 » … Ponda éwô Bulu bwa pô tè, o si bèn nyông’a bwambo… ja nà pî. Mwésé mwâ tomba… Bulu bo mèndè kaïsè bwambo bwa mwésé…Bulu bo si tôndi bwambo… ja nà pî », disait ma grand-mère.
« … Parfois, la Nuit qui tombe n’a besoin d’aucune parole… fais silence. Le jour est déjà passé… la Nuit vient alors juger de chaque mot dit quand il faisait jour…la Nuit a horreur du bruit… fais silence. »
Quand la Nuit frappe, on ne Lui hurle pas dessus, on n’exige pas alors le Soleil avec arrogance… on rentre dans sa case et on se couche. Silence. Il fait Nuit. Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit.
Petite fille, j’étais toujours frappée par Mohamed Ali coincé dans un coin du ring, subissant les assauts de son adversaire. Les poings levés pour protéger son visage, il ne luttait pas. Je demandais à chaque fois à mon père : » papa, pourquoi il ne lutte pas? Pourquoi il laisse toujours qu’on le coince dans le ring? »… l’adversaire s’épuisait et insultait alors Ali, tout gonflé de sa domination… puis au bout d’un moment quand il n’en pouvait plus, à bout de souffle, c’est alors là qu’Ali lui décochait une droite qui le pulvérisait sur le ring. Ali renaissait à chaque fois tel un phoenix… tel cet amour apparemment battu par la Mer de la Vie, apparemment condamné, et broyé dans l’Oubli … mais qui ne cesse de hanter l’Univers tel le spectre d’un soleil jamais effacé. Jamais enterré.
Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit. La Nuit qui est souvent présage d’un soleil d’éternité…
On se trompe très souvent en « surfacturant » de recherche « typée » de style, ou d’analyse pompeusement pédagogique, des textes qui veulent simplement virevolter dans le vent avant de s’effacer aussi discrètement qu’ils ont été écrits, tels des pas sur le sable de la mer…
Quand les oiseaux se cachent pour mourir… l’Antique Noblesse nous murmure alors de leur accorder en silence… la joie ô combien infime d’une dernière danse.
« … Tu as été et resteras, le rivage inconnu, le rivage que je n’ai jamais atteint et pourtant… d’aucuns pourraient trouver étrange ou pathétique de clamer dans le vide un amour sans écho et pourtant…pourtant cinquante ans que cet amour m’habite, il habite mes jours, il habite mes nuits, il tourmente mon sommeil et éclaire mes jours, il m’étouffe et me donne le souffle vital, il est tempête et havre de paix, il est mon soleil noir et ma lumière… surtout ne pas perdre le fil de la merveille… »
Lien vers notre précédente analyse littéraire: https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=2439954072840842&id=100004788180641
N.B : Je lis lentement, et au moins 3 fois un livre avant d’en produire l’analyse ou la note de lecture. C’est pourquoi mes analyses littéraires sont publiées en moyenne 1e fois tous les 02 mois. En rappel encore, je parle uniquement des livres que j’ai aimés. Notre prochain livre est un roman qui nous vient du Congo.💖

Mon analyse littéraire du roman «L’ambitieuse» de Rashel MALONGO

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Editions Proximités 2021, 178 pages.
Fegue Raïssa Rita vit paisiblement à Ngambè, son village natal. Comme cadeau pour avoir réussi à son Baccalauréat, ses parents lui offrent des vacances chez sa grand-mère à Akono, à quelques kilomètres de Yaoundé. Lorsqu’un beau matin, le Directeur de l’A.N.A (Académie Nationale des Cadres d’Administration) venu pour l’inauguration de l’axe Akono- Ydé, s’arrête pour demander son chemin à une jeune fille séchant son linge, ses yeux brillent à la vue de la généreuse poitrine dont le T-shirt abondamment mouillé accentue les courbes… la vie de Ferari bascule.
En un tour de baguette magique, ses haillons sont remplacés par des vêtements de luxe, son avenir alors hypothétique s’ouvre tel un splendide axe-lourd : stage et insertion académique à l’ANA, appartement coquet à Ydé, soins esthétiques hebdomadaires, etc. le tout assuré par le parrain bienfaiteur Martin, Directeur de l’ANA, qui a reçu un fervent quitus des parents de Ferari, le père infirmier et de la mère tenancière d’une petite pharmacie au village.
Mais tout n’est pas aussi simple et Ferari le découvre peu à peu assez vite. Dans ce nouveau monde, pour voler de plus en plus haut, il faut savoir sacrifier des ailes : les ailes de la Morale, les ailes des valeurs, les ailes des amitiés, les ailes de l’innocence, et même les ailes des menstruations mensuelles….
Ferari doit s’adapter. Elle n’a pas le choix. Elle ne veut pas retourner à la misère. D’autant plus qu’elle vient de tomber follement amoureuse de Younouss, un bel homme de famille noble à l’avenir assuré de Ministre, et promis à Maryam, la meilleure amie de Ferari et qui d’ailleurs, en est follement éprise. Elle en parle à Ferari tous les jours. Elle rêve de Younouss. Ferari aime beaucoup Maryam… Maryam lui a sauvé la vie une fois…Mais Ferari ne veut pas retourner à la misère. Et Ferari veut Younouss. Ferari est prête à tout. A tout. Son ambition l’entraine dans un cycle vicieux de pratiques obscures et dégoûtantes pour s’arracher une place au soleil.
Ferari est tel un magnifique cygne blanc qui au fil de sa valse là sous nos yeux, s’assombrit peu à peu, emporté qu’il est dans sa symphonie suicidaire pour voler haut, toujours plus haut… au milieu de nombreux prétendants qui valsent majestueusement tout autour de lui, tenant de leurs mains fermes des masques d’anges pour cacher à la lumière leurs visages de vampires, et qui le contemplent, un sourire machiavélique aux lèvres, assoiffés de chair fraiche, assoiffés de sang neuf… tandis qu’il valse, qu’il valse et qu’il valse là sous leurs yeux, à en perdre haleine…
Ce que j’ai aimé dans ce livre : le thème qui est férocement d’actualité. Dans ce pays, jusqu’où la Jeunesse est-Elle prête à aller pour Elle aussi S’asseoir à la Table ? qu’est-Elle prête à sacrifier sans hésiter, sans l’ombre d’un remords, pour avoir le luxe d’une vie qui chatouille les plus hauts parvis de la République ? Ferari c’est moi, Ferari c’est vous : L’être humain éternellement confronté à 02 choix : l’Ombre et la Lumière. Mais quand nos besoins primaires et existentiels (manger, se loger, se vêtir etc.) deviennent aussi précaires que la pluie en plein désert, on bascule alors dans la faim la plus féroce… et que peut encore la Lumière à ce moment-là… ? Ne devient-Elle pas aussi pâle que le souffle de Ferari qui continue sa valse ensanglantée là-bas, dans le cercle des vampires aux visages d’anges… ?
Ce que je n’ai pas aimé et qui m’a profondément frustrée : L’écriture précipitée.
Rashel Malongo a un bon germe en terme de style, un très bon germe d’ailleurs. Un germe qui s’épanouira certainement si on l’arrose de travail et de discipline. Elle a du style. Elle sait captiver et intriguer. Mais tout est dit en résumé, en ramassé, à la va-vite. Un peu comme si on prenait les ingrédients d’un bon fumet et qu’on les mettait tous précipitamment dans la marmite… pour vite manger. Un peu comme si on courait frénétiquement après le temps… comme Ferari elle-même.
Les personnages sont résumés. Vite bouclés. Comme des beignets jetés à la hâte dans l’huile chaude. Leur profil n’est pas assez poussé et corsé. Ils passent vite… très vite… tels de simples figurants.
J’aurais aimé connaitre toute l’histoire de Ma’a Ndongo. La secrétaire toute puissante du Directeur de l’A.N.A. Son personnage est pourtant un magnifique prétexte pour un chapitre brillant.
J’aurais aimé connaitre beaucoup mieux la grand-mère ange gardien de Ferari. Pourquoi n’avait-elle pas eu d’enfants ? c’était quoi son histoire ? j’aurais aimé une description physique détaillée d’elle.
J’aurais aimé un chapitre entier sur Mathieu Younouss, et même un magnifique focus sur lui tout au long du roman… Oui, il est TROUBLANT et ESSENTIEL comme personnage. Il le méritait. Une halte appuyée sur ses déchirements intérieurs à chaque fois qu’il cédait aux exigences de l’Ombre : A quoi pensait-il ? que se disait-il ? Comment en était-il arrivé là ? il savait certainement tout ce que Ferari avait fait et continuait de faire dans l’ombre, pour l’avoir et le garder… ce qu’elle avait fait à Maryam…il ne pouvait ne pas savoir. Dans cette valse satanique, elle était une novice à côté de lui… il était plongé dans ce système bien avant elle… il savait… Il ne pouvait ne pas savoir… qu’en pensait-il… ? J’aurais aimé qu’il PARLE ! En Younouss, j’avais en face de moi un magnifique buffet… j’avais atrocement faim… mon estomac en faisait des crampes… et on ne me servait que de la salade. En vain, je haletais tremblotante, après l’énorme dinde de Pâques mais elle n’était nulle part. Tiens ! on est en Carême… pardi !
Ah j’aurais aimé tant de choses ! Ces 178 pages semblent le jalon et la fondation d’au moins 500 pages utiles et haletantes. L’éditeur aurait dû inviter la jeune auteure à poursuivre le chantier de la construction… car on ne lance pas le filet d’une fondation pareille pour une simple maison, mais bel et bien pour un immeuble d’au moins 03 niveaux.
Est-ce que je recommande ce livre ? Oui ! Je n’en parlerais pas sinon. On ne le lâche pas du début à la fin. Haïrez-vous Ferari ? sans doute. L’aimerez-vous ? oui, peut-être bien. L’oublierez-vous, sitôt la dernière page achevée ? j’en doute…

Mon analyse littéraire de « Tchiza, une braguette de trop ouverte » de Liliane FOKOUA

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On pourrait résumer ce roman aux péripéties d’une jeune femme dans sa conquête de l’Amour… Mais il y a bien plus : un profond déséquilibre affectif et une souffrance émotionnelle et psychologique qui aurait dû, pour moi, être le cœur de m’œuvre et ne pas être diluée ou étouffée sous le trop-plein de maquillage d’aventures amoureuses.
Je suis restée sur ma faim, avec le constat que l’auteure elle-même dans la fougue de l’écriture (délicieuse fougue d’ailleurs…) n’a pas vu l’essentiel. Mais elle ne pouvait le voir. C’était au relecteur de le voir, cet essentiel et donc, d’inciter la jeune auteure à réécrire son texte : A plonger le narrateur dans une auto-psychanalyse concrète de son déséquilibre affectif, émotionnel et psychologique depuis son enfance, c’est-à-dire depuis
La situation financièrement précaire se de ses parents
La culpabilité de son impuissance face à la misère des siens
Sa fragilité accentuée par les morts multiples des membres de sa famille
La crispation frénétique d’angoisse depuis ses 9 ans qui fait d’elle, celle boulle assoiffée d’attention et d’affection au point de l’acheter
Sa relation vis-à-vis de ce physique magnifique qu’elle a, mais qui, quelque peu cristallise encore dans son inconscient, cristallise encore cette obligation socio-psychologique qu’elle a à trouver l’amour à tout prix…
Mais est-ce l’amour qu’elle cherche ainsi… ? à couteaux tirés… ? dans une danse ma foi suicidaire… ? au point de coucher volontairement avec ses propres violeurs… ? mais que cherche donc Fabienne… ? ou mieux…. QUI CHERCHE-T-ELLE… ? QUI…. ? Ou encore… QUI FUIT-ELLE… ? QUI… ?
Le relecteur aurait dû épousseter tous les mots ou même tous les maux-placebo que l’auteur nous verse ainsi en plein visage, pour trouver le vrai mal dont l’intérêt est si captivant qu’il en aurait changé toute l’intrigue. Captivant du point de vue :
De la vulnérabilité de la jeune fille, peu importe son continent, peu importe sa couleur de peau
De l’aisance langagière de l’auteure
De la singularité de l’œuvre qui n’aurait pas du tout alors le caractère-cliché d’un roman sur les aventures d’une jeune femme à la recherche de l’amour.
De la fragilité de la nature humaine et ses ambivalences et ses contradictions profondes, fruits d’un tourment psychologique et même psychique inconscient
De son importance quant aux violences qu’une être qui souffre, en l’occurrence la jeune fille, s’inflige à elle-même … Juste pour avoir l’impression de vivre. Les auto-violences. Les auto-flagellations ; les autopunitions. Car on est certain de ne pas mériter mieux.  On n’en parle pas assez.
Et voilà un roman qui survole tout cela… Pour s’attarder simplement sur le chapelet des relations amoureuses de Fabienne, la narratrice. J’ai l’impression cocasse d’entrer dans un restaurant et d’être servie le plat de résistance… Comme vulgaire dessert. J’ai eu l’impression de tenir entre les mains un trésor, qui ignore lui-même sa propre valeur… un peu comme Fabienne. Et ce trésor, c’est l’auteure elle-même.
J’aime :
Sa fluidité langagière
Son sens des détails
Sa spontanéité à narrer le présent tout en le ponctuant par des sauts frénétiques dans le passé, un peu comme des envolées, des transes. Ce n’est pas calculé. C’est son style. Et j’aime. Elle devrait le mûrir.
Sa fragilité et son manque de confiance en sa plume : Elle en devient belle.
J’aimerais que l‘auteure réécrive ce livre : il y a plein de fuites en avant… Fabienne la narratrice se fuit. Elle fait mine de se regarder dans le miroir mais elle recouvre ce dernier d’un voile… et c’est l’auteure elle-même que moi, je vois ainsi se fuir. Une plume qui pourrait être fabuleuse, si fabuleuse… Mais qui n’ose pas descendre dans la Nuit qui la tourmente… Y rester… et tremper sa plume dans l’encre de cette Ténèbre… Quitte à en mourir… de génie. Elle se distancie d’elle-même ; elle se penche sur le bord de son cœur… De son gouffre…  Tel un simple passant qui se penche sur le bord d’un ravin et se contente de décrire ce qu’il y voit.
Lilianne, ce précipice intérieur que tu fuis est ton salut. Tu as un talent pur d’écriture. Ne le dilue pas. Ne l’étouffe pas sous des « déblateries » futiles. Tu n’es pas futile. Tu as de la profondeur. Ecris ce que tu es. Deviens ce que tu es. Entraine -toi à descendre peu à peu dans ce gouffre, un pas après l’autre, un escalier après l’autre : Entraine- toi à écrire.
Ta Muse t’attend au fond du ravin, et non sur le pont. Les muses ne sont jamais sur les ponts… Mais dans les abysses. Si tu penses que le Monde n’a pas besoin de ta plume, qu’elle n’est pas si importante que cela. Tu te trompes : C’est toi qui manques au Monde. Alors mérite toi toi-même. Mérite ce que l’Univers a mis en toi… Et saute dans le gouffre.
Réécris ce livre, Lilianne. Réécris ce livre. Réécris. Autant de fois que possible. Le temps ne compte pas. Quand une naissance approche et que le bébé se met à donner de violents coups de pieds, l’Univers ne le presse pas : le Temps ne compte pas. Peu importe l’heure de la naissance, le bébé sera toujours à l’heure. Réécris. Autant de fois que possible. Regarde-toi dans le miroir et retire le voile : Tu es une écrivaine. Tu as ce don dans l’âme. Alors dépoussière. Dépoussière autant de fois que possible. Réécris. Deviens ce que tu es.


Mon analyse littéraire de « Femmes fatales » de Ève K-rene

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Corneliu, le psychopathe au visage d’ange qui se masturbe et jouit en pensant aux tortures déjantées qu’il a fait subir à la femme qui l’obsède… l’atypisme de Corneliu : mon 1er orgasme. J’adore l’insoumission à la norme.
L’Ombre, ce personnage tout aussi principal que l’enquêteur Samba, qui orchestre une série de meurtres dans la ville, qui ont tout l’air d’une vengeance longtemps murie et planifiée… la folie qu’elle a de charcuter des victimes vivantes, tels de vulgaires morceaux de viande… son culot d’assassiner de sang-froid un prêtre la nuit dans sa chambre… son absence totale de cœur et de remords… le fait même qu’elle soit une femme… mon 2e orgasme.
L’enquêteur Samba qui fait l’amour à Awa, son amour d’enfance, avec une brutalité et une avidité inouïes… la réalité à fleur de peau de la scène… mon 3e orgasme.
La chute du récit, et même ici j’ajoute la fluidité du récit, mon 4e orgasme.
Une note de lecture ne donne pas la totalité de l’intrigue mais la résume et donne surtout l’expérience du lecteur du lecteur, donc par principe, elle est subjective.
Une série de meurtres tout aussi singuliers les uns que les autres est orchestrée dans la ville, et l’inspecteur Samba est sur l’enquête. Prêtre, femme, homme politique etc. sont assassinés tour à tour et Samba soupçonne un tueur en série ou plutôt… un clan de tueuses en série… Mais quel serait le mobile ? qu’est ce qui lie toutes ces victimes aussi différentes les unes des autres… ? et c’est quoi cette signature sur les lieux du crime avec le sang des victimes « FF » … ? et bon sang, pourquoi la Roumanie est quasi présente dans chaque étape de l’enquête… ? et qui est cette Ombre qui le suit partout et qui orchestre les meurtres… ? Il semblerait pourtant qu’il ait enfin mis la main sur l’Ombre et qu’elle est derrière les barreaux… mais pourquoi a-t-il l’intuition qu’une tempête approche… ? d’ailleurs est-ce vraiment l’Ombre qu’il a ainsi coffrée… ?
Eve K-rene maitrise la conduite du suspense, la logique dans l’enchainement des petits indices, la logique même dans la nature et le fil de l’intrigue. Je note ici non pas une écriture à la va-vite pour le plaisir de faire du polar, mais une véritable recherche d’informations, une investigation claire sur le procédé de conduite d’une enquête, et même sur le comportement psycho social du flic. Il est clair que le polar est domaine de définition d’Eve K-rene.
Chaque personnage est unique et suspect. Chaque personnage est captivant. Recherché. Corsé. Aucun personnage superflu. Chaque personnage a une histoire : ceci peut avoir l’air banal mais je vous assure qu’il y a des romans avec des personnages encore plus vides que mon estomac après la farouche séance de sport d’hier soir… aucune profondeur. Aussi inintéressant qu’une série Novelas. On est dans une scène de jeu ici, et chacun porte un masque. Chacun a un cadavre dans son placard… tiens donc ! comme l’Ombre qui en laisse à chacun de ses pas.
Le style est vif. Rapide. Actif. On dirait un jeu d’échec où un seul instant d’inattention peut être fatal. Les pions glissent sur les carrés sur une musique de plus en endiablée. Ils glissent de carré en carré, de quartier en quartier, de pays en pays… et de nouveaux danseurs tout aussi intrigants s’invitent au fil des pages… une seule toile et unique toile tissée mais plusieurs joueurs captivants…  Comme des feu-follets qui vous en mettent plein la vue, pour mieux masquer la vérité et accentuer le suspense. Ça va vite. Très vite. On ne dort pas. On ne somnole pas. On ne baille pas. On est en perpétuel mouvement. On est en perpétuelle tension. La température monte. On ne peut prévoir le contenu du paragraphe suivant. On sait une seule chose : ON DOIT SAVOIR. On doit lire jusqu’à la lie. Alors parvenu au terme du récit, on respire plus fort, enfin on saura… Mais on ne sait toujours pas. Enervé, on crie et puis on se rappelle que sur la 1ère de couverture est mentionné « Tome 1 » alors on hurle « fais chier ! » dans un rire de frustration et de jouissance mêlées.
Souvenez-vous : je partage uniquement les lectures que j’ai aimées.
Eve k-rene est GENIALE. Retenez ce nom et bondissez sur ce livre si vous le trouvez en librairie. J’ai eu l’impression de lire un SAS ou un Agatha Christie, mené de main de maître avec des personnages singuliers, Camerounais pour la plupart, dans une ville ressemblant apparemment à Yaoundé.
Je déplore le travail hautement négligé de l’éditeur et j’en ai eu des crampes de colère. Désolée mais c’est carrément criminel de bâcler autant la relecture d’un tel texte !!! et d’offrir une couverture aussi pauvre et vide d’attraction pour un texte aussi puissant !!! d’autant plus que la littérature camerounaise manque cruellement d’auteurs en polar ! bon sang ! c’est un couloir quasi vide, et quand on la chance en tant qu’éditeur de tomber sur une auteure dont c’est manifestement la casquette et la maitrise, c’est criminel de bâcler son texte et de ne pas lui donner la promotion qu’il mérite !
Ce pays regorge d’auteurs de haute facture… Eve K-rene, quel talent !!! Quel talent !!! Je souhaite vivement qu’elle fasse rééditer ce chef d’œuvre ailleurs, où on pourra accorder à son texte la relecture et la promotion qu’il mérite.
Putain… ! J’en ai eu 04. 04 orgasmes. Et je vous promets sur ma nouvelle crème hydratante que ça ne m’arrive pas souvent… Ah tiens ! mais pourquoi elle ne scintille pas comme dans la pub celle-là… ? Bref… ah oui au fait… ! Je crois que je sais qui est l’Ombre…

Mon analyse littéraire du recueil collectif «Elles parlent d’amour » de Koutoukoute, Ange YAGA et Stéphanie NDONGMO

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Trois histoires à l’eau de rose écrites par trois auteures camerounaises, et éditées par Nuances, une maison d’édition camerounaise qui semble vouloir se spécialiser dans du Harlequin à la sauce et aux ingrédients typiquement camerounais. J’ai dévoré ce livre léger et drôle, toute fébrile et excitée. Il n’a rien mais alors rien à envier aux Harlequin européens.
Ce que j’ai aimé de façon précise :
Les histoires se déroulent toutes au Cameroun, dans des villes, des rues ou des paysages que nous reconnaissons aisément le sourire en coin, et auxquels nous pouvons très vite nous identifier
La virilisation caractérisée des hommes Camerounais
La coquett-isation des paysages…du romantisme drôle et attachant à l’état pur peut aussi très bien se dérouler à New Bell… et non plus seulement au pied de la tour Eiffel…
La libido ouverte et assumée des personnages sans toutefois verser dans une attitude de racaille…
Le dynamisme du mouvement de l’histoire : Ca file, ça avance, on ne tourne pas en rond…
La simplicité du langage
La puissance d’identification de tout lecteur Africain : Que ce soit dans l’histoire elle-même, que ce soit surtout dans les personnages et leurs réactions et attitudes typiquement et culturellement africaines, que ce soit dans la description des lieux etc.
Mon histoire préférée est de loin la première : « Une autre chance de t’aimer » de l’auteure Stéphanie Dongmo.
Parce qu’il n’y a ici aucune incohérence ni dans le langage qui correspond à chaque personne, ni dans la vraisemblance des faits… Alors ça j’ai adoré ! une histoire typique à la « girl next door » qui peut arriver véritablement à n’importe qui un beau matin ! ici, aucun ingrédient un peu trop utopique et un peu trop surfait à la Barbara Cartland… Du direct. Du concret. Le tout, dans un contexte de profond camerounisme : On s’y reconnait à la seconde !
Parce que le niveau de langue est à la fois soutenu et courant. C’est du bon, du très bon Français (grammaire, syntaxe, conjugaison, orthographe limpides !) sans toutefois être du « gros » Français, c’est-à-dire, trop compliqué à comprendre.
Je prends ainsi la peine de détailler avec précision ce que j’ai aimé dans cette délicieuse collection de nouvelles romantiques camerounaises, pour introduire, un peu embarrassée… je dirais même beaucoup embarrassée… L’unique chose qui m’a pincé le cœur, au fil de ma lecture pourtant enjouée. J’hésite… C’est toujours très délicat pour moi de faire ce type d’exercice, parce que je sais la souffrance derrière l’écriture et la publication d’un texte. Je sais. Je prie humblement l’éditrice et les auteures de n’y voir aucune offense, et de porter simplement une attention favorable à ma modeste contribution, au merveilleux travail qu’elles ont fait.
L’initiative de tels livres est à saluer dans notre paysage littéraire camerounais. Les éditions Nuances jettent un véritable pavé dans la mare et je m’abonne directement à tous leurs romans d’amour à venir. C’est fantastique, une telle idée ! Et je ne doute pas que des millions de femmes camerounaises courront acheter ce livre et toux ceux à venir. Des millions de femmes… Et d’élèves, car les élèves ont toujours beaucoup aimé Harlequin… Et c’est ici que le bât blesse un petit peu. Un élève apprend une langue dans le Livre ou mieux, dans un roman. C’est bien pour cela qu’on les encourage à beaucoup lire. Un élève construit son niveau de langage, son niveau d’éloquence, et surtout sa richesse langagière dans le Livre… C’est pourquoi le Livre n’a pas le droit à l’erreur, encore moins quand celle-ci s’étale sur des pages et des pages et des pages…
Le parler familier camerounais encore appelé « camfranglais » n’est pas du Français. Partant, il serait à tout le moins indiqué :
De mettre entre guillemets des mots du « camfranglais » tels que « ndem », «  djo » etc.
Ou alors de les mettre en italique dans le texte ;
Ou encore de les habiller à chaque fois d’un astérisque, et de préciser alors au tout début de lecture, quelque chose comme « tous les mots avec un astérisque relèvent de l’argot local… »
Ainsi, le Livre n’insinuera pas, ou ne sera pas accusé d’insinuer dans le psychique de l’élève, que « ndem » et « djo » sont des mots de la langue Française et qu’il peut donc aisément les reprendre par écrit lors d’un devoir surveillé… Il serait adéquat de démarquer de façon claire et sans équivoque tous les mots du texte relevant du « camfranglais ». Non seulement, le « camfranglais » n’est pas du Français, mais ce n’est même pas une langue.
Ne me comprenez pas mal, j’adore le « camfranglais » et je le parle tous les jours comme tous les Camerounais. Ce parler drôle et atypique crée une unité nationale véritable, qu’on le veuille ou pas. Mais dans un roman ou précisément, une nouvelle écrite en langue française, par principe, il n’a pas sa place. Le principe, lui, est froid. Maintenant, l’exception serait que si on l’y met (ce qui est une merveilleuse idée pour l’identification du lecteur soulignée plus haut), il conviendrait de le DEMARQUER parce qu’il ne relève simplement pas du Français.
Et même, il n’est pas une Langue. Car, une langue signifie : Une grammaire, une orthographe, une conjugaison établies et actées. Ce que le « camfranglais » n’a pas.
Si je prends simplement l’exemple du mot « ya » : Quand on dit « tu veux ya quoi ? » il n’y a ici aucune orthographe actée du mot « ya ». Mireille va l’écrire « yâ », Danielle va l’écrire « ya », Stéphane va l’écrire « yia », Alex va l’écrire « hia »…  Ainsi, dans son livre par exemple, chaque auteur va s’amuser à écrire comme il l’entend (dans le sens le plus littéral de l’expression… !), attendu qu’il n’y a aucune Règle à laquelle se conformer.
Car, le « camfranglais » n’est pas une langue. C’est pourquoi, son usage dans un texte (bien pensé je le re-souligne ! Excellent idée ! l’identification du lecteur est assurée !) doit être démarqué de manière flagrante, particulièrement dans un texte édité ; un texte édité n’a plus la liberté ou plutôt le libertinage langagier, que peut aisément se permettre un texte publié simplement sur facebook…  Non. Le texte édité devient prisonnier obligatoirement des règles de la langue dans laquelle il est écrit… Et édité.
Edité par une maison d’édition qui se veut manifestement sérieuse : J’ai adoré la couverture !!! les couleurs sont belles, attrayantes ! Les mannequins choisis sont splendides ! Dans le paysage littéraire camerounais, l’accent sur l’esthétique du Livre n’est pas trop pris en compte. Or, ici les éditions Nuances ont mis le paquet. J’aime la couleur pas trop blanche du papier, j’aime la qualité d’impression.
J’ai passé un moment délicieux et léger de lecture entre excitation et fous rires ! Bravo aux éditions Nuances ! la Romance manquait véritablement dans notre littérature ! Bravo à chacune des trois auteures pour leurs histoires drôles, légères et décapantes ! j’ai adoré les lire ! Je les ai savourées d’une traite !
Je vous le recommande vivement ! et dire que là c’est simplement le volume 1…  D’ailleurs, je le relis avant de dormir pour rêver un peu… Ça fait un bien fou !!! Vivement le volume 2 de la collection « Elles parlent d’amour ! »

Mon analyse de «Chemins étoilés» de Boris KIAMPI

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Contrairement à ce que l’on peut croire, je suis extrêmement critique et difficile en matière de littérature… Tout particulièrement quand il s’agit de la poésie. C’est pourquoi, je vous partage uniquement les livres que j’ai aimés. Uniquement. Je suis si chiante en matière de Poésie que je doute à chaque fois que j’achète un ouvrage poétique. Je doute de l’aimer. Tellement je suis exigeante. La Poésie n’est pas l’expression raplapla et ennuyeuse d’un sentiment amoureux. Ce genre de poésie amorphe et paresseuse, loin de moi ! pitié ! je la vomis ! je dois pouvoir planer, voyager, entrer dans un univers particulier, propre à l’auteur, avec une identité à lui, et non pas du « écrire pour écrire » et non pas « de la rime pour la rime ». Je dois être envahie, habitée, assiégée. Je dois pouvoir ressentir le corps étranger qui prend possession de mes sens. Comme je l’ai dit à ma dédicace à Ydé « dans un livre, le lecteur doit pouvoir faire l’amour avec l’auteur ». C’est une rencontre. Une fusion. Je peux ne pas aimer le style mais je dois reconnaitre le talent, la marque, l’identité, l’univers, le sceau propre à un auteur. Comme Baudelaire par exemple, dont je ne suis pas particulièrement fan. Contrairement à Lord Byron, Ronsard, Césaire, Verlaine, Lamartine, Fénelon, Albertine Sarrazin, De Vigny, De Musset, Langston Hughes, Maya Angelou, et le Blues poétique noir américain qui chante l’esclavage, et la poésie ancestrale que chantent mes mères dans les Miniya (contes en Duala) ou dans le Ngoso (chant traditionnel Duala) ainsi que la Poésie moyenâgeuse et des siècles passés etc.
Ce recueil dont je m’en vais vous parler m’a foutu un sacré coup à l’estomac. Vu la jeunesse manifeste de l’auteur, j’appréhendais la poésie style raplapla des sentiments amoureux de lycée ou de fac ennuyeux à en bailler…  Dans mon salon à Yaoundé, revenue de ma tournée média du jour, je fixais hésitante le recueil posé sur la table, et livré à domicile la veille… « Tsuip ! Sûr que je vais m’ennuyer ! pourquoi je l’ai même acheté ? »… Mais ne dit-on pas qu’aux âmes bien nées… La MUSICALITE. La musicalité des textes de Boris Kiampi est frappante. Si elle se corse encore, d’ici quelques années, sa plume donnera une musicalité parfaite. La musicalité n’implique pas des rimes à tout vent. Mais musicalité même dans le regroupage des consonnes et des voyelles, dans l’enchainement artistique des mots qui se suivent dans une phrase, sans toutefois en aliéner le sens. « … Je peux sourire au sillon de mes souvenirs… » une muse si mature dans un corps si jeune. « On dirait la poésie du XVI e siècle » ai-je pensé dès cette première page, en retirant définitivement mes talons, et en me couchant excitée, les yeux brillants sur mon canapé (depuis petite, quand un poème me plait, je me couche toujours. Cette position allongée sur le dos, permet à mon esprit de mieux quitter mon corps et de voyager aisément dans l’univers du poète)… Et les magnifiques envolées lyriques des pages suivantes confirmaient mon diagnostic :
« Au soir du partage de la soupe du savoir,
Tu n’as pas chanté mon nom aux cloches de tes appels
Fille de la solitude
Tu ne m’as pas invité au soir de ton souper …
Jours de souvenir
Jour de joie,
Rendus au soir
Je ne t’oublie. »
Aaaaaaahhh ! Mon râle de plaisir fit accourir Rudolph mon concierge qui s’affairait dans la cuisine. Tsuiip, fit-il en me découvrant un simple livre à la main «  tsuip ! la mère ci hein ! elle fait même je cours comme ça pensant qu’elle est tombée ! les livres sont partout dans la maison, quelqu’un ne respire même plus ! je dis hein la mère, tu vas manger quoi aujourd’hui ? tu vas encore partir à Penjaland doser le éru ? tu es là, tu lis tu lis, tu oublies de manger hein, après tu seras nerveuse ici quelqu’un en va pas respirer. Je m’en vais moi ajouter l’eau dans le pot des roses, tu cries encore je ne viens plus ! Tsuip ! »
« Quoiqu’il advienne
Quoi qu’il en soit
Nous irons danser un de ces soirs »
Oh la laaaaaaaaaa ! Le long tsuiiiiiiiip de Rudolph me répondit en écho…
« C’est lui qui riait d’un éclat à la cour de ton départ,
C’est aussi lui qui pleura du regard vain d’un soir »
Oh que c’est beau ! Que c’est beau ! magnifique ! m’écriai-je, les sens proches de l’orgasme. Orgasme qui ne se déclencha totalement qu’à la lecture de « Chantre » mon poème favori de ce recueil de Boris Kiampi. C’est devant « Chantre » que j’ai non seulement confirmé le XVIe siècle, mais également mis un nom précis sur le poète de cette époque qui influençait la plume du jeune auteur. Je voyais sa silhouette depuis le début de la lecture, mais elle était encore comme floue… Mais face à « Chantre » je lisais clairement Ronsard. C’était Ronsard : « Direz, chantant mes vers, Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle » . Dire que j’aime Ronsard est un euphémisme. Sa musicalité est parfaite. Ses chutes sont magistrales. J’ai valsé sur « Chantre ». Mes sens ont explosé et mon âme a fait des orgasmes. Ma Muse a joui, repu d’une telle perfection.
N.B : J’invite l’auteur à corser et à bosser encore plus sur sa plume, afin tous ses futurs textes poétiques aient la musicalité et le tempo parfaits de « Chantre ». J’aime dans son style à la fois le lyrisme très prononcé mais également le côté engagé. Sa poésie est dynamique et résolument engagée tout en étant lyrique. Et cela, c’est son style et c’est juste parfait. Cette identité hybride gagnerait à raboter de mieux en mieux la musicalité du côté lyrique. J’ai beaucoup aimé la poétisation abondante des termes purement scientifiques et du domaine de la Médecine. Autre cachet de l’auteur que je l’encourage à garder et à travailler, pour éviter des dissonances et déraillements parfois dans la musicalité…. Le lyrisme, l’engagement, et la science sont les 03 ingrédients propres à lui qui font son identité.
Un ouvrage que je vous recommande fortement. Disponible à Librairies des Peuples Noirs (Ydé) et aux Editions du Midi au 6 97 44 90 82
Ci-dessous ma déclamation de « Chantre », mon poème favori de Boris Kiampi.


Mon analyse littéraire du roman « Walaandé, l’art de partager un mari » de Djaili Amadou Amal

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Walaandé est le 1er roman de Djaïli Amadou Amal paru en 2010 aux éditions Proximités au Cameroun, à Yaoundé. Plus sieurs fois édité, mon exemplaire est de l’édition de 2019.
Roman de 142 pages.
Genre : Fiction-Drame
De quoi parle l’œuvre ?
Ce roman ne traite pas de la polygamie.
Il traite de l’institutionnalisation organisée et systémique, d’une interprétation psychologiquement aliénante et socio-culturelle de l’Islam. Cette aliénation volontairement initiée et déployée par les hommes, pour mieux servir leurs intérêts.
La Polygamie est simplement ici le stade de football, l’aire de jeu, le MANEGE, que Djaïli a choisi pour planter la scène, et mieux illustrer par des exemples concrets, cette déviance calculée. Ces exemples concrets, ce sont les personnages : Vous avez l’impression de les toucher, de les sentir, ils ne semblent pas fictifs, ils ont l’air si réel…
Imaginez-vous en train d’assister à une pièce de théâtre… Vous visualisez-vous… ? Fort bien. Vous êtes assis en spectateur, et vous admirez le décor traditionnel et très beau du podium, tout le monde est là, on attend le premier acte de la troupe de comédiens. Le spectateur c’est vous, le lecteur. Le magnifique décor traditionnel que vous admirez, c’est la polygamie : Le décor… La poudre aux yeux. L’essentiel est dans les différents Actes de la pièce de Théâtre donc, les différents thèmes que les acteurs vont aborder.
La pièce de théâtre c’est le roman. Djaïli, l’autrice, est le metteur en scène. Les acteurs sont les personnages.
Djaïli sait exactement ce qu’elle veut insinuer dans votre subconscient. Exactement. Cela peut être une révolte, un juste sentiment de colère, ou de protection, ou une volonté de dénonciation…. Elle veut vous prendre à témoin. Elle veut vous prendre pour témoin. Elle veut faire de vous l’écho de sa voix. Elle sait que ce qu’elle va dénoncer est insoutenable. Alors, pour que la pilule passe sans trop de douleur, elle met en scène une pièce de théâtre et se cache derrière les rideaux des coulisses, comme tout metteur en scène, et elle vous observe.
A la fin de la représentation, vous vous levez et vous applaudissez à tout rompre, les larmes aux yeux, voyant dorénavant les choses autrement, et elle sourira l’air de rien. Elle a gagné. Djaïli est REDOUTABLE.
Particularité et point fort :
Le détail des tourments de chaque personnage : L’arrêt sur image
La construction stratégique et étudiée des personnages
La dénonciation d’une pléiade de fléaux orchestrés sous le couvert de l’Islam
La suggestion fine et avec beaucoup de tact d’un meilleur respect de l’Islam
La leçon à retenir : Oui, ici, les personnages tirent des leçons.
Cadre spatio-temporel :
L’histoire se déroule au siècle présent, dans une famille musulmane camerounaise, vivant à Maroua, dans le Nord du pays.
Figures de style majeures : Anaphore et répétition. (Toujours, avec Djaïli…)
Structure
Je vais encore appeler votre imagination d’enfant pour mieux m’expliquer : Il fait nuit. Un silence règne. Un silence total comme il en règne parfois dans la nuit. Assis sur une natte, sous le gros manguier d’une concession, vous êtes aux pieds d’une conteuse : Votre grand-mère, qui aime à vous chuchoter des histoires dans la nuit, quand tout le monde dort. Vous l’écoutez fasciné, totalement subjugué. Elle pointe du doigt la grosse maison familiale où plus aucune lumière ne brille, et elle commence à vous murmurer le drame des personnes qui y vivent.
Puis, elle se lève et vous tient par la main, vous entrez sans tousser, sans mot, dans la maison, marchant sur la pointe des pieds. L’index sur ses lèvres, elle vous fait des « chuuut ». Elle ouvre une première chambre dont la porte grince dans la nuit, de la douleur de Sakina l’émancipée, la rebelle : Le premier personnage dont elle veut vous parler. Vous n’entrez pas dans la chambre, vous restez au seuil de la porte et vous guettez par l’entrebâillement, et grand-mère murmure dans votre oreille les rêves brisés, la solitude de Sakina, les larmes de Sakina…
Puis, vous tenant toujours par la main, elle reprend avec vous votre marche silencieuse dans le couloir. Toujours sur la pointe des pieds, c’est à dire avec beaucoup de tact, de pudeur et de douceur. Elle ouvre une 2e chambre : Celle de Nafissa. Ah Nafissa la fragile, mariée à 14 ans à peine, amoureuse en secret d’un autre, prise au piège. Vous la voyez gesticulant dans son lit, n’arrivant pas à trouver le sommeil, ah Nafissa la tourmentée…
Puis, elle ouvre une 3e chambre : Celle de Djaïli, la désenchantée, Djaïli la naïve qui rêvait trop haut, qui rêvait trop mal…
Puis elle ouvre une 4e chambre : Celle d’Aïssatou, la Daada Saare, la mère de la concession : Mariée à 12 ans à peine… Elle vous chuchote tout bas, son cœur tuméfié et ses désillusions.
Soudain, mémé vous presse la main plus fort. Vous êtes au salon, le grand salon de la maison… Le cercle où le drame se discute, où le drame se joue…
Puis, elle vous entraine vers une grande chambre. La plus imposante de la maison. « chuuut », poussant la porte de la chambre, on entend alors un bruit sourd, étouffé de sa propre douleur, un bruit profondément solitaire : C’est Oumarou le Chef de famille. Il ne dort pas ; face à la fenêtre, il est perdu dans ses pensées, au seuil de la porte, grand-mère vous chuchote ses tourments sous ses airs faussement virils, ses manques de confiance en lui, la solitude qu’il ne doit jamais avouer…
C’est ainsi que Djaïli procède dans son récit. Un schéma simple. Résolument simple. Pas à pas. Un pas après l’autre. Une chambre après l’autre. Un personnage après l’autre. La puissance dans ce récit provient de l’arrêt sur image, la pause, la halte qu’elle fait sur chaque personnage. Avec des phrases courtes et digestes.
Le style : prose poétique. En illustration, un court extrait :
« Attendre ! S’il y a un mot qui peut résumer à lui seul sa vie, c’est attendre. Elle a passé sa vie à attendre. Attendre de grandir, attendre de se marier, attendre son tour pour voir son mari, attendre pour rétorquer, attendre qu’il change, attendre d’atteindre ses limites, attendre que ses filles grandissent, attendre pour partir, attendre pour vivre, attendre de mourir ».
La répétition et l’anaphore (qui est aussi une forme de répétition, nous l’avions vu…) sont utilisées à profusion par Djaïli, pour corser la tension du récit, la tension de la douleur de ce qu’elle décrie, la tension de la gravité et de la réalité de ce qu’elle dénonce. Il ne faut pas que le spectateur-lecteur en doute… Vous devez VOIR, vous devez accepter que ce qu’elle vous montre existe. Vous devez OUVRIR LES YEUX. Alors elle insiste. Encore. Et encore. Et encore.
Problématiques
La polygamie est le décor choisi. Le thème central ici, est l’institutionnalisation organisée et systémique, d’une interprétation psychologiquement aliénante et socio-culturelle de l’Islam. Et l’autrice dénonce cette mauvaise interprétation de l’Islam à travers les points ci-après :
La chosification des femmes du Sahel
Chosification jusque dans leur sous-alimentation et malnutrition par rapport aux hommes
L’analphabétisation organisée et systémique des femmes du Sahel
La réduction aliénante et étroite de leur bonheur, de leur accomplissement et de leur épanouissement, à un seul et unique but : Le mariage
Le refus institutionnel et légitimisé de leur liberté de penser, de rêver, de tomber amoureuse, d’espérer autre chose, de désirer mieux
L’aliénation de leur sexualité à l’unique plaisir de l’homme
La condescendance blessante des hommes vis-à-vis d’elles, un peu comme l’esclavagiste Blanc qui disait « bon nègre ! » en caressant la tête de son esclave…
L’hypocrisie et la souffrance de ces femmes dans la polygamie. Ces femmes qui y sont plus par contrainte que par libre adhésion à la polygamie…
La précarité même de ce St –Graal qu’est le mariage, une fois que vous l’obtenez
Un Islam instrumentalisé dans l’intérêt des hommes.
Mon avis : Un roman à lire et à relire. Une douleur révoltante.

Mon analyse littéraire du roman « Munyal, les larmes de la patience » de Djaili Amadou Amal

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Roman de 209 Pages
Genre : Autofiction
Quelle est l’idée directrice du roman ?
C’est-à-dire la position que l’auteur soutient tout le long du texte, l’idée maitresse qui sert de fil conducteur au texte. Pour la déterminer, il suffit de se poser la question simple : Qu’est-ce qu’il veut me dire… ? ou si vous n’arrivez pas aisément à la trouver en procédant, eh bien lisez. Lisez simplement. « Quand tu lis, oublies que tu lis » disait mon Padre professeur. Le raisonnement que vous aurez à la fin de la lecture, peut-être une indignation, une juste colère, vous vous exclamez : « Mince !! donc c’est ainsi qu’on les traite ? c’est révoltant ! » l’idée directrice est là : ce que l’auteur veut coller dans votre conscience.
Dans ce roman, l’idée directrice qui orchestre les vies des trois personnages principaux, est la dénonciation des mariages arrangés et imposés aux jeunes filles.
En effet, la thèse soutenue qui semble soutenue par l’auteur, est que la jeune fille du Sahel a le droit de décider du moment de se marier, de choisir elle-même son époux, de définir dans une certaine mesure et selon ses ambitions, ses propres priorités. D’écrire elle-même la partition de sa vie.
L’argument de poids ici, sur lequel s’appuie l’auteur, est que ces manœuvres devenues partie intégrante de la tradition et de la culture, sont en fait une violation institutionnalisée de l’Islam. L’auteur énonce clairement l’hadith (verset) qui y est manifestement piétiné. Il y a ici comme une défense, avec beaucoup mais alors beaucoup de tact, du vrai Islam, de l’Islam tel qu’il doit être pratiqué et vécu. C’est ce tact, Djaïli en a beaucoup, qui donne une grande noblesse à ses écrits. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais il y a beaucoup de noblesse dans sa peinture des maux des femmes du Sahel.
Les idées secondaires, c’est-à-dire : Sur quoi s’appuie l’idée directrice ? Quelles en sont les ramifications…? Quels sont les moyens invoqués par l’auteur pour soutenir son raisonnement ?
L’auteur dénonce cette pratique en illustrant :
La non scolarisation de la jeune fille du sahel
Le peu d’importance et même de pertinence, puisqu’il s’agit de cela, accordée à son éducation
L’étroitesse organisée et instituée de sa vie, ou mieux de la qualité de sa vie à l’unique mesure du mariage.
Quelle est l’intention de l’auteur
L’intention de l’auteur, dans ce roman, est :
D’attirer l’attention des parents musulmans sur les véritables préceptes de l’islam dans le mariage des jeunes filles.
D’attirer l’attention des parents et éducateurs sur l’EXISTENCE de la jeune fille du Sahel, en tant que personnes avec du potentiel, des rêves et des aspirations ;
La prise de conscience de la jeune fille du Sahel elle-même… Le déclic. L’auteur est ici un peu le sauveur de l’allégorie de la caverne de Platon. Celle qui vient dans la caverne, souffler aux captives qu’en fait, ce ne sont que des ombres qu’elles contemplent depuis des lustres, et qui les emmène hors de la caverne à la lumière : La lumière de la prise de conscience… Et du choix en conséquence qu’elles doivent faire : Rentrer dans la caverne ou alors courir le risque de vouloir vivre debout sous le soleil. Mais quel que soit leur choix, à tout le moins, sauront-elles DESORMAIS, que leur monde n’est qu’une caverne et que le vrai soleil est à l’extérieur.
Pourrait-on dire que Djaïli initie une révolution… ? sans aucun doute. Et pas la révolution des armes, mais la plus forte de toutes : la révolution psychologique et psychique, la révolution des consciences. Dans la caverne, les captives comment à s’émouvoir, à bouger, à REFLECHIR, et donc… A EXISTER.
Thèmes soutenant l’idée directrice :
Le traitement animal réservé aux filles : traitées et sélectionnées comme du bétail. Le bétail qui ne pense pas, qui ne rêve pas : au propre comme au figuré. Le bétail qui se contente d’endurer les coups de bâton et de mettre bas. Point barre. Il a aperçu Ramla au défilé scolaire et l’a triée pour être sa femme, elle a 17 ans il en a 50, peu importe.
L’amputation émotionnelle de la jeune : elle n’a pas droit à l’affection, marque de tendresse, câlins de son père. Elle ne l’approche que s’il la convoque. Elle N’EXISTE PAS.
La forte aliénation psychique des jeunes filles : On parle ici d’un endoctrinement puissant, basé sur une interprétation aliénante de l’Islam. On parle d’une assimilation qui vous retire sereinement, dès votre enfance, au plus profond de vous-mêmes, le sentiment d’ETRE.
Et donc subséquemment, tout ce qui découle du fait d’ETRE : Le REVER, le DESIRER, le DECIDER, le CHOISIR, le REFLECHIR, le JAUGER, le DISCERNER, le PROTESTER, le PENSER, le REFUSER. Vous n’ETES PAS. Et puisque vous n’ETES PAS, votre existence n’est pas différente de celle du chien ou du coq ou du mouton qui N’EST PAS.
Vous êtes dans l’enclos tel du bétail, et les hommes entrent en riant, et vous tâtent pour voir si votre chair est à leur gout, puis ils vous passent une corde au cou, et ils vous emmènent, chez eux, rejoindre le bétail/harem qui y est en captivité. VOUS N’ETES PAS.
Le mariage incestueux entre cousins
Le viol et les violences aux jeunes filles, normalisées, institutionnalisées, légitimisées, invisibles, tues. D’ailleurs « ce n’est pas un viol ! C’est une preuve d’amour ! » Hindou dira « on a soigné mon corps, mais pas mon esprit » normal. Un esprit…? Elle n’en a pas. Un esprit… ? cela supposerait une profondeur, un RESSENTI, un ETRE. Or, elle N’EST PAS.
« Je dois soumission à mon époux !
Je dois être son esclave afin qu’il me soit captif !
Je dois être sa terre afin qu’il soit mon ciel !
Je dois être son champ afin qu’il soit ma pluie !
Je dois être son lit afin qu’il soit ma case !
Je dois épargner mon esprit de la diversion !
Si j’avais compris les conseils de mon père, j’aurais été soumise au désir de mon époux et ainsi, il n’aurait pas été obligé de me brutaliser. J’aurais dû m’estimer heureuse qu’il m’honore.
Si j’avais compris les conseils de mon père, j’aurais été l’esclave de mon époux qui alors, séduit par ma docilité, se serait attaché à moi !
Si j’avais compris les conseils de mon père, j’aurais épargné mon esprit de la diversion et n’aurais pas été rancunière sur un malentendu. Un fait banal que je n’aurais pas dû dramatiser ! j’en aurais alors eu la tranquillité d’esprit ! »
(Remarquez bien la répétition et l’anaphore : Si j’avais compris, si j’avais compris…)
Il y a cette espèce d’avilissement et de « moutonnisation » et même de « moutonnisme » puissant de la jeune fille. Autant le ton de l’auteur est doux, autant il n’en est que plus violent et plus douloureux. Moutonnisation parce que dès le bas âge, la jeune fille est formatée, programmée, dans cette sorte de logiciel inhumain de dépossession de son humanité : Elle N’EST PAS.
Dans ce roman, le lavage du cerveau, le formatage de la psychologie et même du psychique, je dirais, de la jeune fille est illustré de manière très blessante par cette litanie répétée et insistante : Munyal ! Munyal ! Munyal ! On dirait un CD volontairement rayé qu’on vous met dans le cœur et dans le crâne, mais enfin ma foi, plus dans le crâne que dans le cœur, puisque vous N’ETES PAS, et qui musicalise étroitement votre vie : Munyal ! Munyal ! Munyal ! D’où donc votre moutonnisme, c’est-à-dire que vous en acquérez le réflexe… celui DE NE PAS EXISTER, DE NE PAS ETRE. Vous devenez un logiciel. Votre vie se réduit et s’encercle autour de l’homme : Lui plaire, le servir, ouvrir vos cuisses, fermer votre bouche, lui plaire, le servir. Tel le mouton dans l’enclos.
Point Fort :
Arrêt sur image : Ramla, Hindou, Safira.
Il y a ici 03 narratrices. Chacune des femmes se raconte elle-même
On entre dans le monologue intérieur du personnage, son angoisse, ses peurs. De ce qu’elle est interdite de dire tout haut. On est dans les coulisses avec elle. On marche dans les couloirs discrets des pensées et angoisses humaines et non dites des 03 femmes.
L’auteur : Quelle est sa compétence pour aborder le sujet ?
Cadre spatio-temporel : nous sommes à Maroua, au Nord du Cameroun actuel, dans une famille musulmane polygamique.
Style : le roman a la tonalité et la musicalité d’une prose poétique. Cette poésie en prose est orchestrée par la répétition, qui lui donne un rythme, une cadence. Cette poésie de la douleur munyal ! munyal ! munyal ! accentue la profondeur de la douleur des personnages.
Structure : une série en 03 épisodes, avec un début et une fin. Chacun des épisodes correspond à une des femmes qui se raconte et se met à nu.
Mon avis : Un classique de la littérature camerounaise et afro descendante. Un roman poignant.

Mon analyse Littéraire du roman « Mistirijo, la mangeuse d’âmes » de Djaili Amadou Amal

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Mistirijo est le 2e roman de Djaïli Amadou Amal paru aux éditions Proximités au Cameroun, à Yaoundé. L’exemplaire que j’ai fait partie de la 3e édition de 2017.
Roman de 158 pages.
Genre : Fiction-Drame
De quoi parle l’œuvre ?
Ce roman traite principalement de la stigmatisation violente et récurrente des personnes âgées en Afrique : Elles sont aisément traitées de sorcières.
Particularité et point fort :
La thématique touche toutes les communautés africaines, peu importe les pays, peu importe les tribus. Au Cameroun, par exemple, toutes les tribus s’y reconnaitront.
L’histoire galope sur plusieurs époques différentes et successives
Cette chevauchée se fait par intermittences ; un peu comme une voiture qui roule en zigzaguant sur la route : Elle va en droite puis à gauche, puis repart à droite, et revient à gauche et ainsi de suite, tout le long de la route donc, du roman.
Cadre spatio-temporel :
L’histoire se déroule au Cameroun sur plusieurs époques. Un Cameroun colonial, puis postindépendance, et un Cameroun actuel. On va successivement de 1934 à 2005. L’histoire s’étend sur 02 siècles.
Figures de style majeures : Anaphore et répétition. Ces deux figures de style reviennent le plus souvent dans les romans de Djaïli Amadou Amal.
Structure
Pour vous expliquer le schéma narratif du roman, Je prendrai un autre exemple : On est toujours sur la route en train de conduire.
Vous voyez un peu quand vous avez en face de vous un pont à 02 voies ? Vous avez le choix entre deux routes qui vont pourtant au même endroit. Une route est un pont surélevé et l’autre route, plus basse, est le pont d’en dessous. Les deux routes vont exactement dans la même direction. Ici, cette direction c’est Aïssatou, le personnage principal, son histoire poignante.
La route d’en dessous c’est l’époque 2005, donc le siècle présent, et le pont d’en haut ce sont toutes les années qu’elle a traversées depuis sa naissance en 1934.
Pourquoi j’ai pris ce double pont en exemple ? Parce que Djaïli nous fait traverser en même temps le 19e et le 20e siècle, avec la même vitesse et avec une simplicité enfantine…
Scène actuelle : On est en 2005 et un petit garçon du quartier, du nom de Moussa est très malade. Il est au bord de la mort et Gogo Aïssa (tante Aïssa) est accusé d’être une mistirijo, une sorcière. C’est elle qui a mangé le cœur du petit. La veille Gogo Aïssa n’y comprend rien. Elle doit sur le champ recracher le cœur de Moussa sinon elle sera soit lynchée soit chassée du quartier. Gogo Aïssa, sous son humilité, est une redoutable mistirijo qui masque bien son jeu. C’est Dodo, le grand marabout, qui a parlé. Il ne peut se tromper.
C’est sur ce drame que s’ouvre le roman de Djaïli. C’est ainsi qu’on engage notre conduite sur le pont à deux voies : Sur le drame actuel de 2005.
Après cela, va-ton rester en 2005… ? Que non. Djaïli nous fait rouler sur les deux routes au même moment, vers la même destination : L’histoire fascinante et ô combien poignante de Aïssatou.
Cette femme âgée, va remonter silencieusement le temps (Remonter… C’est pourquoi le 19e siècle, je le mets sur la voie d’en haut…) et nous raconter son histoire par la bouche de Djaïli l’autrice-narratrice. En silence, dans le secret de son cœur, Aïssatou se souvient… Tandis que la foule de 2005 (la route d’en dessous) est à deux doigts de la lyncher dans le quartier.
Par intermittences donc, Djaïli remonte le fil de l’histoire et nous narre la gloire passée d’Aïssatou et les multiples tragédies qui ont jalonné sa vie de 1934 à 2005 (les accidents, les péripéties).
Suspense :
Il y a de la vitesse dans ce roman. Ça roule à vive allure. Les péripéties s’enchainent avec fracas. Pas le temps de s’ennuyer, ce sont des klaxons qui sonnent à tout bout de champ sur la route… On a le cœur sur la corde raide, on joue à l’équilibriste, un accident est vite arrivé, d’ailleurs à peine notre voiture se prend une motocyclette en pleine gueule qu’un camion lui rentre brutalement dedans… On transpire on angoisse, on est frustré de vite arriver de l’autre côté du pont, de vite connaître la fin, de vite avoir ce que Bernard Weber appelle « la récompense » … On tourne les pages en haletant, agacé, à deux doigts de les déchirer, vivement que ces accidents/péripéties passent vite ! On veut savoir !!!
En entrecoupant à chaque fois la situation de 2005 par des interruptions inopinées du passé, et puis, en entrecoupant ce passé lui-même par des retours soudains en 2005, Djaïli crée beaucoup de tension et beaucoup de suspense dans le récit.
Je tournais les pages, délicieusement agacée, j’avais soif de connaitre la suite, mais où m’emmenait-elle ? Que va-t-il arriver ? Va-t-on tuer la pauvre et innocente Gogo Aïssa ? Et qui était-elle ? Que lui était-il arrivé dans le passé ? Pourquoi s’était-elle enfui loin… Si loin de chez elle… ? Quel lourd secret cachait-elle… ? Qui était réellement Aïssatou ?
L’intrigue
Secrète et pas du tout immédiate, elle commence à se deviner à la page 107, pour s’affirmer totalement à la page 136.
En fait, ce n’est même pas l’intrigue qui ici est au cœur du roman, mais bel et bien la stigmatisation d’une dame âgée, solitaire et sans famille. Cette stigmatisation douloureuse propre à l’Africain qui soupçonne de sorcellerie toute personne avoisinant déjà 70 ans et encore un peu trop vivante sur terre, tandis que les plus jeunes meurent… C’est forcément Gogo Aïssa qui mange tous les enfants qui meurent au quartier… De plus, personne ne sait rien d’elle, elle a débarqué un beau matin il y a des décennies, personne ne la connait vraiment…C’est une mistirijo.
Cette intrigue secrète, dévoilée tardivement, vient juste rajouter du suspense à l’histoire. Elle est comme l’accident ultime : Le choc par excellence.
La chute de cette intrigue nous attend quand on arrive enfin, essoufflé au bout du pont : Elle est la récompense, le gros bonbon que Djaïli a réservé pour nous, pour nous récompenser d’avoir traversé le pont jusqu’au bout en endurant tous les accidents de la route. ET QUEL BONBON !!!!! Croyez-moi, il en valait la peine !!!
Le style : Un peu comme Munyal, Mistirijo a la tonalité profonde d’une prose poétique, sans être lourde. Les phrases sont simples et extrêmement digestes. Il y a, comme dans les deux autres romans de Djaïli, une intimité qui lui est propre. Le style est intimiste. Murmuré. Je compare toujours l’écriture de Dajïli à une marche silencieuse, sur la pointe des pieds, dans un couloir. On dirait une conteuse qui vous souffle à voix basse quand tout le monde dort, et qu’il ne faut surtout réveiller personne. La force de l’écriture de Dajïli c’est son ATMOSPHERE. On dirait une écriture voilée, oui voilée, toute en litote, toute en retenue, mais qui crie pourtant des vacarmes de douleur qui ne vous laissent pas indifférents.
Temps : principalement le passé simple et l’imparfait. Le présent et le futur de l’indicatif interviennent seulement dans les dialogues entre les personnages
La chute : Elle coule de source, douce et magistrale. Tout ici est dans la finesse.
Mon avis : Je n’avais pas encore lu Mistirijo, même si je l’avais acheté depuis de nombreux mois. J’aime déjà tellement Djaïli que je voulais me donner la chance de découvrir et d’aimer quelqu’un d’autre (rires !) Je trouve Mistirijo plus impliqué et plus soutenu dans le schéma narratif, plus recherché. L’histoire est poignante. Un roman profond de solitude, de douleur et de mystère. Le mystère est omniprésent ici. C’est le type de roman qu’on garde contre son cœur après l’avoir lu, en soupirant pour le digérer lentement. La violence envers les femmes est ici décriée avec une telle douceur et un tel chuchotement qu’on se rallie à Aïssatou sans même s’en rendre compte. Ce roman est un vrai baume au cœur. Ila rejoint mon chevet du lit. Je le relirai encore une 3e fois.
Mistirijo est le meilleur des 03 romans de Djaïli : En termes de singularité de l’histoire, en termes de la problématique soulevée, en termes de structure, en terme même de plume.

Mon analyse de « Le clan des femmes » de Hemley Boum

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Analyse littéraire du roman « Le clan des femmes » de Hemley Boum
En quoi consiste brièvement l’analyse littéraire d’un roman ?
Un roman est une œuvre narrative en prose. Analyser un roman revient à le lire de façon méthodique, et en faire un commentaire composé qui ressortira :
Le sens du roman,
Le mode de narration de l’auteur
Le schéma narratif du roman
Les éléments constitutifs du roman : les personnages, l’intrigue et sa forme (unique ? complexe ? enchâssée ?), le cadre spatio-temporel
Présentation du roman
Paru chez l’Harmattan en 2010, il s’agit du tout premier roman de l’écrivaine camerounaise Hemley Boum d’ailleurs lauréate de plusieurs prix, notamment :
Prix Ivoire en 2013 pour « Si d’aimer »
Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 2015, Prix du livre engagé en 2016, Prix Ethiophile (prix spécial du jury 2016), et prix les Afriques 2016 pour « les maquisards »
Prix Ahmadou-Kourouma en 2020 pour « Les Jours viennent et passent » dont nous avions déjà fait l’analyse sur cette page.
C’est en lisant « les jours viennent et passent » que je suis tombée amoureuse de la plume de Hemley Boum, et que j’ai voulu alors lire ses œuvres antérieures : Merci à Legrandvidegrenier Cmr et à l’écrivaine elle-même d’avoir rendu cela possible, car certains de ses romans deviennent difficiles à trouver.
« Le clan des femmes » est un roman de 137 pages, à la fois sobre tant dans son écriture, que dans sa structure… et même dans sa couverture.
Cette sobriété ou encore cette retenue, je l’avais retrouvée aussi dans « les jours viennent et passent ».
Autre chose qui me frappe ici : le rôle de la femme. Cet aspect est aussi présent dans « les jours viennent et passent ». Je commence peut-être à décoder l’ADN littéraire de Hemley Boum… je veux dire ce qui me fera reconnaitre sa plume même si le livre a perdu ses 1ère et 4e de couverture ainsi que toutes les indications y relatives. Car on analysera uniquement les romans de Hemley Boum cette année (ce qui est différent des brèves notes de lecture).
Je ne lis jamais pour lire. Au-delà de l’amour viscéral de la lecture. Je lis :
Pour regarder l’Univers à travers les yeux de quelqu’un d’autre et éventuellement m’ouvrir l’esprit et voir avec le sien, ce que peut-être je ne voyais pas avant… ce que j’appelle toujours en d’autres termes « faire l’amour avec l’auteur ».
Et si j’ai aimé… Je relis. Cette fois, pour identifier l’ADN littéraire de l’écrivain. Puisque j’ai aimé « faire l’amour » avec cet auteur, il entre dans le cercle de mes auteurs favoris et ceux-là, je dois pouvoir reconnaitre leur parfum dès la 1ère page même sans voir leurs noms inscrits. Croyez-le ou pas mais, en Littérature, il y a une sorte de code génétique : un squelette qui ne change jamais, peu importe l’intrigue que l’auteur raconte.
Padre me disait à Libermann : « l’intuition peut être une forme d’intelligence, si elle est pratiquée encore et encore comme une science. C’est toi qui n’as pas encore assez confiance en toi. Ne cherche pas à être ce que tu n’es pas. Tu es une enfant dans l’âme. Tant que tu dis que tu vois comme un adulte, tu demeures aveugle » faisait-il dans un sourire avant d’ajouter « et ton péché demeure ». Là, je pouffais de rire. « Je dois faire comment alors ? Aka ! Engelbert Mveng dérange ! je ne comprends rien ! » « Je te l’ai déjà dit : quand tu lis, oublies que tu lis. Imagine-toi si tu veux devant un buffet alléchant… et tu marches lentement pour sentir chacun des parfums de la table. Dis-moi ce que tu sens, ce que tu vois, ce que tu perçois… A force de humer, tu sauras reconnaitre chaque écrivain même s’il se camoufle, tu sauras le comprendre vivement comme un enfant sans trop intellectualiser. Demeure une petite fille et là… éphata ! tes yeux s’ouvriront. Maintenant, relis. »
De quoi parle l’œuvre
Le roman raconte l’histoire de la petite Sarah mariée de force quand elle avait 9 ans à un homme qui était assez vieux pour être son grand-père. Par les voix du narrateur et de Sarah elle-même, l’auteur nous fait vivre la précarité du présent et de l’avenir d’une femme née au Cameroun, en période précoloniale, au fin fond d’un village de la tribu Bassa. Une femme qui a traversé les générations et qui porte sur elle le poids des liens plus forts que le sang, des liens d’autres femmes qui ont marqué sa vie, le poids du stigmate de la stérilité, le poids de la fragilité de sa vie en tant que femme dans une société dirigée de main de maître par les hommes…
Sarah subit le viol à sa première nuit de noces. Son enfance est profanée car elle est mariée. Sara tombe enceinte après ses premières règles mais Sarah ne sait pas ce que signifie être enceinte. Sara est telle une brebis au milieu des louves, ses coépouses. Elle est encore une enfant mais elle subit déjà les jalousies perfides et les responsabilités de femme mariée. Mais Sarah a un ange gardien :Première Epouse, la matriarche de la concession, qui la prend farouchement sous son aile et défend farouchement au vieux mari de la toucher après une fausse couche extrêmement douloureuse, évacuée au bord d’une rivière dans des conditions précaires, et qui lui laissera longtemps des séquelles d’infertilité… Sara est héritée par le fils de son mari défunt, comme une simple parcelle terre, qui n’est bonne qu’à donner du fruit… mais Sara ne donne pas de fruit… Sara épouse ensuite le frère de son deuxième mari, telle la Samaritaine de la Bible que Jésus ce jour-là attendait au puits, faisant alors mine de vouloir se reposer… Sara a enfin trouvé l’amour en cet homme. Finie la polygamie. Il l’a choisie entre toutes. Uniquement elle. Mais Sara ne donne toujours pas de fruit… et ses entrailles vieillissent avec elle… telle Sara, la femme d’Abraham… et telle Sara la Juive, vers la fin de sa vie, après avoir veillé sur les enfants de la nouvelle femme de son mari, Sarah donne enfin du fruit : un fils. Un seul : Le père de Hemley Boum.
Thématiques :
Pour thématique principale ici, je ne dirais pas la stérilité… mais je dirais plutôt, la stigmatisation douloureuse de d’une femme du fait de son infertilité, dans une société africaine résolument traditionnelle où, ne pas enfanter est uniquement de la faute de la femme et symbole alors, d’inutilité sociale et même existentielle.
Ceci n’est pas une thématique ancienne, loin de là. Aujourd’hui encore, les valeurs culturelles et traditionnelles africaines-valeurs d’ailleurs magnifiques et que j’adore- gardent cette « répartition » claire des responsabilités de l’homme et surtout de la femme. Celle-ci est faite pour se marier et donner des enfants. Une femme qui ne remplit pas ces deux (02) conditions est aujourd’hui encore, perçue comme un peu « de travers »… dans ma tribu maternelle, qui meurt célibataire et jamais mariée voit alors son cadavre revêtue d’une belle robe blanche… Même après la mort, ce stigmate vous poursuit. Une femme qui n’a pas d’enfant est aussi perçue comme femme de mauvaise vie, et on dira « a bi ndé bamba ! a si ma pula ya ! » elle ne veut que se prostituer ! elle ne veut pas enfanter ! une femme qui n’arrive pas à donner du fruit est perçue comme sorcière au fur et à mesure que l’âge avance… et on dira « lémba ! a dédi bana bao bèsè o dibum ! » sorcière ! elle a mangé tous les œufs de son ventre !
Sarah ici cristallise non seulement la femme africaine dans cette souffrance d’infertilité mais également, toute la beauté de la culture africaine. Oui, je dis Beauté. Car, la beauté pour moi n’est pas synonyme de perfection, mais de clair-obscur. La beauté est cette forte identité traditionnelle et culturelle qui nous singularise au milieu de tous les autres peuples. Avec ses qualités et ses défauts, cette société africaine est belle car elle est unique.
J’aime également cette sororité entre femmes que l’auteur tisse, ceci se retrouve dans « les jours viennent et passent »… il y a chez Hemley ce lien très fort quoique discret entre les femmes sur plusieurs générations…
Il y a aussi cette puissance régénératrice de la Femme. Pour Hemley, c’est Elle qui peut créer et recréer l’Univers à chaque génération, à chaque lignée. Pas dans le sens d’enfanter, mais dans le sens même de vivifier, d’ordonner, de protéger le Monde du chaos, de RESTAURER. Première Epouse dans ce roman, est le personnage même qui porte sur lui tout ce symbolisme.
Chez Hemley, les personnages masculins sont parfois pâles, si pâles… mais on peut la lire sans même y faire attention… Je parle ici de son style.
Style :
Je parlais tantôt de sobriété. Tout est en retenue chez Hemley Boum, même les émotions qu’on aimerait parfois plus poignantes… il y a chez elle, un calme omniprésent même dans les scènes de chaos. Une « paisibilité », une humeur toujours égale. Sa littérature est sobre et sereine. On est dans une vallée calme où on se promène sans esclandre pour voir ce qui s’y trouve. Les phrases ont une construction simple, et le langage est dépouillé de toute complexité.
Dans ce 1er roman, même le souffle littéraire a été retenu et sobre. Choix intelligent pour un premier livre. 137 pages uniquement. On y voit une plume qui s’essaie, hésite, encore peu sûre d’elle mais ferme et sereine dans l’image qu’elle veut donner de Sarah et de la Femme en général. Il y a déjà ici un relief clair et précis de ce qui fera l’ADN littéraire de Hemley Boum plus tard dans « les jours et viennent et passent » où son style et son style sont déjà totalement épanouis.
Temps de conjugaison : Principalement le passé simple, l’imparfait et le présent de l’indicatif. Ce qui s’explique par le fait que le narrateur et Sara ont tendance parfois à raconter l’histoire comme si elle se déroulait là à l’instant, au beau milieu d’un paragraphe alors jusqu’ici conté à l’imparfait… à ce propos, je note un emploi inapproprié des temps de conjugaison qu’une meilleure relecture aurait pu assainir.
La structure du roman
Elle est linéaire et simple. Choix judicieux pour une plume en pleine naissance. Linéaire signifie simplement qu’on évolue étape par étape de manière chronologique. On parcourt la vie de Sara de ses neuf ans à l’accouchement de son unique enfant dans sa vieillesse. Excellent roman pour un lecteur qui a du mal avec les architectures compliquées, comme celle que Hemley développera dans « les jours viennent et passent ».
Les personnages :
Le paysage est ici dominé par les femmes : Sarah, Première Epouse, les coépouses, la guérisseuse pygmée, Lydie la seconde épouse du 3e et dernier mari de Sarah etc.
J’ai aimé l’absence de compétition ou d’antagonisme entre le personnage principal, Sara, et ses personnages directement connexes. Une amitié belle et inspirante se lie entre Sarah et Lydie.
Première Epouse resplendit par sa force de caractère, tandis que Sara, le personnage principal resplendit par sa discrétion et aussi, son abnégation.
Etait-ce intentionnel… ? je vous mets au défi à la fin de la lecture, de donner le nom d’un personnage masculin… les hommes n’ont pas de prénom ou de nom ici. L’auteur les désigne simplement par leur statut « Fils Aîné », « le Vieux », « mon Grand-père » etc. l’auteure décrit une société dirigée par les hommes mais elles ne leur donnent pas de nom… on voit très bien que l’auteur-metteur en scène donne à l’être Femme, le pouvoir de Décision et même de Sagesse que cette société s’entête à ne pas lui reconnaître.
Petit plus : J’ai beaucoup aimé le retour inattendu et inespéré du fils prodigue de Première Epouse, parti depuis longtemps explorer les terres d’autres mondes bien loin de l’Afrique… J’ai aimé ce personnage hors du commun dans une Afrique encore férocement traditionnaliste, et qui aura le toupet de choisir pour seule et unique femme Sarah la stérile. Toutefois, aussi attachant qu’il puisse paraître, je vous mets au défi de vous souvenir spontanément de son nom à la fin du roman… Chez Hemley, les hommes accompagnent simplement et c’est la Femme qui crée le Monde.
Mon humble avis : Si vous tombez un jour par hasard sur ce livre, devenu rare, n’hésitez pas… Surtout si vous êtes un jeune auteur : Ce livre, tant dans sa structure que dans son niveau de langue, a l’humilité et les premiers pas que vous devriez à tout le moins imiter.

Mon analyse de « Cahier d’un retour au pays natal » de Aimé Césaire

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Volet II : Son art de la comparaison sur le plan artistique & son art dans la description
Nous avions commencé à évoquer hier l’art de la comparaison d’Aimé Césaire et comment il la déploie dans la sémantique des mots de son texte. Tout ceci fait partie de sa technique de description. Césaire est un Monstre dans la description. Nous en parlerons cette nuit. Commençons avec l’analyse de la comparaison sur le plan artistique.
« La misère, on en pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever. Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardé d’un fard de poussière et de chassie mêlées. Elle avait tendu l’espace vide entre l’accrochement solide des mâchoires et les pommettes d’une vieille joue décatie. Elle avait planté dessus les petits pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le cœur, voûté le dos. Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prières sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid. Et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant. Il était COMIQUE ET LAID, COMIQUE ET LAID pour sûr. J’arborai un grand sourire complice… Ma lâcheté retrouvée ! »
N’avez-vous pas l’impression d’être face à un puissant tableau de peinture… ? là, en face de vous… ? c’est cela le génie de Césaire. Sa comparaison est de l’art dans toute sa splendeur ; il compare la misère à un être humain. Il personnifie la misère. Sous sa plume, elle acquiert soudain des émotions et même des mouvements d’humeur « la misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever ». Là dans mon imaginaire infantile de 8 ans, je voyais cette misère essuyer d’un revers de la main la sueur sur son front, exténuée… « un mal fou… » La misère devient subitement un sculpteur sui ponce, rabote, et creuse la statue de ce nègre assis dans un tramway.
La tension que crée la personnification de la misère, dans ce texte, oui, la Tension est inouïe. Vous lisez une description… sans vous ennuyer. Incroyable. A aucune ligne, vous ne vous ennuyez. Césaire réussit magistralement à créer de la Tension, du Mouvement, du Souffle, du Suspense… Dans une simple description. Pour qui s’exerce à l’écriture littéraire sait ô combien il est DIFFICILE DE CAPTIVER LE LECTEUR DANS UN PASSAGE DESCRIPTIF. Mais le Maître Césaire vous y accroche par les tripes. Tout ce texte n’est qu’une description. La description d’un ouvrier nègre qui revient probablement d’une journée harassante de boulot, et qui s’assoit, épuisé, dans un tramway. Aussi basique et insignifiant que cela. Mais vous haletez à chaque ligne : Ici réside la magie de la prose poétique ou de la poésie en prose.
Autre chose dans la description de Césaire, et je l’ai évoqué hier : IL PREND SON TEMPS. Césaire est détailliste, et minimaliste. On dirait une fourmi qui farfouille et s’arrête sur chaque recoin de ce nègre. Et à aucun moment, la profusion de détails ne vous ennuie.
Tout le texte est une poésie en prose ou peut-on encore dire, une poésie libre, c’est-à-dire qu’elle ne respecte pas le classicisme lyrique de la poésie en vers. On verra un jour les différentes déclinaisons de la poésie. Je ne veux pas entrer dans la profondeur du message subliminal de Césaire dans le cahier d’un retour au pays natal, et qui est ici résumé un peu dans le lâché de phrase « j’arborai un grand sourire complice… ma lâcheté retrouvée ! » On a vu hier comment Césaire s’approprie le mot nègre du colon raciste. Il l’assume et même il le sublime. Dans toute sa laideur et sa misère, ce Nègre dans ce tramway est sublime. Sublime de dignité, d’humilité et de vérité, d’authenticité ; contrairement à lui, Césaire, le bon nègre de maison, le nègre lâche et totalement déraciné qui, honteux de voir assis en face lui, la véritable condition de ses frères, préfère la fuir et en rire. 2 hommes Africains sont ici présents, chacun d’un côté du miroir.

Mon analyse de « Les jours viennent et passent » de Hemley Boum

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●  Roman de 360 pages
●  Genre : Fiction romanesque, saga, prose poétique.
●   Description de l’architecture du récit (style, présentation du récit, scène initiale)
Un patchwork, le patchwork de la vie. Un patchwork est une pièce de tissu composée de morceaux de différentes couleurs, cousus les uns aux autres. On en fait souvent pour les grandes couvertures soit du lit soit des canapés.
Ici, au Cameroun, on appelle cela « chercher le mot », vous voyez ces habits que le couturier réalise avec plusieurs bouts de tissus ou de tissus pagnes différents.
« Les Jours viennent et passent » est un patchwork de la vie. Ici, il n’y a pas une intrigue principale, à suivre tout le long de roman. Ici, le héros c’est l’Etre Humain Lui-même, c’est la Femme, c’est la Famille. On dirait une saga avec des épisodes qui se suivent mais s’entremêlent les uns dans les autres, c’est-à-dire qu’ils se suivent de façon logique et non pas comme une dictée en phrases détachées comme on nous en faisait au Primaire.
La maitrise du fil du récit ici, la maitrise est monumentale.
Il n’est pas aisé d’écrire un récit pareil, sans intrigue principale, sans héros principal, simplement des vies qui viennent et qui passent tout en étant liées les unes aux autres. Ecrire un tel récit, tout en le rendant captivant, relève d’une parfaite maitrise de l’art littéraire. Ecrire une vie ou des vies, ou une succession de vies, nouées les unes aux autres tels de gros nœuds d’une même corde, tout en créant à chaque génération, des personnages forts et caractériels tout aussi atypiques les uns que les autres, c’est cela le génie de Hemley Boum.
Elle sait exactement où elle va et où elle nous mène. Elle tient sa longue et robuste corde truffée de nœuds par intervalles, d’une main de fer : Chaque génération a une ou des problématiques fortes. Chaque génération.
Chaque génération est à elle seule 1 ou 2 romans à part entière. Chaque génération. On peut tout aussi bien les sortir du roman principal et avoir une histoire tout à fait complète. On peut tout aussi bien les réinsérer dans le Gros Œuvre sans qu’il n’y ait aucun déraillement, aucun couac, aucune dissonance.
Hemley a construit un Roman composé de plusieurs autres romans, l’histoire est époustouflante de fluidité, de logique et de finesse, et les histoires séparées, qui composent l’Histoire principale, sont toutes aussi complètes en elles-mêmes et époustouflantes de fluidité et de finesse : Mais comment a –telle fait cela ?!
C’est de la science. De la science littéraire. Oui, la Littérature est une Science.
L’écriture ici est dépouillée. Aucun fard. Aucun maquillage. Aucun trop plein la vue. Il faut se concentrer sur l’architecture déjà assez complexe, alors on ne va pas en rajouter avec une écriture trop hyperbolique. Non. On reste simple. Résolument simple.
Mais il faut un aromate tout de même. Il faut que cela sente bon. Il faudrait qu’on valse en traversant ces multiples vies, c’est-à-dire qu’on glisse sur plusieurs générations sans même s’en rendre compte, on ne doit que valser et valser l’air de rien.  L’architecte Hemley Boum doit nous distraire. Absolument. Sinon on trouvera cette saga lourde. Y’a-t-il aromate ou plutôt  valse plus entrainante que la poésie… ? Non. Alors, l’architecte Hemley nous sert en musique de la prose poétique. Tout le roman est une forte prose poétique.
Chuchotement poétique poignant.  Il y a de la douceur dans cette écriture. Aucune agressivité : Oui c’est une valse. Vous valsez, vous valsez et vous valsez… Les dialogues extérieurs (extravertis) et intérieurs (introvertis) des personnages augmentent le caractère poétique en créant une sorte de berceuse littéraire.
La valse est fluide… On glisse sur la piste les yeux et l’esprit tout entiers absorbés dans cette saga transgénérationnelle de femmes, d’amour entre les femmes, de lien caché et puissant entre les générations. Oui, c’est une saga.
Samagli et Awayah sont les deux matriarches ici. Si on dit qu’elles sont défuntes, ce serait essentiellement faux. J’insisterai beaucoup sur la racine « essence » contenue dans cet adverbe. Elles sont vivantes. Debout. Elles sont les deux colonnes stables et verticales d’une échelle : L’échelle de la vie, l’échelle de la famille.
Une célébration de la Femme, ESSENCE de TOUT. Entre Samgali et Awayah, passent des vies, elles ont engendré et construit des vies, comme les barres horizontales d’une échelle. Sans elles, les deux colonnes stables, l’échelle ne tiendrait pas. Tout s’écroulerait. Tout perdrait de son ESSENCE.
Alors, elles ne peuvent mourir. Non. Elles ne sont pas mortes. Elles sont éternelles. Elles valsent simplement dans la pièce d’à côté. Celle des anges gardiens de la famille. Celle que Anna rejoindra…
Anna, leur fille, la première barre horizontale de l’échelle, qui engendrera toutes les autres qui se superposeront au-dessus d’elle. Anna, celle qui doit transmettre aux autres l’ESSENCE de la Famille, l’ESSENCE de Samgali et Awayah. Anna qui a voulu fuir, tel Jonas fuyant la mission d’évangéliser Ninive… Mais Anna qui est rattrapée par le sang- le bois de l’échelle, le bois-sang qui lie toutes les barres les unes aux autres : On n’échappe pas à son histoire. Elle nous hante et nous détruit tant qu’on en fait pas un miel pour le présent et l’avenir, une ESSENCE qui justifie et donne un sens à notre vie.
Non, on ne vient pas sur terre pour rien, on vient perpétuer une vie, on vient perpétuer des vies. On vient vivre parce que d’autres ont vécu avant nous…  On vient vivre pour d’autres qui ont vécu avant nous. La valse ne doit pas s’arrêter. On doit continuer de valser.
1)      Histoire de Samgali et de Awayah
2)      Histoire d’Awayah et de Bouissi ou encore Anna de son nom de baptême
3)      Histoire d’Anna
4)      Histoire d’Abi et de son mari Julien
5)      Histoire de Tina et de Max
6)      Histoire des 4 amis : Jenny, Ismaël, Max et Tina
7)      Histoire de Jenny et d’Ismaël
Sept. Sept romans complets dans ce seul et unique chef d’œuvre : Les jours viennent et passent. Sept et pas moins. Comment a-t-elle fait cela ?! Sept. Entremêlés les uns aux autres avec une aisance …  Pourtant loin d’être évidente. Comment a-t-elle fait cela… ?! Sept. Sept gros nœuds sur une seule et même corde.
La corde du fil de l’histoire, de la saga. La corde que Hemley tient avec maestria, et sans l’air d’y toucher. Tout en courant dans le stade, de la situation initiale à la situation finale. Son souffle est hallucinant. Sept. Et pas moins. De la science. De la pure science. Comment elle fait pour tenir autant sur la distance ? Sur les générations ? 360 pages CAPTIVANTES. 7 romans dans UN SEUL. Hemley fait du 700 mètres impeccables et non bâclés.

  •   Scène initiale : Abi emmène sa mère Anna à l’hôpital… Et la valse débute sur ce trajet. Anna est en train d ‘être mourir… Et les souvenirs remontent à la surface. Le sang de Samgali et Awayah valse dans ses veines. Elle ne peut plus fuir. Elle se souvient. Elle doit se souvenir et léguer la valse à Abi… Elle doit lui raconter d’où elle vient, son histoire. Elle doit lui transmettre la vie…Cette échelle supportée par les deux colonnes Samgali et Awayah, on peut la monter et la redescendre tout en restant toujours dans la même famille : C’est une saga familiale.

Saga familiale, la famille constituée des morts qui sont toujours en vie, des vivants qui tirent leur substance vitale leur identité de l’histoire héritée des morts, de ces personnes autour de nous avec qui nous nouons des liens un peu comme des nœuds d’une même corde, elles se greffent à nous et font partie de nous ; les morts qui rentrent aisément dans notre vie à toute heure de la journée, le lien indestructible qu’il y a dans le sang qu’on nous transmet de génération en génération.
●   Problématiques :

  •          Tribalisme
  •          Endoctrinement des jeunes et enrôlement dans des sectes terroristes
  •          La nécessité de grandir au sein d’une famille
  •          La fragilité des jeunes filles abandonnées à elles-mêmes
  •          L’influence des blessures ou handicaps intérieurs dans le choix d’un conjoint, la décision de se marier et les brisures et ruptures dans ce mariage
  •          L’invitation à se construire avant de se marier et non de se marier pour se construire, il ne s’agit pas ici d’une construction externe à l’homme… Mais plutôt d’être un homme debout à l’intérieur. Ayant apprivoisé et même ayant pris conscience de ses démons, pour pas que ceux-ci détruisent sa vie psycho-affective et sociale. Etre un homme debout et non pas, se marier pour être debout.
  •          Le choc de cultures entre l’indigène et le colon
  •          Le manque de compréhension entre les 2 cultures, le manque de pont, d’inculturation : Awayah est cet africain encore d’aujourd’hui, allant à la messe par pure convenance mais ne renonçant pas à sa tradition : C’est plutôt une fierté ici qu’un reproche.
  •          Célébration de l’existence éternelle et perpétuelle des rites et traditions africaines
  •          Sournoiserie des belles familles africaines
  •          La force de la Femme en tant qu’essence de la famille. La féminité est ici célébrée et exaltée. A côté de ces femmes, les hommes semblent si enfantins, si perdus, si déséquilibrés… Comme une invitation à la Femme d’Afrique à prendre conscience de son importance en tant que canal de VIE mais alors pas juste la vie à l’accouchement, c’est bien plus que cela, en tant que canal de VIE comme canal du SENS D’UNE VIE, de l’ESSENCE D’UNE VIE.
  •          L’invitation à prendre en compte la beauté, la fragilité et l’importance dans nos vies, des gens qui nous entourent. Eux aussi, font partie de cette valse, eux aussi valsent avec nous.●   Ce roman est une célébration littéraire musicale :
  •          De la beauté de la vie
  •          De la beauté des drames qui jalonnent ou musicalisent notre vie
  •          De la fragilité humaine
  •          De la famille aussi toquée soit elle
  •          De l’Humain, tout simplement.●   Mon avis :

Je n’avais encore jamais lu un Hemley Boum. Eh oui, j’ai commis cet impair (sourire). Ce roman est mon tout premier. Un Chef d’œuvre.
La force de ce récit est son ARCHITECTURE. Oui, écrire est une science. Hemley Boum est magistrale. Oui. Magistrale. Roman à avoir à tout prix dans sa bibliothèque.
A lire et à relire. Je vous promets une valse sans fin. Vous valserez tant et si bien qu’à la 360e page, vous aurez le réflexe ô combien naturel de chercher la 361e, et donc de valser encore… Encore… Et encore…
« J’attendrai puisqu’il le faut, puisque tu me le demandes.
La peur au ventre j’attendrai car je ne crois plus aux promesses de l’avenir.
Tu l’as bien vu, le temps qui passe ne nous appartient pas.
Un battement de cils, à peine une absence
Et ta famille s’écroule, tes amis meurent.
Le sol se dérobe sous tes pieds.
Ta vie s’effrite entre tes doigts sans que tu n’y puisses rien changer.
J’attendrai quand je voudrais ne jamais te quitter des yeux, te garder près de moi.
J’attendrai quand je voudrais veiller sur ton sommeil et m’assurer à chaque minute à chaque seconde des battements de ton cœur.
J’attendrai quand je voudrais nous garder sous cloche pour nous protéger de la furie du monde.
J’attendrai car ce n’est pas le regard qui crée la beauté, la beauté est la beauté ! en cela, elle attire le regard.
Tu es la beauté et moi le regard ébloui, foudroyé, j’attendrai mais je voudrais te dire :
Que nous ne serons plus jamais aussi libres, aussi forts qu’en cet instant fragile et souverain.
Que ce qui n’est pas aujourd’hui est perdu pour toujours.
Car la folie guette et la mort rôde.
Que c’est maintenant, là, toutes affaires cessantes qu’il faudrait s’aimer.
Mais j’attendrai puisqu’il le faut, puisque tu me le demandes. »

Mon analyse de « Les 700 aveugles de Bafia » » de Mutt-Lon

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( En quoi consiste l’analyse littéraire d’un roman ?
Un roman est une œuvre narrative en prose. Analyser un roman revient à le lire de façon méthodique, et en faire un commentaire composé qui ressortira :

  • Le sens du roman,
  • Le mode de narration de l’auteur
  • Le schéma narratif du roman
  • Les éléments constitutifs du roman : les personnages, l’intrigue et sa forme (unique ? complexe ? enchâssée ?), le cadre spatio-temporel

( Présentation du roman
Il s’agit du troisième ouvrage de Mutt Lon, auteur du célèbre « ceux qui sortent dans la nuit » paru aux éditions grasset en 2013, et qui avait obtenu le prix Ahmadou Kourouma en 2014.
Les 700 aveugles de Bafia, paru aux éditions Emmanuelle Collas le 17 janvier 2020, est un récit de 258 pages, qui mêle à la fois Satire, Aventure et Histoire. Ce roman s’inscrit dans un registre particulier qui semble bien être la génétique littéraire de Mutt Lon à savoir : la réécriture de l’histoire du Cameroun sous forme romancée.
( De quoi parle l’œuvre
Dans ce troisième roman, Mutt Lon lève le voile sur un génocide occulté et effacé des livres d’histoire, et qui s’est déroulé dans les villages de Bafia, lors de la mission du Docteur Jamot, célèbre jusqu’aujourd’hui dans nos écoles en tant que héros de la lutte contre la maladie du sommeil.
Le lourd secret de la mission de Jamot est ici mis à nu, à savoir près de 700 indigènes frappés de cécité sous le coup d’un mauvais dosage, lors des expérimentations de l’équipe de Jamot. Un drame qui s’inscrit dans le long sillon des violences coloniales, et qui a effectivement eu bel et bien lieu. Voici le coté historique du roman.
Le coté Aventure est ici, la romance qui porte avec beaucoup de divertissement et d’humour, le drame réel qui s’est passé : Face à la cécité ambiante dans les villages, les indigènes se mettent en colère et une révolte s’enflamme.
Les équipes du Dr Jamot sont alors obligées de se terrer et de se cacher dans les brousses, aidées par quelques domestiques indigènes restés fidèles. La nièce de Charles Atangana est une infirmière dans l’une de ces équipes.
Jamot, qui est resté en ville, reçoit un ultimatum de Charles Atangana : Ce dernier lui donne dix (10) jours pour ramener sa nièce saine et sauve, sinon il ira lui-même faire la guerre aux Bafia qui retiennent sa nièce captive. Pour éviter une terrible guerre tribale qui détruirait politiquement et de manière irrévocable sa mission, Jamot demande à Damienne d’infiltrer la forêt Bafia et d’en extraire Edoa, la nièce de Charles Atangana. Telle est l’intrigue.
Damienne réussira-t-elle sa mission dans les délais impartis… ? Trouvera-t-elle Edoa… ? Et Charles Atangana, dans sa colère, tiendra-t-il parole et attendra-t-il dix jours ? Quel sort va-t-il réserver à Jamot ? Que va-t-il arriver à Damienne, cette Française perdue au milieu d’une brousse qu’elle découvre pour la toute première fois… ? Face à quels dangers sera-t-elle confrontée…?
( Le cadre spatio-temporel : Le décor est planté simplement et sans équivoque. L’histoire se déroule en 1929 dans les villages de Bafia au Cameroun, dans une Afrique coloniale.
( Temps de conjugaison : Principalement l’imparfait, le passé simple, le présent de l’indicatif.
( La structure du roman
Le schéma narratif du roman est très simple à suivre :
( Situation initiale : 32 ans après le drame, Damienne revient au Cameroun, et par ses souvenirs, le personnage nous plonge dans l’histoire et les enjeux de 1929.
Et quand on entre dans le contexte de 1929, qui fait 95% du roman, voici de façon très simplifiée le schéma :
Narration de l’intrigue———- Saut dans un passé proche par les souvenirs de Damienne, qui lève un pan sur sa propre vie ————Retour à l’intrigue—————-Saut dans un passé proche par les souvenirs de Damienne, qui lève un pan sur sa propre vie————–Retour à l’intrigue.
Et ainsi de suite.
( Les personnages : L’auteur campe ici des personnages principaux. En effet, pour moi il n’y a pas ici un mais trois personnages principaux :
1) Ndongo le pygmée, qui sert de guide à Damienne dans la forêt de Bafia. Ce personnage hautement charismatique, et qui corse le récit, a sa science, sa religion et sa philosophie à lui. Et il la porte fièrement. Il représente l’Africain non aliéné et non dilué par la science du colon.
2) Damienne Bourdin. Ce personnage n’est pas si futé, ou intelligent que cela, elle est le vilain petit canard et la ratée de sa famille. Mais elle est la patronne ou se veut la patronne de la mission de sauvetage, donc la patronne de Ndongo (Sourire… je vous dirai pourquoi je souris). Entre ces deux personnages, se crée la dialectique du maitre et de l’esclave ; Damienne est à la merci de Ndongo dans cette forêt qu’elle ne connait pas. En fait c’est lui le maitre de la mission. C’est lui qui dit quand, où et comment se déplacer. Damienne se retrouve protégée par cette Afrique indigène qu’elle vient « sauver »
3) Edoa, la nièce de Charles Atangana : Personnage fascinant et caractériel. Bien qu’intervenant à partir de la page 157, et non pas au tout début du roman, ce personnage est clé, et magnifique d’émancipation et d’assurance.
( Les péripéties et les coups de théâtre : Il y en a en profusion dans ce roman.
( La situation finale : Mutt Lon boucle avec maestria son schéma narratif. Pas de fin bâclée ou faite à la hâte.
( Le souffle : Mutt Lon a du souffle. J’explique toujours de façon enfantine, on comprend mieux. Vous voyez lorsqu’un sportif fait du 100m ou 400m… ? Très bien. Maintenant visualisez bien comment il joue avec sa respiration pour tenir sur la distance et ne pas lâcher.
Par analogie, le souffle littéraire n’est pas si différent de cela : Aucune page niaise ou ennuyeuse, aucun relâchement dans la tension du récit. Mutt Lon ici sprinte sur du 258 pages en vous tenant en haleine. Aucun relâchement dans la tension du roman. Aucune phrase bâclée. Aucun mot superflu. De la situation initiale à la situation finale, il sprinte sans sortir de son couloir : Maitrise parfaite du fil de l’histoire et de l’intrigue. On n’est pas perdu dans le récit, parce qu’il ne nous perd pas, il court droit devant lui avec suspense et aventure, et il boucle l’histoire dans une chute sans équivoque à ligne d’arrivée, sous nos applaudissements. Un chef-d’œuvre.
( Les phrases : simples, courtes. Pas de longues phrases qui perdent le lecteur. Pas d’envolées lyriques qui alourdissent l’évasion.
( L’intrigue peut être vue comme complexe, simplement parce que les destinées de plusieurs personnages se croisent : Ndongo, Damienne et Edoa. Mais l’intrigue en elle-même n’est pas complexe dans son fil historique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas du tout difficile à suivre et à comprendre.
( Les thématiques
Les personnages du roman sont pensés et calculés. Rien n’est anodin. Et leurs histoires personnelles constituent 80% des thématiques de ce roman. Mutt Lon aime beaucoup ce que j’appelle la tactique de la poupée russe. Vous savez cette poupée qui renferme à l’intérieur une poupée, qui elle aussi, en renferme une autre et ainsi de suite.
Qui se limite à la thématique globale de la violence coloniale aura loupé 90% des problèmes que soulève ce roman. Ce n’est qu’un arbre qui cache d’autres sous arbres tout aussi énervants et perturbants (j’ai eu envie de gifler un personnage représentant le bon nègre de maison, tout le contraire de Ndongo). Nous avons ici, comme thématique entre autres (il y en a beaucoup) :

  • L’auteur défend la science, la spiritualité, la philosophie, et même le dialecte propres de l’Afrique. Ndongo n’a pas besoin de se convertir à la culture de Damienne, d’ailleurs ici la sienne semble si pâle à côté de celle de Ndongo…
  • Les esbroufes et tocades à la Religion, qui fait des africains, selon l’auteur, de bons nègres de maison totalement aliénés de leur propre identité.
  • La remise en cause des héros enseignés dans nos livres d’histoire à l’école : Dr Jamot, et du contenu même de nos livres d’histoire.
  • Le viol de la Mémoire Collective.
  • L’Africain digne et le Nègre de maison : 2 choix sont ici comme présentés au lecteur.
  • Le colon qui vient être le supérieur hiérarchique et le patron de l’Africain en Afrique, alors qu’il est lui-même un raté dans sa propre culture et sa propre éducation européenne. Parfois, il n’est même pas si diplômé que cela (voilà pourquoi je souriais plus haut…). Une problématique qui dérange parce qu’encore trop actuelle.
  • Damienne et Edoa, entre ces deux femmes, la différence est frappante… Mais je vais vous laisser la découvrir (sourire)

( Mon humble avis
J’avais déjà partagé mes impressions dans une vidéo-note sur les 700 aveugles de Bafia. C’est un chef-d’œuvre à lire par tout Camerounais et Africain. Un roman qui a toute sa place dans nos programmes scolaires et mérite d’être enseigné à la jeune génération. Mutt-Lon confirme ici, sa place stratégique dans la littérature camerounaise et afrodescendante. A côté d’un Mongo Béti, on devrait tous avoir un Mutt Lon.
Je vous ferai ressortir en conclusion, les CONSTANCES du style littéraire de Mutt Lon, après qu’on ait analysé ses trois œuvres.
Vous savez, ce qui peut vous faire reconnaitre un Mutt Lon, quand bien même les 1ère et 4e de couvertures seraient complètement arrachées, et que vous n’ayez même pas le titre sur l’une des pages. Ce qui peut vous faire tiquer en vous disant : « ça… Ça doit être Mutt Lon. »

Mon analyse de « La procession des charognards » de Mutt-Lon

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■ Présentation générale de l’oeuvre: Particularité/ Point fort
C’est le deuxième roman de l’auteur. Il a paru en 2015 aux éditions Clé à Yaoundé au Cameroun. Ce roman ne semble pas très connu du grand public, dû manifestement à une promotion et une distribution questionnables de l’éditeur.
Il traite « en apparence » (vous comprendrez les guillemets plus bas) de la vie insoupçonnée d’un groupe secret de pilleurs de tombes, dans un village Bassa. Comme à son habitude, l’auteur s’intéresse ici, une fois de plus, au côté caché et non révélé des choses.
Toutefois, contrairement à « Ceux qui sortent dans la nuit » et « Les 700 aveugles de Bafia », il n’y a pas d’intrigue ici en tant que tel.
Humblement, je m’explique :
L’intrigue est un nœud dans lequel sont liés plusieurs personnages, et duquel ils doivent se tirer. Alors l’auteur enchaine les incidents, et les actions dans ce nœud. Il faut une situation majeure qui vient perturber la vie des personnages : Une vengeance suite à un tort, ou une faute, un adultère coupable à ne pas démasquer, une guerre socio-politique, cela peut être même une guerre chimique, un sacrifice pour un but précis alors le ou les héros vont rencontrer des obstacles/ péripéties/incidents sur leurs chemins, un amour interdit, une conspiration etc.
Je vais m’expliquer encore de façon enfantine (c’est parce qu’en classe, je ne comprenais jamais d’un trait, jamais. Je me souviens des moqueries et de l’exaspération de mes camarades « mais qu’est-ce qu’elle peut être bête » et longtemps j’y ai cru. N’eut été la patience des prêtres jésuites de Libermann, je n’aurai jamais compris bien des notions ; alors à la fin des cours, le Padre m’instruisait seule et lentement, c’est pourquoi j’ai le réflexe d’expliquer les choses de manière enfantine « tu n’es pas stupide, ce sont eux qui sont pédants » disait le prêtre en retroussant ses manches et en recommençant le cours à zéro).
Alors, en langage imagé d’enfant, c’est quoi une intrigue… ? Vous voyez, lors d’une fête, quand on danse en cercle ? On se tient souvent soit par la main, soit par par les reins, soit par les épaules et on danse en cercle, parfois on fait le tour de la salle et des invités s’invitent dans le cercle, vous voyez… ? Très bien. Le cercle là, dans lequel les invités/ personnages sont liés l’un à l’autre d’une manière ou d’une autre, c’est l’intrigue. En termes simples, le problème à résoudre. On court quel danger ? Quelle épée de Damoclès pèse sur nos têtes ? Les personnages dansent dans le cercle, c’est-à-dire, ils se démènent tant bien que mal pour sortir du nœud dans lequel ils sont coincés, et liés l’un à l’autre d’une manière ou d’une autre.
Les invités qui rentrent dans le cercle pour danser avec nous, et donc, qui n’étaient pas dans le cercle originel quand on a commencé la danse, ce sont les incidents/ les péripéties/ les événements, que les personnages ne prévoient pas et qui leur tombent dessus. Mais ils dansent quand même avec eux, parce que ceux-là ont aussi été invités au mariage.
Vous les voyez n’est-ce-pas… ? Au fur et à mesure que le cercle progresse au milieu des tables, ils s’invitent dans le cercle et se mettent entre les danseurs originaux/les personnages : Ils corsent et gonflent le cercle. Ils sont des événements qui donnent une tension et un spectre plus large à l’intrigue.
Le mariage c’est le roman, et l’organisateur du mariage, c’est l’auteur. Il organise comme il veut. Il impose aux personnages, des événements avec lesquels ceux-ci doivent tant bien que mal vivre ou se tirer, car ces événements font aussi partie du roman.
Le danseur vedette qui est toujours devant, vous voyez celui qui dans les fêtes met toujours l’ambiance, se lève et commence à créer le cercle pour chauffer la salle, parfois l’organisateur du mariage-roman l’invite exprès parce qu’il sait que grâce à lui, sa fête sera mémorable, celui-là c’est le leader : Le héros du roman. Il est devant parce que c’est lui qui porte tout le cercle, s’il s’arrête de danser, les autres invités refroidissent d’ardeur. C’est sur lui que repose principalement le cercle, le nœud, l’intrigue.
Donc pour l’intrigue : Il faut une situation, un nœud ou un problème dans lequel sont empêtrés le héros et les personnages connexes, et duquel ils doivent à tout prix se tirer. Il faut un héros, il faut un adversaire ou des vents contraires. Il faut un enchaînement de péripéties ou d’incidents qui tombent sur la tête de notre héros.
En se basant sur cette définition classique de l’intrigue, dans le roman « la procession des Charognards », il y a bien une situation perturbante qui tombe sur notre héros Christian Ngombi : Il est initié à son insu dans le pillage mystique des tombes. Et le seul événement auquel il participe c’est le pillage de la tombe de son propre père. Y a-t-il plus perturbant que cela… ? Non. On est bien d’accord. Pour une perturbation, c’ en est une.
Toutefois, notre héros n’a pas vraiment une péripétie de dangers sur sa route… Ni une pléiade d’adversaires/vents contraires, qui le guettent ou veulent en découdre avec lui. Celui qui aura tout cela, donc toutes les caractéristiques d’une intrigue, c’est le personnage connexe et ô combien charismatique qu’est Otto Makang, l’oncle de notre héros.
■ Point fort: Et c’est ici que se déploie la capacité de génie d’un auteur (ce type d’intrigue à un degré beaucoup plus soutenu et complexe, Hemley Boum l’applique aussi avec maestria dans son dernier roman « les jours viennent et passent » que j’analyserai pour vous dans les prochains jours »):
En effet, comment captiver le lecteur sans intrigue ? Sans qu’il y ait véritable danger ou épée de Damoclès sur le héros ? Sans que ce dernier ne court après quelque chose ou après le temps ? Sans que quelque chose ou danger ne court après lui ? Comme dans « ceux qui sortent dans la nuit » ? Car oui, c’est possible qu’un roman n’ait pas d’intrigue. C’est possible. Et il faut donc être un grand auteur pour tenir le lecteur captivé et en haleine.
Parce que, quand bien même c’est Otto Makang qui a des événements et incidents en face de lui, ces dangers/incidents/vents contraires font partie du passé. Un passé qui ne porte aucune menace transmissible à notre héros. Donc, ils n’ont aucun impact, ni éventuelle catastrophe sur notre héros. Otto se raconte simplement.
Ici, le seul principal adversaire du héros c’est lui-même : Christian Ngombi veut se suicider, parce qu’il vient de profaner le cadavre de son propre père. Il est perturbé psychologiquement. Son oncle Otto Makang l’a initié dans le pillage mystique des tombes, le rite particulier du désossement des cadavres dans la nuit, pour en revendre les os dans le marché obscur de la science.
Notre héros envoûté par son oncle (car, il faut d’abord envouter un futur pilleur de tombe pour qu’il ne parle pas, et pour qu’il entende le son du cor mystique qui l’appelle la nuit, pour rejoindre les autres adeptes de l’exhumation des cadavres), notre héros, participe au désossement du cadavre de son propre père. Traumatisé, il veut se suicider, car il ne sait comment vivre avec cette double identité, il a peur de ne pouvoir l’assumer. Voici l’intrigue.
Elle est plus psychologique que liée à un enchainement d’événements sur le héros.
98% du roman se centre sur Otto Makang : Pour remonter le moral de son neveu, il lui raconte sa propre histoire.
Ce roman, c’est les mémoires d’Otto Makang, ses confessions jamais avouées auparavant.
■ Thèmes:
Une fois encore, Mutt-Lon remet ça avec ce que j’appelle la tactique de la poupée russe, c’est tellement caractéristique de lui que cela semble couler de source :
Le récit d’Otto Makang va toucher à l’histoire du Cameroun (souvenez-vous, je vous avais dit que cela faisait partie de la génétique littéraire de Mutt-Lon : Réécrire l’histoire du Cameroun, ou plutôt la vraie histoire, celle qu’on n’enseigne pas dans les livres d’écoles).
Les mémoires croustillantes d’Otto qui se raconte, ne sont en fait qu’un leurre, un appât mis en avant par l’auteur, pour attaquer le sujet qui lui tient à cœur : l’Histoire cachée de l’indépendance du Cameroun, les dessous de tables inconnus du public.
S’il y a une chose que j’apprécie chez Mutt-Lon, c’est sa ruse ; le décor trompeur qu’il plante. On dirait un DJ qui vous promet de l’Ambassi-Bé mais qui à un moment de la fête, opère un glissement vers l’Esèwè. Si vous n’êtes pas attentifs, vous continuerez à danser, parce que les sonorités se ressemblent apparemment. Vous continuerez de danser… C’est là où Mutt-Lon devient dangereux. Il vous fait danser… Donc acquiescer. Il suggère sans l’air d’y toucher, et vous dansez de son côté sans vous en rendre compte.
Mutt-Lon touche ici :

  • Le point du viol de la Mémoire Collective
  • Les indépendances vues par un pilleur de tombe Otto Makang, un personnage ordinaire inconnu au contraire des grands héros de l’histoire du Cameroun, mais qui nous emmène dans des sortes de vestiaires de cette indépendance
  • La fourberie du colon dans son initiative d’usurpation et de pillage des secrets de la tradition africaine, le colon représenté ici par un pharmacien Français
  • Les corruptions du système politique néo-indépendant, représenté ici par un Ministre (membre de la secte secrète des 9 pilleurs de tombes)
  • La lutte des héros nationalistes de l’UPC
  • La participation encore jamais entendue des pilleurs de tombes Bassa dans cette lutte pour l’indépendance du Cameroun
  • Le rôle fourbe de l’Eglise dans la domination continue des peuples néo-indépendants ici représenté par un Curé Français qui est aussi un agent d’information, etc.
  • Le rôle quasi incestueux de l’Eglise dans la colonisation et le maintien psycho-social de la dépendance des peuples néo-indépendants.

Sur 175 pages, Otto se raconte de la page 31 à la page 170. L’épicentre du roman c’est lui. Il y a souvent dans les fêtes, un danseur imprévu qui danse tellement bien qu’il ravit la vedette au leader-héros : C’est Otto.
■ Schéma narratif:
La structure du roman est vraiment des plus simples, comme si l’auteur n’a pas voulu en rajouter sur une intrigue déjà assez rocambolesque de pillage de tombes.
Les 4 chapitres coïncident ici avec le schéma narratif du roman.
Chap 1 : L’envouté, pages 1-30, notre héros Christian Ngombi est initié dans l’exhumation des cadavres
Chap 2 : Le maquisard et chap 3 : Le pilleur, donnent la parole à Otto Makang, p 31-170
Chap 4 : le successeur, page 171-174, Décision propre du héros face à son destin, va-t-il l’accepter ou va-t-il chercher un moyen de s’en défaire ? (Drame psychologique).
■ Situation finale:
Mutt-Lon encore, comme dans ses romans, se défile pour laisser le lecteur face à un choix. Et la pire question vous assaille : Est-ce si mauvais que cela l’exhumation des cadavres… ? Cette vie double et secrète est-elle si blâmable… ?
L’organisateur du mariage-roman vous a roulé dans la farine, c’est à la fin de la fête que vous réalisez que vous dansiez sur l’Esèwè depuis le début, et vous n’êtes plus si sûr d’aimer encore tant que cela l’Ambassi-Bé… A vous de vous décider à la fin de votre lecture.
On remarque une absence volontaire de stigmatisation de la tradition et de ses rites, comme dans tous les romans de Mutt- Lon.
Il ne prend pas position à la fin, il se limite à poser le débat et à laisser le lecteur dans une réflexion et une décision personnelles.
■La construction des phrases est simple et propre à Mutt-Lon : strict minimum, adverbe ou adjectif uniquement si nécessaire. Mutt-Lon ne verse pas dans l’hyperbole ou la caricature. Il demeure résolument simple : Sujet + verbe + complément. Un mot n’est là que s’il est nécessaire ; pas d’exagération inutile. Une écriture dépouillée et résolument simple, au service d’une intrigue atypique : voilà une caractéristique de Mutt-Lon.
■ Mon humble avis : Au risque de me répéter, à côté d’un Mongo Béti, on devrait tous avoir un Mutt-Lon au chevet du lit. Roman disponible auprès de Legrandvidegrenier ( page facebook).

Mon analyse de « Ceux qui sortent dans la nuit » de Mutt-Lon

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Analyse littéraire du roman « Ceux qui sortent dans la nuit » de Mutt-Lon
Ø Présentation du roman
« Ceux qui sortent dans la nuit » paru aux éditions grasset en 2013, est le premier roman de Mutt Lon. Il a obtenu le prix Ahmadou Kourouma en 2014.
Il traite principalement d’un usage scientifique et codifié de la magie africaine, pour le développement socio- économique, intellectuel de l’Afrique et son rayonnement dans le monde.
Ø Genre
« Ceux qui sortent dans la nuit » est un roman d’aventure et à suspens, on dirait même un polar qui se joue dans un univers mystique.
Ø De quoi parle l’œuvre (Résumé)
Alain Nsona veut venger la mort mystérieuse de sa petite sœur Dodo. En effet, celle-ci lui a révélé avoir subi le courroux d’une meute d’éwusu, c’est-à-dire les sorciers qui sortent dans la nuit.
Pour la venger, Alain Nsona se fera lui-même initier à la sorcellerie et deviendra un éwusu.
Toutefois, son projet se trouve transformé totalement par l’académie de sorciers en question ( la meute), qui lui impose d’œuvrer avec eux pour un objectif scientifique bien plus grand, qui propulsera l’Afrique au même niveau scientifique que les autres continents.
Pour cela, Alain Nsona, qui est déjà lui-même un éwusu, devra remonter le temps et rentrer en 1705, dans un village Bassa, apprendre auprès d’un certain Jam Liba, un chasseur, le secret de la dématérialisation des objets, et ramener ce secret à l’académie des sorciers.
Le temps est compté car Jam Liba mourra à la prochaine saison des mangues…
C’est quoi exactement la dématérialisation des objets ? Il s’agit simplement d’une technique de multiplication invisible d’un même objet. Ce qui fait que le sorcier peut facilement contrôler le déplacement d’un objet dans l’espace, parce qu’il aura pu par exemple, multiplier plusieurs fois un même wagon pour le transporter tout le long d’une trajectoire précise. C’est ce secret qu’Alain Nsona doit aller chercher en 1705 et ramener aux éwusu.
Alain réussira-t-il à ramener ce secret aux sorciers… ? Et si les villageois de 1705 se rendent compte de la supercherie… Car Alain Nsona le jeune éwusu ne parle pas le Bassa ancien de 1705… Et si Jam Liba le redoutable chasseur s’en rend compte… ? Alain reviendra t-il sain et sauf de cette mission périlleuse ? Quelle révolution scientifique les éwusu veulent réellement opérer avec le secret de Jam Liba ?
Ø Le cadre spatio-temporel : Deux époques sont ici superposées : 1705 et 2011 au Cameroun, et dans 2 Cameroun: Un Cameroun originel qui n’avait pas encore connu la colonisation, et un Cameroun contemporain totalement aliéné à sa propre culture.
Toutefois, on remarque la mention de 2011 une ou deux fois pas plus… Un peu comme si l’auteur suggérait que la révolution en question pouvait avoir lieu, maintenant, demain, à n’importe quel moment, le plus tôt possible…
Ø Temps de conjugaison : Principalement l’imparfait, le passé simple, le présent et le passé composé de l’indicatif.
Ø La structure du roman
Scène initiale : Alain Nsona enterre sa petite sœur, puis il force sa grand-mère à lui dire toute la vérité sur les éwusu.
Le schéma ici est progressif, comme une sorte de pédagogie, le cœur même du roman, c’est-à-dire l’intrigue autour de la dématérialisation des objets, ne débute qu’à la page 108, sur les 307 pages qui constituent le roman.
1) Pages 11 – 18 : Alain Nsona confronte sa grand-mère
2) Pages 18-80 : a) Récit de la grand-mère sur l’initiation de Dodo à la sorcellerie et les aventures astrales de la petite fille, b) Récit de la grand-mère sur sa propre initiation à elle-même lorsqu’elle était enfant.
3) Pages 80-90 : Initiation d’ Alain Nsona à la sorcellerie.
4) Pages 90-108 : Filature d’Ada, un grand éwusu, par Alain Nsona qui veut le tuer pour venger la mort de sa sœur Dodo.
5) Pages 108-131 : Exposé des éwusu à Alain Nsona sur l’objet de leur quête et leur objectif d’une révolution scientifique grâce à la sorcellerie. (C’est ici qu’on entre dans le vif de l’intrigue).
6) Pages 131-166 : Initiation d’Alain Nsona dans le voyage dans le passé, en 1705, par l’académie des éwusu avec en tête, Ada.
7) Pages 167-300 : L’intrigue proprement dite. Alain Nsona est maintenant en 1705 et doit ramener aux sorciers qui l’attendent, en 2011, le secret de la dématérialisation des objets.
8) Pages 301-307 : Scène finale, et clôture volontairement semi-ouverte de l’auteur, qui semble laisser le lecteur face à un choix…
§ Les personnages : Même si le personnage principal est bien évidemment Alain Nsona, l’auteur lui colle des co-équipiers tout aussi présents et imposants, au fur et à mesure qu’on progresse dans le récit : La grand-mère ( de la page 11 à la page 80), c’est elle qui parle, elle est omniprésente ; le sorcier Ada ( de la page 108 à la page 131), c’est lui qui parle ; Jam Liba, de la page 167 à la page 300.
Jam Liba est un personnage crucial dans ce récit, sa science et sa ruse agrémentent considérablement le séjour d’Alain Nsona en 1705. Le suspense est ici à son comble.
§ Les péripéties et les coups de théâtre : Je me suis régalée ! il y a des scènes où je poussais carrément des cris. Mutt Lon est progressif dans le suspense, et excelle ici dans l’inattendu.
§ Le souffle : J’ai déjà parlé du souffle de Mutt Lon. Dans « Ceux qui sortent dans la nuit », son souffle est tout simplement phénoménal. Il sprinte ici sur 307 pages, avec un suspense qui n’a pas de répit. Il n’ y a aucune pause dans le suspense. On demeure en action permanente. Sa maitrise parfaite du fil de l’intrigue, tout au long des péripéties d’Alain est tout simplement magistrale. Mutt Lon ne sort jamais de son couloir. Il ne se perd jamais. Mutt Lon sprinte, il n’arrête pas de sprinter.
§ Les phrases : Elles sont parfois longues à cause des récits initiatiques de certains personnages. C’est pourquoi, j’apprécie ici la simplicité dans la construction des phrases. Encore une fois, on peut écrire du très bon Français sans qu’il soit forcément lourd. Les phrases se dévorent et se digèrent d’une traite.
§ L’intrigue est définitivement complexe : plusieurs personnages ici se croisent et se racontent. Leurs récits se superposent, et créent comme un agréable jeu de cartes. L’intrigue en elle-même, était déjà assez complexe à suivre, c’est pourquoi, et avec justesse, l’auteur évolue de façon pédagogique, ainsi qu’on l’a vu dans le schéma narratif du roman. Cette évolution par étapes, donne une agréable fluidité à l’intrigue, et une compréhension aisée.
Ø Les thématiques
Vous vous souvenez de la tactique de la poupée russe… Eh bien, Mutt Lon n’en démord pas. Encore une fois, ses personnages sont bien pensés et calculés et représentent chacun une sorte de problématique que l’auteur pose, sans apparemment prendre parti… mais en prenant parti quand même (sourire).
Plusieurs thématiques s’entrecroisent ici, entre autres :

  • Une jeunesse déracinée et qui n’est pas à l’écoute des vieux : Alain Nsona, s’il veut atteindre son objectif, doit se ressourcer auprès de sa grand-mère au village… Là où il n’allait pas très souvent. Il y a ici comme un reproche fait à la jeune génération, de laisser mourrir la culture et la tradition parce qu’ils ne se rapprochent pas de leur village, de leurs parents, de leurs racines.
  • L’auteur défend la sorcellerie comme étant simplement une science, une science propre à l’Afrique mais qui est mal appréhendée et mal vue à cause de la modernisation, et ce, depuis le colonialisme. Il semble militer pour une réappropriation des secrets de la sorcellerie, par les Africains, pour un bond scientifique et économique de tout le continent.
  • Des taloches à l’Eglise, en effet dans le roman, des personnages comme des diacres ou des anciens d’église sont des éwusu la nuit, une sorte d’hypocrisie ambiante…
  • Alain Nsona devient éwusu simplement pour venger la mort de sa petite sœur, alors qu’avec cette nouvelle nature, il peut changer le pays, le continent, le monde… L’auteur semble reprocher à ceux qui possèdent, intacte, cette science de l’Afrique de la gaspiller à de petites fins égocentriques, et de ne même pas initier les jeunes générations. En effet, ici, la grand-mère et Ada qui initient le jeune Alain, semblent représenter ces gardiens de la tradition, mais contrairement à ces derniers, Ada et la grand-mère ne cachent pas leur savoir. Ils le montrent à Nsona, et même, Ada invite Nsona à regarder plus loin et plus haut…. Comme une invitation claire aux éwusu d’user de leur savoir pour le rayonnement de l’Afrique.

Ø Mon humble avis
« Ceux qui sortent dans la nuit » est le premier roman que j’ai lu de Mutt Lon (et dire que j’hésitais à l’acheter, c’est la distributrice qui m’a convaincue😂😂😂😂). J’ai commencé à le lire… Et j’ai oublié de manger !
Ce roman époustouflant de simplicité et d’ingéniosité dans l’intrigue, est un classique de la littérature afrodescendante. Un chef d’œuvre. Il vous le faut à tout prix à votre chevet du lit.

Note de lecture du roman « Le secret de mon échec » de Kelly Yemdji

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J’apprécie très vite la verve de sa plume. Je lui trouve une charmante insolence, que je lui conseille vivement de garder. C’est ce toupet qui fait sourire, qui égaie le lecteur, et qui embellit vivement la jolie cacophonie du récit.
J’ai aimé cette cacophonie. Ce récurrent sauter du coq à l’âne, que j’invite vivement l’autrice à cultiver.
Une structure atypique : Les chapitres sont appelés Tableau (tableau1, tableau 2 etc.) comme des tableaux de peinture, devant lesquels on opère un à un, un arrêt sur image. Ce sont les mêmes personnages dans tous les tableaux. Exactement les mêmes. Mais les thématiques diffèrent au fur et à mesure du vernissage. Chaque tableau met en scène les personnages dans une thématique différente de celle du précédent tableau. J’ai aimé. J’aime tout ce qui sort des sentiers battus.
Autre aspect : le style est direct, sans fioritures. J’aime.
Insolent, cacophonique, direct, saut du coq à l’âne, engagé : Voici les caractéristiques de la plume de Kelly Yemdji, qui donnent à son texte une identité. Et cela, c’est très fort. L’identité d’une plume est un peu comme le timbre vocal unique d’un chanteur. Même les yeux fermés, sans voir le clip vidéo et sans connaitre la chanson, un Camerounais peut vous dire que c’est Ben Decca qui est en train de chanter ainsi à la radio. C’est ce que j’entends, en terme de littérature, par identité. Et cette toute jeune autrice, 22 ans, dans ce texte qui est ton premier livre, a déjà une identité.
Intrigue : Entre le système éducatif défaillant, le personnel enseignant à la dérive, les parents qui ont démissionné de leurs responsabilités, les familles déchirées, une jeunesse superficielle et abandonnée à elle- même etc. Kelly Yemdji dessine tout ce qui a conduit aurait causé l’échec scolaire de son héroïne.
Petites remarques :
Il est clair que Kelly Yemdji n’a pas de modèle en littérature. Et il est flagrant que c’est volontaire. Je veux dire par là, qu’elle n’a pas précisément un auteur en modèle ou en exemple dans son esprit. Son style se veut violemment libre… Et même libertin, sans s’encastrer dans des normes trop cartésiennes ou s’inspirer d’autres auteurs. Et j’aime cela.
Toutefois… Je vais sans doute sembler rabat-joie… Mais, je propose tout de même à l’autrice d’avoir un ou des modèles. Pour un début.  Il suffit simplement de lire sans se dédire. De humer l’odeur du repas sans en manger. De s’inspirer des autres simplement pour corser et raboter sa propre muse. Parce que trop de liberté, trop de cacophonie, trop de pléiades de thématiques pourraient perdre le lecteur… S’il l’on n’a pas encore la dextérité parfaite d’une Hemley Boum pour lier tous ces nœuds sur une même corde avec maestria.
Ce premier texte est audacieux dans sa structure et dans le style. J’ai beaucoup aimé cela. On dirait un pavé dans la mare.
Pour un début, l’avantage d’avoir une seule intrigue, une intrigue précise et unique tout le long du roman, serait pour l’auteur lui-même, de ne pas se perdre dans le fil de l’histoire, de pouvoir créer plus de tension. Cette tension qui fait battre le cœur du lecteur, et le pousse à tourner vite chaque page pour lire la suite… Une intrigue unique et précise, permettrait à un jeune auteur de mieux approfondir et corser les profils de chaque personnage, de mieux dessiner la trajectoire du récit, et surtout… De découvrir et apprendre à connaitre sa propre plume. La connaitre est vital, pour l’améliorer petit à petit. Il est sage d’apprendre à construire d’abord une maison simple, avant de construire un immeuble, plus complexe dans sa structure et la pléiade de matériaux qu’il exige…
Je propose humblement à Kelly Yemdji, de se concentrer sur une seule intrigue et une seule thématique précises dans son prochain texte. Pas une pléiade de thématiques. Non. Une seule, pour un début. Aussi, de s’exercer à créer de la tension dans le récit. Le souffle sans tension, c’est un peu comme courir sans motivation. Avec son imagination débordante, la libertine liberté de sa plume, et sa délicieuse cacophonie dans le style… Je peux me tromper… Mais je lui promets alors un roman magnifique, que le lecteur ne pourra pas déposer pendant quelques jours, pour vaquer d’abord à d’autres occupations.
Le souffle : cette enfant a incontestablement du souffle littéraire. Elle court avec vitesse et virulence sur 330 pages. Toutefois, toutes les pages ne seraient peut-être pas indispensables…
Mon avis :
J’ai beaucoup aimé ce livre que je vous conseille d’offrir comme cadeau de Noël.  Je l’avais comparé ici, si vous vous en souvenez, à ces films américains sur les teenagers à l’ambiance hyper drôle, jeune et cacophonique.
Kelly Yemdji jette un joli pavé dans la mare de la littérature camerounaise, et signe un texte audacieux, et très honnêtement, à applaudir pour un premier texte. Il est clair qu’elle est douée, et même très douée. Prétendre le contraire serait être de mauvaise foi manifeste.

Note de lecture du roman « Brigade 14 : L’affaire Cathy Nkeng » de Loïs Irène Nwaha

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Roman de 226 pages publié en 2020 aux éditions de Midi.
Le polar ou encore roman policier comporte beaucoup de sous-genres. Si Eve K-Rene que nous avons découverte avec son polar  » Femmes Fatales » fait du thriller ou encore roman à suspense, c’est à dire un roman policier où il y a du frisson et du suspense de bout en bout avec une épée de Damoclès sur la tête du héros-enquêteur, une machination qui se joue dans l’ombre etc.
Loïs Irène Nwaha, elle, fait du roman policier pur.
C’est-à-dire qu’ici, il n’y a pas de compte à rebours contre notre héros-enquêteur, le crime, lui, est déjà accompli. Il s’agit maintenant de retrouver le coupable.
Le polar ou roman policier a les caractéristiques ci-après:
■ La victime
■ Le coupable
■ Le mobile du crime ou l’intrigue
■ Une recherche METHODIQUE des preuves. La METHODE: on est ici dans la pure procédure policière, ou alors d’enquête, le héros pouvant être un officier de police ou un détective privé.
Et je le dis sans rougir: Loïs Irène Nwaha est excellente dans le roman policier. Je ne m’attendais pas à une telle maîtrise de l’enquête…j’ai lu et relu, cherchant les failles c’est-à-dire l’oubli d’expliquer une preuve, l’absence de lien entre les différents morceaux de puzzle car il y en a trop… et là était le danger… plus il y en a, mieux l’auteur se perd…plus on ouvre de fenêtres, plus on oublie d’en refermer… A ma 3e relecture, 03 choses étaient claires:
1) Aucune fenêtre n’était restée ouverte.
2) Loïs Irène avait passé des journées entières dans les bureaux de la police judiciaire de la ville de Kribi. Surement pendant des mois, elle avait vécu leur quotidien tant dans les bureaux que sur le terrain.
Et…
3) Et là je me souviens avoir eu un large sourire… Loïs Irène dévorait Agatha Christie!!!!!
Oh j’en mettrais ma main à couper…! Vous savez pourquoi…? Eh bien parce que je suis une mordue d’Agatha Christie. En classe de Première, je me suis payée au « poteau » toute sa collection…oui vous avez bien lu: TOUTE. Le mec du poteau me relookait avec l’air blasé d’un accro au crac …armée de mes énormes boutons d’acnée, mes binocles et ma tenue sur-shootée d’amidon, je ressemblais à une ado vachement aigrie…Je n’étais pas aigrie, je faisais simplement tapisserie lors des fêtes au collège, et mes premiers baisers à moi c’était avec les livres… ok c’est bon! j’étais aigrie…
Alors de quoi s’agit-il ici…? Cathy Nkeng, une ancienne Miss Cameroun, est brutalement assassinée dans sa chambre d’hotel, le soir même d’une prestigieuse cérémonie de la Jet-Set dont elle est l’une des étoiles phares.
Qui a tué Cathy Nkeng…? Oh la la!!! Décortiquer l’enquête était encore plus jouissif que le retour de flammes entre Ben Affleck et Jennifer Lopez!!! Mais qu’est-ce-que je raconte…? Bref…
Voici ce qui, pour moi, fait que ce roman mérite sa place sur votre lit ou si vous êtes toquée comme moi, dans votre trousse à maquillage:
( tous ces points ci-dessous sont de grosses similitudes avec Agatha Christie)
1) Loïs S’APPESANTIT sur les descriptions. Les descriptions des bâtiments, des paysages, des bureaux, des cadavres, des trajectoires etc.
Elle sait amener une scène et la planter, avec la lenteur et la minutie d’une grand-mère qui cuisine l’ékoki… on n’est pas pressé, on va pas à pas. Et c’est vital. Qui taxe de tels détails de superflu, ne maitrise pas ce que c’est qu’un pur roman policier. Quand Agatha Christie décrit le vallon ou encore la bibliothèque en 3 pages, elle n’est pas sénile: On est dans le roman policier donc dans le factuel, le toucher du doigt, le concret. Tout participe à la tension du récit. Tout. Un tabouret mal placé, la rue qui ne longe que sur 50 km, une vieille porte à l’arrière de la cuisine jamais réparée, le facteur qui ne vient que 2 fois par semestre, le chien pourtant jovial qu’on a dû emmener la veille chez le véto, la sueur sur le front de la ménagère, etc. Tout.
2) … Et là j’ai dit bravo… Chaque personnage a une histoire cachée. Chaque personnage voit son histoire décrite avec une minutie de grand-mère. On est dans une boîte à puzzle, et la grand-mère Loïs dénoue l’énigme en ouvrant des mini boîtes de pandore, sans jamais tout dévoiler d’un coup… comme Miss Marple, le personnage d’Agatha Christie. Chaque personnage autour de Cathy Nkeng a quelque chose à cacher.
3)… Cathy Nkeng elle-même porte la clé de l’énigme. Loïs Irène Nwaha aurait tout loupé dans ce roman si elle n’avait pas fait plein feu sur la victime. Nous relater à travers chaque personnage, un morceau précis du puzzle de la vie de Cathy Nkeng… du pur Agatha Christie.
4) La façon d’emmener les personnages. Comment vous l’expliquer…? C’est assez délicieux. Vous commencez par exemple un chapitre par  » Cynthia était toute nerveuse… » par exemple, alors même que depuis le début du récit, l’auteur n’a jamais mentionné une Cynthia… je me resservais du Martini blanc à ces moments là… top!
5) Les flashbacks dans les rendus et dépositions des proches de la victime. Vous pouvez avoir la fausse impression de répétition ou de redondance mais non, c’est cela tout le « sucre » d’une enquête policière. Chacun raconte selon ses peurs, ses propres secrets, son point de vue tant physique que psychique. Loïs Irène Nwaha a la patience de faire parler chaque personnage dans le plus petit détail. ET SURTOUT: La maîtrise dans l’accrochage parfait entre les multiples dépositions disparates!!! Alors là … j’ai cogné une ènième fois le véhicule clinquant neuf de mon voisin en me garant, c’était trop tentant!
Quatre choses sur lesquelles j’attire toutefois l’attention de l’auteure:
1) Un peu plus de tension dans la narration.
Ce serait très indiqué que l’auteure y travaille beaucoup. Par exemple, la toute première phrase du livre aurait pu être: « A la porte 30, elle frappa un moment. Aucune réponse ne lui parvint. » Phrase qui se trouve à la page 12, et qui porte déjà en elle, la tension de la découverte d’un morceau crucial de l’énigme.
Loïs Irène a déjà le fabuleux souci d’enquêter et de collecter la moindre information relative à son intrigue. Elle a aussi le souci, je dirais même l’obsession du détail. Elle a l’art de décrire, ainsi que la patience nécessaire pour narrer une enquête policière de bout en bout.
Toutefois, il lui manque encore cette tension et une bonne dynamique dans le récit, et aussi une grande légèreté dans la construction des phrases… cela peut n’avoir l’air de rien mais y parvenir n’est pas évident. Un travail plus approfondi sur son écriture comblera aisément tous ces manques.
2) Corser le personnage de l’enquêteur-héros.
L’enquêtrice ici est assez pâlotte…il faut la singulariser tant physiquement que psychologiquement. Sa méthode d’enquête doit se démarquer de celle de tous ses collègues de la Police Judiciaire…bon, peut-être est-elle encore simplement à ses débuts dans le métier, et elle s’affinera encore mieux dans les enquêtes à venir. Mais dans ce premier texte, sa présence n’est pas forte, et partant, n’est même pas indispensable…
Aussi, son personnage est un peu trop obéissant à l’auteur… le contraire aurait rajouté du pep’s. Loïs Irène Nwaha devrait s’exercer à laisser son enquêteur se construire hors de son contrôle: ses textes prendraient alors une dimension autre. Hercule Poirot avait échappé au contrôle d’Agatha Christie. Elle avait même planifié sa mort, mais le mec était devenu immortel… et c’est cela le génie.
3) Veiller à donner aux personnages le même nom ou surnom de bout en bout… Quand on nomme un personnage  » Danielle » et que subitement, un peu plus loin on le surnomme  » Dania » … le lecteur se perd….
4) Aider le lecteur à se retrouver quand la présence de certains personnages est disparate, et non pas régulière.
Quand on mentionne un personnage, 1e ou 2 fois, le retrouver seulement 15 ou 20 pages après… on a du mal à se rappeller de qui il s’agit, surtout si le récit pillule de personnages dans une intrigue ou en tant que lecteur, on est déjà concentré à ne pas perdre le fil… Donc ce serait bien dans un tel contexte, de figer un petit qualificatif au nom du personnage genre  » Ben le bègue » etc.
Les détails 3) et 4)tout particulièrement, font partie du travail de relecture de l’éditeur… celui-ci par ailleurs, a laissé passé des « absences » d’accord grammaticaux, qui m’ont donné envie de lui passer un petit coup de fil… avant de me souvenir que mater Idris Elba sur Netflix me calmerait nettement mieux…
Lire ce roman a été une délicieuse surprise.  » Délicieux » est l’adjectif qui me revenait à chaque relecture.  » This girl is delicious reading » me suis-je dit en souriant à la 3e relecture, devant un pot tout neuf de crème multra hydratante, promettaient-ils cette fois ci…

Ma note de lecture de « Soleil noir : Petits poèmes pour l’éternel amant » d’Yvette Revellin, publié aux éditions Fondation AfricAvenir International

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« … Je viens de rêver que je tombais dans un puits, un puits sans fin… je tombais et ma chute n’avait pas de fin. Des cercles blancs se refermaient autour de moi… je tombais… je tombais… l’angoisse m’a réveillée et c’est là qu’elle est arrivée comme une voleuse, à pas de velours : l’absence… et les murs se sont mis à hurler : demain, il ne sera plus là… et les murs me menaçaient… et dans le noir de la nuit quelques mots brillaient : il ne sera plus là… l’absence a la couleur des ciels d’automne, gris, pesants, ces ciels qui ne semblent présager que de mauvaises nouvelles… nous avons souvent regardé le ciel ensemble ; mais c’était le ciel d’été, cet embrasement de couleurs qui nous faisait dire qu’il faut être peintre pour traduire la beauté d’un tel spectacle. Ce ciel-là a la couleur de notre amour. Il éclatait de joie, il éclatait de vie. L’absence n’a pas de couleur. L’absence a la couleur de la mort »
Il était une fois, une jeune Française qui fit la rencontre en mai 1968, d’un Prince venu du Cameroun. Une alchimie à la fois intellectuelle et spirituelle qui la marqua pour toute sa vie… « Je t’aime, Toi, Rivage inconnu, Rivage tant désiré, page à jamais inachevée, source de vie, source de mort ».
Yvette Revellin n’a aucune prétention d’être écrivaine et encore moins poétesse. Son écriture est dépouillée, mise à nuit, déshabillée de toute estime même d’écriture… et c’est cela qui séduit et désarçonne.
Yvette Revellin murmure; ce ne sont pas des crachats… aucune violence ici… ce sont des murmures intimes, intimistes… Yvette Revellin donc, murmure en ce que j’ai toujours baptisé des « jetés de textes », l’amour douloureux qui l’habite depuis 50 années. Cet amour qui l’a condamnée à ce qu’elle appelle « la grande vague noire », signifiant la solitude.
Elle fait beaucoup référence aux vagues, à la mer, la pluie, l’océan… pour imager peut-être la distance géographique entre les origines de son Prince et les siennes, pour imager aussi… surement… les obstacles que leur amour n’a pas su braver… pour imager aussi… précisément…la Côte, la culture endogène de son Prince. « Je crains de nous voir séparés un jour » lui dira-t-il sur un ton prémonitoire… mais Yvette était certaine que rien ne viendrait écorcher leur amour… leur amour trop solide… leur fusion intellectuelle puissante… du moins le croyait-elle… Mais le Prince avait une vue sur la Mer que la Française n’avait pas… il venait de l’Eau, alors Il en connaissait les abysses… Il savait. « Je crains… »
Ceci n’est pas un livre à lire avec la prétention de critiquer… « soleil noir » est un silence. Le silence d’une âme qui se sait habitée d’une solitude éternelle. Quand la Nuit frappe, on ne Lui hurle pas dessus, on n’exige pas alors le Soleil avec arrogance… on rentre dans sa case et on se couche. Silence. Il fait Nuit. Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit.
» … Ponda éwô Bulu bwa pô tè, o si bèn nyông’a bwambo… ja nà pî. Mwésé mwâ tomba… Bulu bo mèndè kaïsè bwambo bwa mwésé…Bulu bo si tôndi bwambo… ja nà pî », disait ma grand-mère.
« … Parfois, la Nuit qui tombe n’a besoin d’aucune parole… fais silence. Le jour est déjà passé… la Nuit vient alors juger de chaque mot dit quand il faisait jour…la Nuit a horreur du bruit… fais silence. »
Quand la Nuit frappe, on ne Lui hurle pas dessus, on n’exige pas alors le Soleil avec arrogance… on rentre dans sa case et on se couche. Silence. Il fait Nuit. Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit.
Petite fille, j’étais toujours frappée par Mohamed Ali coincé dans un coin du ring, subissant les assauts de son adversaire. Les poings levés pour protéger son visage, il ne luttait pas. Je demandais à chaque fois à mon père : » papa, pourquoi il ne lutte pas? Pourquoi il laisse toujours qu’on le coince dans le ring? »… l’adversaire s’épuisait et insultait alors Ali, tout gonflé de sa domination… puis au bout d’un moment quand il n’en pouvait plus, à bout de souffle, c’est alors là qu’Ali lui décochait une droite qui le pulvérisait sur le ring. Ali renaissait à chaque fois tel un phoenix… tel cet amour apparemment battu par la Mer de la Vie, apparemment condamné, et broyé dans l’Oubli … mais qui ne cesse de hanter l’Univers tel le spectre d’un soleil jamais effacé. Jamais enterré.
Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit. La Nuit qui est souvent présage d’un soleil d’éternité…
On se trompe très souvent en « surfacturant » de recherche « typée » de style, ou d’analyse pompeusement pédagogique, des textes qui veulent simplement virevolter dans le vent avant de s’effacer aussi discrètement qu’ils ont été écrits, tels des pas sur le sable de la mer…
Quand les oiseaux se cachent pour mourir… l’Antique Noblesse nous murmure alors de leur accorder en silence… la joie ô combien infime d’une dernière danse.
« … Tu as été et resteras, le rivage inconnu, le rivage que je n’ai jamais atteint et pourtant… d’aucuns pourraient trouver étrange ou pathétique de clamer dans le vide un amour sans écho et pourtant…pourtant cinquante ans que cet amour m’habite, il habite mes jours, il habite mes nuits, il tourmente mon sommeil et éclaire mes jours, il m’étouffe et me donne le souffle vital, il est tempête et havre de paix, il est mon soleil noir et ma lumière… surtout ne pas perdre le fil de la merveille… »