DANIELLE EYANGO RACONTE… RUDOLF DUALA MANGA BELL – Genèse | Episode 1 : A la recherche de la«Terre Promise »
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Ma grand-mère maternelle, mémé Makollo, fut la première à me raconter l’histoire que je m’en vais vous raconter à mon tour.
Elle profitait généralement de mes vacances scolaires pour murmurer à mes oreilles, à l’abri du bruit et des autres. Aujourd’hui, je me dis que par sa voix, ce sont les autres qui sont partis et qu’on ne voit plus, qui murmuraient à mon âme ce qu’elle murmurait à mes oreilles…
Grande commerçante et agricultrice, je vendais pour elle et en bordure de route, des oranges que j’avais appris à vite éplucher pour ne pas perdre les clients toujours très pressés… De mes maigres jambes alors écorchées de séquelles de varicelle, j’avais appris à vite courir au milieu des véhicules coincés par l’embouteillage; à proposer et à vendre mes oranges devant les vitres…sourire tout offert et tout béat…
« Ah ! C’est la jolie petite chinoise ! Ça va ? Ta grand-mère est où ? Au marché ? Tu es en vacances déjà ?» Ils me regardaient avec ravissement et compassion à la fois. Certains achetaient toutes mes oranges de la journée; et d’autres : « Prends cet argent et donne à ta grand-mère ! C’est pour payer ta
scolarité hein ! Wèè Seigneur, un joli petit bébé comme ça !» Je ne savais pas comment leur dire que je n’étais ni orpheline ni démunie… Que mémé m’emmenait simplement dans un monde parallèle… Un monde qui pour moi, était rempli d’étoiles dans les méandres de ses sueurs et de ses labeurs… Que
c’était normal pour moi de sortir le matin d’une villa pour vendre des oranges en bordure de route, pas très loin de ce qui sera appelé plus tard « le marché Sandaga »… Qu’à 5h du matin, après des “Ave
Maria” pénibles et ensommeillés, rythmés de claques sur mes joues, c’était naturel pour moi d’aller avec Mémé à son champ, là-bas, derrière les rails de Deido, bêcher et racler la terre de mes petites mains de huit ou neuf ans, dans cette étrange forêt de ville que le marché Sandaga occupera alors quelques années plus tard…
« Il était une fois, un Roi qui refusa de vendre aux Allemands les terres de son royaume et choisit librement de lutter et de donner sa vie pour son peuple. Il s’appelait Rudolf. »
Nous étions assises sur sa chère vieille natte, et nous profitions du vent du soir à sa véranda. J’avais épluché beaucoup d’oranges ce jour-là, et mémé me massait les mains en chantant un cantique du pasteur Lotin’ à Samè.
« Un roi, mémé… ? » J’avais les yeux qui pétillaient. Les histoires de rois et princesses me captivaient et elle le savait. « Un roi comme dans les contes de Walt Disney ? »
« Walt njà… ? (Walt qui… ?) Tsuiiiiiiiiiiiiiiiiiip (oui… Les femmes Duala en font toujours un très long) Tsuuuiiiiiiiiiiiiip ! Je te parle d’un vrai Roi. Un Roi qui a vécu. Notre Roi. Ton Roi.
«HEIN ?!»
«Oui. Ton Roi. Il s’appelait Rudolf.»
Elle cessa de masser mes mains et se perdit dans ses pensées… Un sourire à la fois émerveillé et triste dans le vent de la nuit qui déjà tombait…
« Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo. »
Mémé prononçait lentement et avec grande révérence les noms de chaque ancêtre, et j’eus l’impression que nous n’étions plus seules tout à coup… là … sur cette natte… Le vent se fit alors lourd et glacial. Je frissonnai. Elle se tourna vers moi, une leur étrange dans ses yeux larmoyants et remplis d’une douleur et d’une rage que je ne comprenais pas…Pas encore…
« O si kwésè mudumbu ! télè mudumbo môngo ! wa pè o mèndè langwa bana bôngô na miladi môngô miango ma Rudolf ! » « Ne ferme pas ta bouche! ouvre-la et aspire l’air ! Toi aussi tu raconteras à tes
enfants et à tes petits-enfants l’histoire de Rudolf ! », me souffla-t-elle… Ce fut le premier soir.
Ainsi, il s’appelait Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo (en Duala, le »a » signifie «de ») Rudolf Duala fils de Manga fils de Ndumbè fils de Lobè fils de Bébé fils de Bèlè de Doo de
Makongo). Il était de la Grande Famille des Bon’a Doo la Makongo (les descendants de Doo La Makongo).
Ce vaste clan fait partie du peuple Duala qui, lui-même selon les historiens, plonge ses racines dans l’Afrique de l’Est, notamment l’Afrique du Nord-Est, et surtout celle de l’Egypte des Pharaons Noirs (Nubie).
Il était une fois, un peuple maltraité et asservi, qui a commencé au VIIe siècle sa quête perpétuelle et incessante de la «terre promise ». Oui… La «Terre promise ». Ce mot revient plusieurs fois en langue
Duala dans le livre de Samuel NGOYE MOUKOURI, « Les Bonadoo La Makongo au sein de Sawa Douala ».
«Mundi mwa dikaki», soufflait mémé… Ce peuple avait un but précis et attendait, pour arrêter
définitivement leurs migrations, un signe précis dans l’eau. Pour être aussi convaincus qu’une terre promise les attendait quelque part, ils avaient des Oracles de génération en génération. Leur quête sera menée au fil des ans et des siècles par différents rois depuis l’Egypte ancienne autrefois dominée de pharaons Noirs, jusqu’à la terre des « mbéatoè », de grosses crevettes étranges dansant dans l’eau et
qui à leurs yeux et selon les prophéties des Oracles, fût le signe incontestable que leur quête ancestrale était parvenue à son terme.
»De génération
en génération, ils sont convaincus qu’une terre spéciale, “mundi mwa dikaki”, les attend quelque part et qu’ils doivent avancer tant qu’ils ne la trouvent pas. »
Certains historiens situent le début de leurs migrations vers la fin du VIe siècle av. JC, ce qui
correspondrait à l’invasion des armées de Cambyse II, Roi de Perse vers 525 av. JC. Puis, l’invasion d’Alexandre Le Grand vers 332 av. JC et de la domination romaine. Puis, vers 639, c’est-à-dire à partir du
7e siècle de notre ère, l’invasion arabe… Dû à de nombreuses invasions et maltraitances, ce peuple va se réfugier dans un premier temps sur les berges du Nil et deviendra ainsi « le peuple de l’eau ». Le besoin incessant de quiétude le forcera encore à entamer une pénible migration pour la « Terre Promise », depuis l’Afrique du Nord-Est jusqu’à toute l’Afrique Centrale, aux côtes atlantiques du Golfe de Guinée en passant par le Soudan, l’Ethiopie, la République Centrafricaine, les pays des Grands Lacs (Ouganda, Kenya, Burundi, Rwanda…), la forêt des deux Congo, le Gabon… En effet, je vous l’ai dit, de génération
en génération, ils sont convaincus qu’une terre spéciale, “mundi mwa dikaki”, les attend quelque part et qu’ils doivent avancer tant qu’ils ne la trouvent pas.
Le Roi Mbe les conduira notamment vers la région des Grands Lacs et la forêt vierge congolaise; le Roi Mbongo de la forêt congolaise vers la République Centrafricaine, le Gabon, la Guinée Equatoriale
(DIKABO); et son fils, le Roi Mbèdi, jusqu’à Pitty (Cameroun / terre promise) après avoir longé et remonté la côte africaine de l’océan atlantique à partir de la pointe de Campo, Kribi, Manoka avec bifurcation à la Dibamba. Ces rois successifs constituent les jalons de l’arbre généalogique du peuple Duala jusqu’à Rudolf qui, plus que ses prédécesseurs, paiera le prix fort pour conserver l’intégrité des
territoires et des eaux acquis à grand sacrifice par ses illustres ancêtres.
Selon le Prince et historien Dicka Akwa Nya Bonambela, une fois parvenu à la région des Grands Lacs et après un long séjour dans cette région, le groupe connaîtra un schisme important et se divisera en deux: un groupe, épuisé des migrations incessantes et ayant peut-être perdu la foi en la « Terre Promise», mundi mwa dikaki, se sédentarisera. Le deuxième poursuivra sa migration vers la forêt des deux Congo où il fera un séjour particulièrement long, marqué par le brassage des populations et des langues; d’où
la forte similitude entre les langues Duala et Lingala. Ce séjour fut si étendu et culturellement établi qu’il
est usuellement admis dans l’histoire du peuple Duala qu’il vient du Congo. Ce qui n’est pas faux, mais pas tout à fait exact, car leur périple migratoire remonte en fait à l’Egypte ancienne. Le deuxième
groupe donc traversera la forêt congolaise et ira jusqu’au Gabon et en Guinée Equatoriale (de son nom Duala DIKABO). De là, il parviendra en terre camerounaise dite « Terre Promise » “mundi mwa dikaki”!!!
Il la reconnaitra par la danse de grosses crevettes étranges dans les eaux, crevettes devant lesquelles il s’écriera spontanément de joie : «mbéatoè !!! ».
Selon le prêtre jésuite et anthropologue français Eric de Rosny (citant Jean Vancini) dans son ouvrage « Le peuple Sawa, ma passion », la progression de toutes ces migrations depuis l’Egypte antique était «séculaire, lente et soutenue, de l’ordre de vingt (20) kilomètres tous les dix (10) ans. » Ainsi, depuis le
début de leur migration au VIIe siècle de notre ère jusqu’au Roi Mbongo au XVIe siècle, il se serait
écoulé environ 10 siècles. Et du Roi Mbongo au Roi Doo La Makongo ancêtre éponyme des Bell ou Bèllè-Bèllè (dont une branche est localisée sur la rive gauche du Rio Dos Camaroès… Bonanjo/Bali/Bonapriso, et la deuxième branche sur la rive droite du même fleuve Bonabèri/Bonassama), il se serait écoulé pas moins de 250 ans.
Pourquoi ai-je voulu commencer notre série littéraire sur Rudolf par sa généalogie ? Et pourquoi ai-je voulu remonter aussi loin?
Parce que j’ai la foi que le sang que nous portons et qui a traversé des générations avant nous, tel un fleuve qui coule sans jamais s’arrêter, ce sang porte en lui notre Histoire, les clés pour expliquer nos actes présents, nos actes passés et nos actes futurs, notre vocation et notre destin. Parce qu’un homme n’est pas seulement à mes yeux l’intervalle physique et visible entre sa date de naissance et sa date de décès. Un homme est d’abord la somme et la mémoire du passé, qui deviennent chair pour une
vocation précise dans un contexte et un moment précis du fleuve-sang qui coule, et qui ne cesse de couler.
Rudolf ne s’est pas levé un matin de lui-même pour affirmer: «jéméa na tè na kwèdi ! » « La foi jusqu’à la mort! ». Le sang qu’il portait le prédestinait à être prêt à payer le prix fort pour ne pas le salir, et d’ailleurs il le dira lui-même la nuit précédant sa mort: « Que dirai-je à mes Ancêtres? Que j’ai vendu leurs terres et trahi le peuple qu’ils m’ont confié pour des Marks Allemands ? Ou alors que je me suis enfui loin vers les montagnes, tel un lâche, abandonnant mon peuple et mon fidèle compagnon Ngosso
Din à la furie allemande? Non! Je rendrai mon sang aussi pur que je l’ai reçu ! »
«Répète après moi… soufflait mémé ce premier soir là… Répète… Je te raconterai la suite demain… mais d’abord répète… tôpô dina la o… dis son nom… tôpô dina lao… dis son nom… Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo…»
Le sang qui coulait dans les veines de Rudolf était codé à chaque génération d’une noblesse et d’une
fierté telles qu’il n’était que logique, que dans son contexte face aux Allemands, il se lève dignement pour donner lui-même sa tête à la potence, au lieu d’accepter des milliers de Mark Allemands pour
vendre ses terres. Car retenez-le, Rudolf a donné volontairement sa vie. S’il y a une chose que vous devez retenir de Rudolf tout au long de cette série, c’est bien cet adverbe : VOLONTAIREMENT.
Les Allemands étaient irrités de son insoumission. Ils ne savaient pas, ils ne voyaient pas… Ils ne
comprenaient pas. Ce n’était pas eux contre Rudolf. Non. C’était eux contre Rudolf Dual’a Manga, contre Mang’a Ndumbè, contre Ndumb’a Lobè, contre Lob’a Bébé, contre Beb’a Bèllè, contre Mbapp’a Bèllè, contre Béllè ba Doo, contre Doo La Makongo, contre Makongo Ma Njo, contre Njo’a Masè, contre Masè à Mulobè, contre Mulob’ Ewalè, contre Ewal’a Mbédi, contre Mbed’a Mbongo, contre Mbongo’a Mbe…
Au fil de cette genèse, je vous relaterai une ou deux anecdotes sur chacun de ces ancêtres, parfois drôles parfois tristes, mais qui vous éclaireront sur le fait que le jeune Rudolf avait en effet de qui tenir.
Généalogie des rois Duala ainsi que remontée et retracée par le Prince et historien Kum’a Ndumbe III, écrivain et fondateur des éditions Afric’Avenir (extrait du livre de Francis Kouo Issèdou «Rois et Chefs Duala») :
DANS LA PÉRIODE DITE DE L’ANTIQUITÉ
– Entre le deuxième et le septième siècle : Mwamandi engendra Ngala; Ngala engendra Taaka; Taaka engendra Madengè; Madengè engendra Oli; Oli engendra Soso.
– Entre le huitième et le neuvième siècle : Soso engendra Mbomaka; Mbomaka engendra Ngolè; Ngolè engendra Batu.
– Par cette suite, prend fin le 10e siècle : Batu engendra Mbu (qui engendrera quatre grandes familles : les Bafo, les Balong, les Bakundu, les Barombi); Mbu engendra Kota; Kota engendra Ngala.
– Par cette suite, prend fin le 11e siècle : Ngala engendra Tukuru (qui engendrera quatre grandes familles : les Mbo, les Bakaka, les Bakossi et les Banyangui); Tukuru (lire Toukourou) engendra Dawa; Dawa engendra Sopo; Sopo engendra Mod.
– Ces générations marquèrent la fin du 12e siècle : Mod engendra Bese; Bese engendra Kongo; Kongo engendra Matadi.
– Ici prend fin le 13e siècle : Matadi engendra Ewanje; Ewanje engendra Mahenjama; Mahenjama engendra Liong.
– Avec cette suite, prend fin le 14e siècle. Prend fin également la période dite du MOYEN-AGE qui va du Roi Kota au Roi Bwele : Liong engendra Diola; Diola engendra Muktali; Muktali engendra Bwele.
TEMPS MODERNES (selon le Prince Kum’a Ndoumbè III)
Bwele engendra Manela; Manela engendra Ngoso; Ngoso engendra Dikota. Ici prend fin le 15e siècle. Le peuple du Roi Dikota du Congo s’appelle les Bakota, qui, selon les historiens, serait le dérivé de Bantu.
Dikota engendra Mbe (1460-1505). Mbe conduira son peuple vers la région des Grands Lacs. Là-bas, comme vu plus haut, un groupe va se sédentariser et le roi Mbe conduira le deuxième vers la forêt vierge des deux Congo. Selon le prince et historien Dika Akwa Nya Bonambela, un partage inéquitable d’un éléphant tué à la chasse aurait scellé les tensions déjà présentes entre deux groupes. Aujourd’hui, un tel motif semblerait futile, mais il faut se plonger dans le contexte. Pour ce peuple, l’éléphant est le symbole même du pouvoir et du prestige. Ce n’est pas un animal ordinaire. Alors, soutirer ou refuser à un clan sa juste part d’éléphant, constitue l’équivalent simple d’un coup d’état, car on porte alors atteinte à sa souveraineté et sa dignité. Ça reviendrait à dire : «Nous sommes de lignée toute aussi royale que vous, nous sommes tous égaux, comment osez-vous réduire notre juste part d’éléphant comme si nous étions des sous-hommes par rapport à vous… ?» C’est un mépris qui ne
pouvait être toléré. Mbe mourra en 1505 après 45 ans de règne, et sera remplacé par son premier fils issu de son mariage monogamique (Oui… Les Bantous n’ont pas une culture systématiquement polygamique…), le Prince Mbongo à Mbe. Mbe engendra donc Mbongo (autre ancêtre éponyme du peuple Duala,1505-1550).
Selon l’historien et prince Dika Akwa nya Bonambela, le Roi Mbongo s’unira à la belle peuhle Fanta Mbonga Naïdou… Petite, je me souviens que ma grand-mère me racontait que lorsqu’il y avait des guerres autrefois entre le peuple Duala et d’autres peuples, les guerriers peuhls venaient en renfort sur leurs chevaux et combattaient aux côtés des Duala. Un tel lien entre deux peoples, l’un régnant sur la
Côte et l’autre dans le Nord, supposerait effectivement une alliance intime. Selon le livre « La Clé des Bèllè Bèllè » (Bèllè qui deviendra Bell), l’illustre Roi Mbongo épousa également trois femmes Bakoko.
Le Roi Mbongo engendra : Mbèdi qui conduira le peuple jusqu’à Pitty (Douala); Mudibè qui engendrera le peuple Ewodi; Basi qui engendrera le peuple Bassa; Ngasè qui créera Longasè; Malè qui créera Jébalè; et Ewondè qui intégrera le grand groupe Beti et engendrera les Ewondo. Tous ses fils vivaient avec lui au Nord-Est du Gabon, sur la frontière du Congo.
Un jour, Ewondè, le plus impétueux, viola le code de
conduite et d’éthique établi par le roi Mbongo. Colérique et impatient, il asséna un coup de pieu fatal à un membre de la famille qui en mourut sur le champ. Le père Mbongo le bannit et Ewondè s’en alla avec
toute sa progéniture chercher refuge dans une forêt au centre du Cameroun actuel.
Le deuxième fils à désobéir fut Basi’ a Mbongo; non moins fougueux. Amateur de vin de palme et ravitailleur de toute la collectivité, il alla en recueillir et s’égara dans la forêt pendant deux jours. A son retour, son père, fâché, le renvoya aussi. Le groupe de Basi entreprit à son tour de nombreuses migrations ci et là, retrouvant dans un premier temps son frère Ewondè, tandis que certains enfants de Basi préférèrent se mélanger aux Bakoko sur les côtes, etc.
Le fils Mbèdi qui succédera à son père Mbongo, et qui resta secrètement très proche de son frère Basi alors banni, assumera ouvertement ce lien à la mort du roi Mbongo. Lien à la fois fraternel et mystique.
A la fin d’une longue initiation au cours de laquelle il cristallisera les sciences secrètes de son peuple acquises depuis l’Egypte antique, le Roi Mbèdi fut celui qui imposera à tous les peuples de la Côte, les Sawa, le « Culte du Jengu » (divinité de l’eau) comme culte de l’Etat, et la croyance en Nyamb’ Ewékè, le
Dieu Créateur. Mbèdi répètera ainsi les actes politico-religieux forts de ses ancêtres, les anciens
pharaons noirs. Mbèdi réalisera l’unification de toute la zone côtière. Mbèdi engendra Ewalè (devenu Duala).
FIN DU PREMIER EPISODE.
N.B.: Je lis et collecte les informations de plusieurs livres et plusieurs sources orales pour écrire cette
série littéraire.
BIBLIOGRAPHIE ET REMERCIEMENTS
« Le Ngondo, Assemblée traditionnelle du peuple Duala » de Maurice Doumbé Moulongo
« Le pays Sawa, ma passion » de Eric de Rosny Dibounjé
« les Bonadoo La Makongo au sein de Sawa Douala » de Samuel Ngoyè Mukuri
« Le paradis tabou » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
« Douala Manga Bell, héros de la résistance douala » de Iwiyè kala Lobè
« Adolf Ngosso Din l’étoile des forces vives » du Dr jean Toto Moukouo
« Maso ma ndala, révélations des vérités cachées » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
« Ngum’a jéméa, la foi inébranlable de Rudolf Dualla Manga Bell » de David Mbanga Eyombwan
– Plusieurs articles et écrits du Prince Kum’a Ndumbè III à moi envoyés par son fils, Khéops, à qui je dis grandement merci.
– Merci à Tété Mandjombé pour son soutien dans cette démarche.
– Merci à Ngueng y Yango pour son accompagnement.
– Merci à toi PNB pour les livres ô combien rarissimes que tu m’as donnés. Tu sais au moins que plus on m’en donne, plus j’en veux non ? Je n’ai pas fini de vider ta bibliothèque, i’m just getting started… (sourire).
– Merci à mémé, ma défunte grand-mère pour… pour… et pour…
Danielle Eyango, 21 juin 2022
Danielle EYANGO raconte Duala Manga Bell – Genèse – Saison 1. Episode 02 : Le prestige du Plateau Joss
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Danielle EYANGO raconte Duala Manga Bell. Saison 1 – Épisode 3 : Celui qui voulait tuer son frère
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- A mama, sa ! Danse maman ! Danse ! Sinon ta dent ne va pas repousser hein !
Je venais de perdre une dent. Encore. Mémé disait que lorsqu’on perdait une dent, on devait la lancer au-dessus de la toiture. Loin. Très loin. Ensuite, on devait chanter des louanges à Dieu et danser… danser.. jusqu’à l’épuisement… afin qu’Il vous donne une nouvelle dent toute belle et toute neuve.
Ce jour-là, maman était assise sur les escaliers de sa villa et dégustait des tranches d’ananas. Tonton Vieux, assis près d’elle, lui en arrachait les plus grosses…
- Ouaaaaa Vieux ! Pourquoi tu es nuisible comme ça ? Je t’ai donné trois gros ananas à toi tout seul ! Trois ! Tu ne voulais même pas que je m’approche ! Tu as fui avec ça dans ta chambre, tu es allé manger avec Dany ! Maintenant que je suce mon seul ananas, tu viens encore arracher !
- Aka ! Maf ! Tu vas faire quoi ? jusqu’à tu parles même fort hein ! Tu t’amuses, j’arrache même tout ton plateau là, je pars avec ! Tu n’es pas fière qu’une future star comme moi, Kotto Bass, je suis là, assis au sol avec toi pour manger tes « kankan » ananas ci ? qui t’a même dit que l’aînée pleure ? wé ! A londè pôn mbémbé wuma yèsè pôn ! Si je te vole, tu supportes madame ! Tous les ananas que tu as suçés sur la terre-ci avant que je ne naisse, ça ne te suffit pas ?! vois sa tête comme la hache ! Didon donne ça ici ! weu !
- Tsuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip !
Depuis sa natte sur sa véranda, et sans prêter attention aux chamailleries de tonton Vieux et maman, Mémé chantait en frappant des mains, et m’accompagnait dans l’ésèwè tâtonnant que je déployais à corps perdu dans la grande cour.
Il fallait chanter fort, très fort pour que Dieu m’entende, et qu’Il m’envoie une nouvelle dent. Un éclair rapide traversa les nuages dans le ciel. Le visage de mémé s’illumina.
- Ahan ! Angel yé ngéa ! Voilà les anges qui descendent déjà pour ramasser ta dent et l’emporter au ciel hein… chante hein ! Sinon Jésus ne va rien envoyer ! Yésu angamènè senga doï longo ! Jésus doit entendre ta voix ! Sa pè ésèwè bwam ! Frappe bien le sol avec tes pieds !
Minyangadu mangamènè o kwala Tétè nà wa nu nan ! A lomé wa songa nipèpè na pèlèpèlè! La terre doit crier à Dieu que voici Dany ici, envoie-lui vite une nouvelle dent ! sa ! danse !
J’étais très heureuse ce jour-là, et je riais aux éclats. L’histoire de King Joss qu’elle m’avait raconté la veille, et de ses incorrigibles fils, galopait encore dans mon esprit…
● Doo La Makongo dit King Joss. ( période de règne:1751-1792)
- Hein mémé ? Donc c’est Doo La Makongo qu’on appelait Joss? Pourquoi on l’appelait comme ça ?
… Doo La Makongo fut surnommé « King Georges » par les explorateurs Anglais fascinés par son opulence, sa richesse et son pouvoir. Il était le roi le plus puissant de la côte atlantique ouest-africaine. Grand chasseur d’éléphant, il pratiquait le commerce de l’ivoire. Comme tous ses prédécesseurs donc, il était un illustre commerçant, grand chasseur et intrépide marin. Les Anglais en séjour sur les rives du fleuve Wouri, supplièrent le puissant Roi Doo La Makongo de les protéger contre d’autres rois de la côte, qui les pourchassaient et voulaient enterrer vivants ces visages pâles, comme sacrifices rituels lors des cérémonies de deuils des membres des familles royales. Le Roi Doo La Makongo pris de pitié, leur donna asile et protection. Son pouvoir était tel qu’il était craint de toute la Côte Ouest-africaine. Subjugués et émerveillés, les Anglais lui donnèrent alors le nom de leur propre roi : King Georges III.
- Heinhein mémé c’est Georges noor ?! Ekié! Pourquoi toi tu dis alors Joss ?
— Mouf ! Tes ancêtres n’ont pas su bien prononcer « Georges » ! Ba kwadi ndé na « Joss » ! Ils ont prononcé Joss, King Joss ! Di dina di tiki pè ndé nika na tè na wèngè ! Et ce nom est resté ainsi jusqu’à ce jour!
- Ahaaaan ! Donc quand j’entends souvent « taxi : lycée Joss ! » Joss là c’est lui hein ?
- Eééé ! Oui ! Quand tu entends « le Plateau Joss », « le lycée Joss », mô nù ! C’est lui ! C’est Doo La Makongo, King Joss !
- Yééééééééé !
King Joss vit ainsi son nom être attribué au lieu que les Bassa avaient à l’époque donné à son ancêtre Ewalè : le Plateau Joss (Bali, Bonanjo, Bonadibong etc.).
Le Roi Doo La Makongo dit King Joss engendra plusieurs enfants parmi lesquels, Makongo II, Njo a Doo (alias Priso), Bèllè a Doo (King Bell 1er), Same I, Same II, Dumbè, Dibondo, Epombo, Dipa I, Makubè, Dipa II, Kampesi, etc.
A l’époque du King Joss, aucun traité n’avait encore été signé avec les Européens qui, entretenaient simplement avec les Duala des relations commerciales. Les explorateurs étaient des patrons de firmes qui séjournaient dans les ports le long des côtes, pendant toute la durée des transactions financières. Comme toute collectivité en sol étranger, ils s’étaient donc constitués en une sorte de syndicat ou encore d’association, pour la meilleure défense de leurs intérêts vis-à-vis des Duala qui, à cette époque, étaient de loin le parti le plus fort. J’explique simplement pour qu’on puisse comprendre. A la tête donc de ce syndicat ou association, il y avait un Consul. C’est-à-dire que, la notion de consulat s’impose en raison de leur présence permanente sur la terre des mbéatoè. Ce Consul jouera un rôle déterminant dans la guerre de succession qui opposera Njo a Doo ( alias Priso) et son frère cadet Bèllè a Doo ( Père des BonaBèllè devenu Bonabèri)…
- Njo a Doo était très dur de caractère, très honnête aussi, mais il était trop violent et trop autoritaire.
- Hein mémé ?
- Oui, il était très fort et très grand de taille. Il frappait ses frères jusqu’au sang. Bato bèsè ba ta ndé ba bwanè mô mbongo, tout le monde avait peur de lui, y compris son propre père Doo La Makongo.
- HEIN ??? je relâchai ma cuillère dans mon délicieux bol de tapioca aux arachides bien grillés et à l’eau bien fraiche comme je l’aimais. Yéééé mémé… donc le type-là tapait tout le monde ?
- Oui. On le surnommait Priso.
- Pourquoi ? parce qu’il tapait les gens ?
- Njo accompagnait son père à chaque transaction avec les Blancs et les Blancs Anglais l’ont donc surnommé « Prince Doo »…
- Heinhein…
- Ndé bisô di si bèn letta la R o bwambo bwasù bwa Duala…. Mais dans notre langue Duala, la lettre R n’existe pas…
- Ahaaan…
- Eéééé. Oui. C’est pourquoi les Duala l’appelaient « Piinso » au lieu de « Prince Doo ». Maintenant, en entendant les Duala appeler Njo « Piinso », les Blancs à leur tour ne prononçaient pas comme il fallait, ils disaient plutôt « Priso ». Et tous les explorateurs commerçants qui venaient sur nos côtes, Hollandais, Portugais, Anglais, etc. disaient « Priso ».
- Ahaaaaaan… c’est lui le Père des Bonapriso hein ?
- Oui, les BonaPriso sont ses descendants.
- Ahaaan… donc Rudolf est de Bonapriso alors…
Mémé cessa un instant de passer son gros peigne chauffant dans ses cheveux et sourit. J’aimais contempler la fumée qui s’échappait alors de ses cheveux soudain devenus lisses… et cette odeur familière de brûlé de cheveu, de mi-chaud mi-humide, je l’ai encore dans l’esprit… ainsi que ce fameux peigne défrisant qui me terrifiait…
- Kèm a mama ! Rudolf a titi mun’a Bonapiso. Rudolf ne vient pas de Bonapriso, ni même de Bonanjo comme beaucoup le pensent.
- Hein ?!
- Huhum… Rudolf vient de Bonabèri…
Né vers 1750 et décédé vers 1810, Njo a Doo alias Priso était en réalité le second fils de Doo La Makongo. Après la mort de son frère aîné Makongo ma Doo (que Njo tua de sang-froid, selon les Anciens…), Njo a Doo alias Priso devint l’aîné de toute la fratrie.
- Ahan mémé ! Donc c’est lui qui a succédé à son père le Roi Doo la Makongo ! Donc Rudolf vient de lui…
- Kèm ! Non ! Doo La Makongo préférait son fils cadet Bèllè…
- Hein ? Pourquoi ?
- Wa mô senga ndé ékwadi…. Calme-toi et écoute l’histoire… je t’ai dit que le Roi Doo la Makongo était un grand chasseur d’éléphant et qu’il vendait l’ivoire nooor ?
- Heinhein…
… Un jour, le Roi Doo La Makongo alla vendre son ivoire dans un petit village Pongo, appelé Mulanga, situé sur la rive gauche du fleuve Mongo. Il y rencontra une jolie fille de Mongo, appelée Mandonè à Lobè, et lui demanda sa main. Mais Mandonè était déjà fiancée à un homme du nom de Eyumè à Mbonjo, qui était bien trop pauvre pour payer sa dot. Mandonè tomba aussi amoureuse de Doo la Makongo qui, faisant fi de la Tradition, agit à son aise exactement comme son aïeul Ewalè. Mandonè tomba enceinte.
Voyant sa grossesse bientôt arriver à son terme, Madonè envoya chercher Doo la Makongo, qui revint à Mulanga prendre sa femme pour l’emmener avec lui à Douala.
Le père de Mandonè demanda à Doo La Makongo de nommer l’enfant Ebellè s’il était un garçon, du nom du frère de Mandonè, qui s’appelait Ebellè a Lobè. Il demanda aussi à Doo La Makongo de remettre l’enfant à sa famille maternelle quand il serait grand. Doo La Makongo accepta ces conditions, mais il ne les respecta pas.
Au lieu d’Ebéllè, il transforma le nom du garçon en Bèllè en supprimant le préfixe « E », et fit envoyer une dot au père de Mandonè, qu’il épousa sans autre forme de procès à Douala. Même si elle avait pour la famille de Mandonè un goût amer, cette dot imposée donnait au Roi Doo La Makongo toute légitimité sur la paternité de l’enfant, selon la tradition Duala.
- Mais mémé le père de Mandonè devait être content noor ? il a eu la dot !
- A ta ndé à pula muna ! Il voulait son petit-fils ! et Doo La Makongo lui, ne pouvait pas laisser son enfant grandir loin de lui, et devenir un Pongo !
- Ahaaaaan !
- Eéééé ! Oui ! C’est pourquoi il leur a envoyé la dot, pour avoir toute la paternité sur son fils, selon la Tradition.
A wusa tè jésèlè mun’a ooo kè Rudolf a si wusa bè Tét’ékombo ! S’il laissait son fils devenir un Pongo, alors Rudolf Douala Manga Bell n’allait jamais être ce grand roi qu’il était destiné à être, puisque cet enfant devait être l’aieul de Rudolf… - Ahaaaaaan… mémé ooo.. mémé ooo… peut-être que hein, les Oracles avaient soufflé à Doo la Makongo qu’un grand Roi allait naitre de son enfant là hein… tu vois noor…
- Eééééé ! Oui ! Les rois consultaient toujours les oracles ! Té bè ndé na kumba pè é ta o tén… même s’il y avait en Doo La Makongo l’orgeuil légitime d’un roi, ba tétè bâna bèn mwayé mundènè… les Anciens racontent que les Oracles avaient vu une grande lumière dans la descendance de Mandonè… et plus tard, on a compris que cette lumière c’était Rudolf…
- Heinhein…
- C’est peut-être pour tout cela que Doo La Makongo préférait son fils Bèllè Ba Doo…
- Ahaaaan..
- O nyola nika pè ndé Piinso a puli nô o bwa mô… Piinso était très jaloux, parce que leur père Doo La Makongo préférait Bèllè… et il cherchait à tuer son frère…
… Selon les Historiens, la haine de Priso a Doo envers son frère Bèllè ba Doo, était alimentée de plusieurs aspects :
1) Leur concurrence dans les transactions; commerciales auprès des commerçants européens ;
2) Leur rivalité pour la succession au trône de leur père ;
3) Le penchant affiché de Doo La Makongo pour son fils Bèllè ;
4) La perfidie sournoise de Bèllè vis-à-vis de Priso.
Priso a Doo avait l’habitude d’opérer des descentes nocturnes dans les bateaux des commerçants européens et, assassinant certains d’entre eux, il emportait alors les marchandises de son choix. Priso était une terreur tant pour les siens que pour les Européens. Le Roi Doo La Makongo était obligé à chaque fois, de payer les dettes correspondant aux marchandises volées.
Exaspérés de ses agissements, ses frères firent une réunion secrète où ils demandèrent tous à Bèllè le préféré de leur père, de faire tomber Priso dans un piège. Bèllè alla rendre compte de cette réunion à son père Doo La Makongo qui lui instruisit alors:
« Ala ! ndé ba baïsè tè wa dina longo, kwala ndé nà wa ndé wé Piinso a Doo ». « Vas-y, mais si les Blancs t’arrêtent, ne donne pas ton vrai nom, donne-leur le nom de Piinso a Doo ».
Ainsi, Bèllè alla une nuit à un bateau qui portait le nom de « Kata », extorquer les marchandises aux Européens. Pris au piège comme l’avait prévu son père Doo, car Bèllè n’avait pas la redoutable force physique de Piinso, les Européens lui demandèrent son nom et il dit « my name is Piinso a Doo ».
Les commerçants européens se contentèrent de noter minutieusement son nom dans leurs carnets. Certainement, pour reporter la situation à leur Consul afin qu’il en parle au Roi Doo La Makongo… qui donna son autorisation pour une petite punition à son fils Piinso…
Quelques jours plus tard, de retour de sa pêche en eaux profondes, Priso apprend qu’un nouveau bateau dénommé « Kata » a jeté l’ancre dans le royaume de son père. De son pas ferme et autoritaire, il y va donc naturellement bastonner tous ses occupants, et arracher leurs marchandises. Les historiens racontent que Priso avait une force exceptionnelle, à tel point que les Duala le disaient possédé par les divinités de l’eau…
Priso arrive et comprend rapidement qu’il y a anguille sous roche… en effet, tous les commerçants européens tombent à qui mieux mieux sur lui, le saisissent et le clouent par l’oreille à un mât du bateau « Kata ». Devant un Priso stupéfait, ils expliquent alors qu’il est déjà venu extorquer leurs marchandises il y a quelques jours, et qu’il n’a toujours pas payé leurs dettes. Il restera donc là, suspendu, tant que le Roi Doo La Makongo n’aura pas reversé leur argent.
Le plus jeune des matelots, le capitaine en second en charge de le surveiller, et qui a une grande sympathie pour ce géant rebelle de la côte ouest-africaine dont il entend les aventures, via les explorateurs qui vont et viennent et notent tout dans leurs carnets… fasciné, car il a enfin sous les yeux le magnifique spécimen qui lui semblait jusqu’ici comme une légende inventée par les marins de son pays…ce jeune matelot Anglais donc, chuchotera à Priso, que quelqu’un est venu une nuit voler leurs marchandises, en donnant son nom. Priso comprend qu’il ne peut s’agir que de ce satané Bèllè.
Précisons que ces Duala étaient parfaitement polyglotes car, à force de commercer avec tous ces Européens, ils parlaient parfaitement Hollandais, Portugais, Espagnol, Anglais etc.
Mis au courant, le Roi Doo la Makongo ne s’empressa pas de faire libérer son fils… il le laissa poireauter pendant quelques jours puis, pris de compassion, il ordonna qu’on le relâche. Fou de colère et blessé dans son amour propre par une telle humiliation auprès de vulgaires commerçants européens, lui un Prince ! Priso jura de tuer Bèllè ! Il apostropha son père en ces termes, dont le proverbe qu’il a lui-même créé dans sa colère, est encore aujourd’hui employé régulièrement dans la langue Duala :
« A Piinso a Doo La Makongo ! moto a mènè lambo o nin was’a wei, ndé a si bwé nyolo é ! »
« Piinso fils de Doo La Makongo ! L’Homme voit ( ou subit) des choses terribles sur cette terre sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
- Ahaaaaaaan !!!! Méméééé !!! Maman dit ça tout le temps ici quand je déchire ses rideaux ! Même toi ! Même tonton Vieux !!! Euye !!! J’entends ça partout ! On dit ça tout le temps !!! Moto a mènè lambo a si bwé nyolo éééé ! yééééé ! Donc c’est Priso qui avait dit ça ?
Mémé pouffa de rire en tirant vers nous, la bassine de graines de pistache, pour qu’on les décortique… j’adorais décortiquer les pistaches avec mémé les soirs, sur sa vieille natte… à sa véranda… tandis que le vent généreux de Deido allait et venait…ah si vous n’avez jamais décortiqué les graines de pistache avec votre grand-mère tandis qu’elle murmure à votre âme, alors…. Je ne sais pas… il y a là un délice d’enfance qui ne se raconte pas…
- Eéééé ! Piinso ndé a kwadi nika ! mot’a Duala a tè ndé mu musia kè lâ buka mô ! kè épamè, a si bi pè njé o bola tô njé o kwala ! a tè ndé nà ayo ! moto a mènè lambo a si bwé nyolo é !
Oui ! c’est Piinso qui avait dit ce proverbe ! Le Duala le dit aujourd’hui quand il est si choqué par une situation ou un drame, qu’il ne sait quoi faire ! il s’écrie alors : « mon Dieu ! l’homme voit des choses terribles sur cette terre, sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
… « C’est toi qui m’as fait ça ! A moi ton fils ! Tu as préféré protéger ce perfide de Bèllè ! Mais je vais le tuer ! Ce voyou ! Je vais le tuer ! Na bwa nun mun’à Mongo wèngè !!! Je tuerai ce fils du fleuve Mongo ce soir même !»…
Pris de panique, le Roi Doo La Makongo qui savait très bien que Piinso disait ce qu’il faisait, et faisait ce qu’il disait, fit voyager en secret dans une pirogue son épouse Mandonè et leurs enfants parmi lesquels Bèllè (déjà père de son premier garçon Bébé à Bèllè), pour la rive droite du fleuve Wouri, chez Samè II ( l’un des fils de Makongo qui s’y était établit… Père des Bonasama…).
Plus tard, Bèllè en visite chez le chef Bassa Dissomé la Mbwèmè, demanda la main de sa fille la princesse Bassa Ebassi Dissomé. Le chef Bassa sur la demande de Bèllè, lui donna de grandes parcelles de terre. Bèllè sur le conseil de son père le Roi Doo La Makongo, versa aux Bassa une dot si grandiose que la nouvelle parvint au Plateau Joss, et sur toute la Côte. Par cette alliance, les Bassa assuraient la protection de Bèllè que Piinso cherchait toujours à éliminer. Piinso savait que même si sa force était redoutable, il ne pouvait à lui tout seul, décimer tout un village Bassa, dont chaque fils était au moins aussi robuste que lui.
Par ailleurs, fou de jalousie car convaincu que c’était leur père Doo La Makongo qui avait payé cette dot faramineuse, Piinso entreprit de tuer son père. Pour sauver sa vie, Doo la Makongo fut obligé de se retirer dans la forêt où il se cacha pendant trois jours, tandis que les notables essayaient de ramener Piinso à la raison… ceci n’est pas une légende. C’est votre Histoire.
- Mama ééééééé ! le type là c’était un fou hein mémé ! Il voulait même tuer son père ?!
- Ah ! Piinso ?! wa o si bi pôn nja nu ta Piinso ! Mais toi tu ne sais pas qui était Priso ! Quand on prononçait son nom, c’était la débandade totale ! Tout le monde fuyait ! C’est à cause de son caractère là aussi que son père Doo la Makongo ne le voulait pas comme successeur…
Le Roi Doo La Makongo écrivit en secret une lettre de commandement qu’il remit à l’une de ses épouses, celle en qui il avait le plus confiance. Elle s’appelait Mandoungué Mandoumba. Il la lui remit deux jours avant sa mort. Nous sommes en 1792.
Avant, il avait fait promettre à son fils Bèllè que ce dernier viendrait lui succéder au trône, ou tout au moins, un des fils de Bèllè. Après les obsèques grandioses de Doo La Makongo, Piinso qui avait fait une trève de guerre pour le bon déroulement des obsèques, va s’enquérir de la lettre de commandement, et on lui dit alors que cette lettre a déjà été remise à son frère Bèllè.
Fou de colère, il se rendit néanmoins chez le Consul Anglais se faire reconnaitre comme successeur de Doo La Makongo, et donc, seul interlocuteur valable désormais, dans les transactions commerciales. Mais le Consul, lui demanda la lettre de commandement signée de son défunt père et Priso ne l’avait pas…
Allant chez le même Consul dans la nuit, par peur de son frère, Bèllè lui présenta la lettre de commandement dans laquelle Doo la Makongo le désignait comme son successeur au trône. Une réunion eut alors lieu la nuit même, à laquelle prirent part tous les notables et tous les capitaines des navires. Les écrits disent qu’il y avait au total 15 personnes à cette réunion.
Lors de cette réunion, les notables confirmèrent la lettre de commandement de Doo La Makongo, et les griefs ci-après furent soulevés contre Njo a Doo alias Priso:
- Comportement très sévère envers sa fratrie;
- Attaques répétées des Européens dans leurs navires et extorsion de leurs marchandises;
- Assasinat de 02 de ses frères : Makongo Ma Doo et Ngoundo a Doo;
- Tentative d’éliminer son frère Bèllè et même son père Doo La Makongo;
- Contenu de la lettre de commandement en faveur de Bèllè;
- Et selon le Dibambè la Sawa ( la Tradition), Priso appartenait au foyer de son oncle Ngangè à Makongo, parce que la mère de Priso fut acquise grâce au produit de la dot de la sœur utérine de Ngangè a Makongo. Selon le Dibambè, Priso n’appartenait donc pas au foyer de son père biologique Doo la Makongo, mais bel et bien au foyer de son oncle Ngangè a Makongo, partant… il ne pouvait prétendre à la succession de Doo La Makongo.
Reconnu par tous comme digne successeur de son père, le Prince Bèllè fut proclamé en 1792, « King Bell ». Toutefois, il ne se fit pas introniser. Il voulait ce trône pour son fils aîné Bébé a Bèllè … mais en 1792, Bébé a Bèllè qui est né vers 1774 n’avait que 18 ans… il est possible que Bèllè l’ait jugé pas encore assez mûr et ait entrepris de gérer les affaires courantes du royaume, tandis qu’il formait son fils à en prendre les rennes… ou aussi et surtout… l’ombre menaçante de Piinso qui n’avait pas dit son dernier mot rodait toujours et ferait tout pour récupérer le trône… ou aussi, d’autres frères de Bèllè estimaient qu’il était de leur droit de revendiquer ce trône… la mort d’un roi aussi puissant que Doo la Makongo fait toujours jaillir des fratricides sanglants…
Toujours est-il que ce n’est qu’en 1832 que Bébé a Bèllè, fils de Bèllè ba Doo la Makongo, fut intronisé comme successeur légitime de Doo La Makongo dit King Joss, dans la plus grande solennité et devint le fondateur de la Dynastie des Bell sous le patronyme de King Bell 1er.
- Mémé j’ai fini de danser. Regarde ! Le soleil se couche déjà… Dieu va venir la nuit alors me donner une nouvelle dent…? Hein mémé ?
- Eéééé ! Bon bulu mènè ! Oui! Cette nuit même , Il va planter une nouvelle graine ! Tu as bien chanté et bien dansé !
- Mémé ooo raconte moi alors la suite de l’histoire…
- Kèm ! O wodi ! Mba mènè pè na wodi… non ! Tu es fatiguée et moi aussi… kiyèlè ndé ! Demain, je te dirai la suite…
Na tondi kè wa kwala dina lao… à mama ba ta ndé ba bélè mô na nja ? kwala pètè dina lao… J’aime quand tu dis son nom… maman on l’appelait encore comment ? dis-moi son nom… - Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo.
(Rudolf Duala fils de Manga fils de Ndumbè fils de Lobè fils de Bébé fils de Bèlè de Doo de Makongo.) - Kwala dina lao… Kwala… Dis son Nom… Dis son nom…
Ce fut le 3e soir. 💝
FIN EPISODE 3.
LIEN EPISODE 2: https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=464635525664890&id=100063553390926
N.B : Je me fonde, lis, et collecte les informations de plusieurs livres pour notre série littéraire sur Rudolph :
-« Le Ngondo,Assemblée traditionnelle du peuple Duala » de Maurice Doumbé Moulongo
- « Le pays Sawa, Ma passion » de Eric de Rosny Dibounjé
- « les Bonadoo La Makongo au sein de Sawa Douala » de Samuel Ngoyè Mukuri
- « le paradis tabou » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Douala Manga Bell, héros de la résistance douala » de Iwiyè kala Lobè - « Adolf Ngosso Din l’étoile des forces vives » du Dr jean Toto Moukouo
- « Maso ma ndala, révélations des vérités cachées » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Ngum’a jéméa, la foi inébranlable de Rudolf Dualla Manga Bell » de David Mbongo Eyombwan - Plusieurs articles et écrits de Kum’a Ndumbè III à moi envoyés par son fils Khéops à qui je dis grandement merci.
- Merci à Tété Mandjombé pour son soutien dans cette démarche.
- Merci à Ngueng y Yango pour son accompagnement.
- Merci à toi PNB pour les livres ô combien rarissimes que tu m’as donnés. Tu sais au moins que plus on m’en donne, plus j’en veux non… ? je n’ai pas fini de vider ta bibliothèque, i’m just getting started… (sourire).
- Merci à mémé, ma défunte grand-mère pour… pour… et pour…
A mama sa ! danse maman ! danse ! sinon ta dent ne va pas repousser hein !
Je venais de perdre une dent. Encore. Mémé disait que lorsqu’on perdait une dent, on devait la lancer au-dessus de la toiture. Loin. Très loin. Ensuite, on devait chanter des louanges à Dieu et danser, danser jusqu’à l’épuisement afin qu’Il vous donne une nouvelle dent toute belle et toute neuve. Ce jour-là, maman était assise sur les escaliers de sa villa et dégustait des tranches d’ananas. Tonton Vieux, assis près d’elle, lui en arrachait les plus grosses…
Ouaaaaa Vieux ! pourquoi tu es nuisible comme ça ? je t’ai donné trois gros ananas à toi tout seul ! trois ! tu ne voulais même pas que je m’approche ! tu as fui avec ça dans ta chambre, tu es allé manger avec Dany ! maintenant que je suce mon seul ananas, tu viens encore arracher !
Aka ! maf ! tu vas faire quoi ? jusqu’à tu parles même hein ! tu t’amuses j’arrache même tout ton plateau là, je pars avec ! tu n’es pas fière qu’une future star comme moi, Kotto Bass, je suis là, assis au sol avec toi pour manger tes kankan ananas ci ? qui t’a même dit que l’aînée pleure ? wé ! A londè pôn mbémbé wuma yèsè pôn ! Si je te vole tu supportes madame ! tous les ananas que tu as sucés sur la terre ci avant que je ne naisse, ça ne te suffit pas ?! vois sa tête comme la hache ! didon donne ça ici ! weu !
Tsuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip !
Depuis sa natte sur sa véranda, Mémé chantait en frappant des mains, et m’accompagnait dans l’ésèwè tâtonnant que je déployais à corps perdu dans la grande cour. Il fallait chanter fort, très fort pour que Dieu m’entende, et qu’Il m’envoie une nouvelle dent. Un éclair rapide traversa les nuages dans le ciel. Le visage de mémé s’illumina.
Ahan ! Angel yé ngéa ! Voilà les anges qui descendent déjà pour ramasser ta dent et l’emporter au ciel hein… chante hein ! sinon Jésus ne va rien envoyer ! Yésu angamènè senga doï longo ! Jésus doit entendre ta voix ! sa pè ésèwè bwam ! frappe bien le sol avec tes pieds ! minyangadu mangamènè o kwala tétè nà wa nu nan ! a lomé wa songa nipèpè na pèlèpèlè! la terre doit crier à Dieu que voici Dany ici, envoie-lui vite une nouvelle dent ! sa ! danse !
J’étais très heure ce jour-là et je riais aux éclats. L’histoire de King Joss qu’elle m’avait raconté la veille, et de ses incorrigibles fils, galopait encore dans mon esprit…
Doo La Makongo dit King Joss. ( période de règne:1751-1792)
Hein mémé ? Donc c’est Doo La Makongo qu’on appelait Joss? Pourquoi on l’appelait comme ça ?
… Doo La Makongo fut surnommé « King Georges » par les explorateurs Anglais fascinés par son opulence, sa richesse et son pouvoir. Il était le roi le plus puissant de la côte atlantique ouest-africaine. Grand chasseur d’éléphant, il pratiquait le commerce de l’ivoire. Comme tous ses prédécesseurs donc, il était un illustre commerçant, grand chasseur et intrépide marin. Les Anglais en séjour sur les rives du fleuve Wouri, supplièrent le puissant Roi Doo La Makongo de les protéger contre d’autres rois de la côte, qui les pourchassaient et voulaient enterrer vivants ces visages pâles, comme sacrifices rituels lors des cérémonies de deuils des membres des familles royales. Le Roi Doo La Makongo pris de pitié, leur donna asile et protection. Son pouvoir était tel qu’il était craint de toute la Côte Ouest-africaine. Subjugués et émerveillés, les Anglais lui donnèrent alors le nom de leur propre roi : King Georges III.
Heinhein mémé c’est Georges noor ?! pourquoi toi tu dis alors Joss ?
Mouf ! tes ancêtres n’ont pas su bien prononcer « Georges » ! ba kwadi ndé na « Joss » ! ils ont prononcé Joss, King Joss ! di dina di tiki pè ndé nika na tè na wèngè ! et ce nom est resté ainsi jusqu’aujourd’hui !
Ahaaaan ! donc quand j’entends souvent « taxi : lycée Joss ! » Joss là c’est lui hein ?
Eééé ! oui ! quand tu entends « le Plateau Joss », « le lycée Joss », mô nù ! c’est lui ! c’est Doo La Makongo, King Joss !
Yééééééééé !
King Joss vit ainsi son nom être attribué au lieu que les Bassa avaient à l’époque donné à son ancêtre Ewalè : le Plateau Joss (Bali, Bonanjo, Bonadibong etc.)
Le Roi Doo La Makongo dit King Joss engendra plusieurs enfants parmi lesquels, Makongo II, Njo a Doo (alias Priso), Bèllè a Doo (King Bell 1er), Same I, Same II, Dumbè, Dibondo, Epombo, Dipa I, Makubè, Dipa II, Kampesi, etc.
A l’époque du King Joss, aucun traité n’était encore signé avec les Européens qui, entretenaient simplement avec les Duala des relations commerciales. Les explorateurs étaient des patrons de firmes qui séjournaient dans les ports le long des côtes, pendant toute la durée des transactions financières. Comme toute collectivité en sol étranger, ils s’étaient donc constitués en une sorte de syndicat ou encore d’association, pour la meilleure défense de leurs intérêts vis-à-vis des Duala qui, à cette époque, étaient de loin le parti le plus fort. J’explique simplement pour qu’on puisse comprendre. A la tête donc de ce syndicat ou association, il y avait un Consul. C’est-à-dire que la notion de consulat s’impose en raison de leur présence permanente sur la terre des mbéatoè. Ce consul jouera un rôle déterminant dans la guerre de succession qui opposera Njo a Doo ( alias Priso) et son frère cadet Bèllè a Doo ( Père des BonaBèllè devenu Bonabèri)…
Njo a Doo était très dur de caractère, très honnête mais il était aussi trop violent et trop autoritaire.
Hein mémé ?
Oui, il était très fort et très grand de taille. Il frappait ses frères jusqu’au sang. Bato bèsè ba ta ndé ba bwanè mô mbongo, tout le monde avait peur de lui, y compris son propre père Doo La Makongo.
HEIN ??? je relâchai ma cuillère dans mon délicieux bol de tapioca aux arachides bien grillées et à l’eau bien fraiche comme je l’aimais. Yéééé mémé… donc le type-là tapait tout le monde ?
Oui. On le surnommait Priso.
Pourquoi ? parce qu’il tapait les gens ?
Njo accompagnait son père à chaque transaction avec les Blancs et les Blancs Anglais l’ont donc surnommé « Prince Doo »…
Heinhein…
Ndé bisô di si bèn letta la R o bwambo bwasù bwa Duala…. Mais dans notre langue Duala, la lettre R n’existe pas…
Ahaaan…
Eéééé. Oui. C’est pourquoi les Duala l’appelaient « Piinso » au lieu de « Prince Doo ». Maintenant, en entendant les Duala appeler Njo « Piinso », les Blancs à leur tour ne prononçaient pas comme il fallait, ils disaient plutôt « Priso ». Et tous les explorateurs commerçants qui venaient sur nos côtes, Holandais, Portugais, Anglais, etc. disaient « Priso ».
Ahaaaaaan… c’est lui le Père des Bonapriso hein ?
Oui, les BonaPriso sont ses descendants
Ahaaan… donc Rudolf est de Bonapriso alors…
Mémé s’arrêta un instant de passer son gros peigne chauffant dans ses cheveux et sourit. J’aimais contempler la fumée qui s’échappait alors de ses cheveux soudain devenus lisses… et cette odeur familière de brûlé de cheveu, je l’ai encore dans l’esprit…
Kèm a mama ! Rudolf a titi mun’a Bonapiso. Rudolf ne vient pas de Bonapriso, ni même de Bonanjo comme beaucoup le pensent.
Hein ?!
Huhum… Rudolf vient de Bonabèri…
Né vers 1750 et décédé vers 1810, Njo a Doo alias Priso était en réalité le second fils de Doo La Makongo. Après la mort de son frère aîné Makongo ma Doo (que Njo tua de sang-froid, selon les Anciens…), Njo a Doo alias Priso devint l’aîné de toute la fratrie.
Ahan mémé ! donc c’est lui qui a succédé à son père le Roi Doo la Makongo ! donc Rudolf vient de lui…
Kèm ! non ! Doo La Makongo préférait son fils cadet Bèllè…
Hein ? pourquoi ?
Wa mô senga ndé ékwadi…. Calme-toi et écoute l’histoire… je t’ai dit que le Roi Doo la Makongo était un grand chasseur d’éléphant et qu’il vendait l’ivoire nooor ?
Heinhein…
… Un jour, le Roi Doo La Makongo alla vendre son ivoire dans un petit village Pongo, appelé Mulanga, situé sur la rive gauche du fleuve Mongo. Il y rencontra une jolie fille de Mongo, appelée Mandonè à Lobè, et lui demanda sa main. Mais Mandonè était déjà fiancée à un homme du nom de Eyumè à Mbonjo, qui était bien trop pauvre pour payer sa dot. Mandonè tomba aussi amoureuse de Doo la Makongo qui, faisant fi de la Tradition, agit à son aise exactement comme son aïeul Ewalè. Mandonè tomba enceinte. Voyant sa grossesse bientôt arriver à son terme, Madonè envoya chercher Doo la Makongo, qui revint à Mulanga prendre sa femme pour l’emmener avec lui à Douala.
Le père de Mandonè demanda à Doo La Makongo de nommer l’enfant Ebellè s’il était un garçon, du nom du frère de Mandonè, qui s’appelait Ebellè a Lobè. Il demanda aussi à Doo La Makongo de remettre l’enfant à sa famille maternelle quand il serait grand. Doo La Makongo accepta ces conditions, mais il ne les respecta pas. Au lieu d’Ebéllè, il transforma le nom du garçon en Bèllè en supprimant le préfixe « E », et fit envoyer une dot au père de Mandonè, qu’il épousa sans autre forme de procès à Douala. Même si elle avait pour la famille de Mandonè un goût amer, cette dot imposée donnait au Roi Doo La Makongo toute légitimité sur la paternité de l’enfant, selon la tradition Duala.
Mais mémé le père de Mandonè devait être cpntent noor ? il a eu la dot !
A ta ndé à pula muna ! il voulait le petit-fils ! et Doo La Makongo lui, ne pouvait pas laisser son enfant grandir loin de lui, et devenir un Pongo !
Ahaaaaan !
Eéééé ! Oui ! C’est pourquoi il leur a envoyé la dot, pour avoir toute la paternité sur son fils, selon la Tradition. A wusa tè jésèlè mun’a ooo kè Rudolf a si wusa bè Tét’ékombo ! s’il laissait son fils devenir un Pongo, alors Rudolf Douala Manga Bell n’allait jamais être ce grand roi qu’il était destiné à être, puisque cet enfant devait être l’aieul de Rudolf…
Ahaaaaaan… mémé ooo.. mémé ooo… peut-être que hein, les Oracles avaient soufflé à Doo la Makongo qu’un grand Roi allait naitre de son enfant là hein… tu vois noor…
Eééééé ! oui ! les rois consultaient toujours les oracles ! té bè ndé na kumba pè é ta o tén… même s’il y avait en Doo La Makongo l’orgeuil légitime d’un roi, ba tétè bâna bèn mwayé mundènè… les Anciens racontent que les Oracles avaient vu une grande lumière dans la descendance de Mandonè… et plus tard, on a compris que cette lumière c’était Rudolf…
Heinhein…
C’est peut-être pour tout cela que Doo La Makongo préférait son fils Bèllè Ba Doo…
Ahaaaan..
-o nyola nika pè ndé Piinso a puli nô o bwa mô… Piinso était très jaloux, parce que leur père Doo La Makongo préférait Bèllè… et il cherchait à tuer son frère…
Selon les Historiens, la haine de Priso a Doo envers son frère Bèllè ba Doo, était alimentée de plusieurs aspects :
Leur concurrence dans les transactions commerciales auprès des commerçants européens ;
Leur rivalité pour la succession au trône de leur père ;
Le penchant affiché de Doo La Makongo pour son fils Bèllè ;
La perfidie sournoise de Bèllè vis-à-vis de Priso ;
Priso a Doo avait l’habitude d’opérer des descentes nocturnes dans les bateaux des commerçants européens et, assassinant certains d’entre eux, il emportait alors les marchandises de son choix. Priso était une terreur tant pour les siens que pour les Européens. Le Roi Doo La Makongo était obligé à chaque fois, de payer les dettes correspondant aux marchandises volées. Exaspérés de ses agissements, ses frères firent une réunion secrète où ils demandèrent tous à Bèllè le préféré de leur père, de faire tomber Priso dans un piège. Bèllè alla rendre compte de cette réunion à son père Doo La Makongo qui lui instruisit : « Ala ! ndé ba baïsè tè wa dina lpongo, kwala nà wa ndé wé Piinso a Doo », « Vas-y, mais si les Blancs t’arrêtent, ne donne pas ton vrai nom, donne le nom de Piinso a Doo ».
Ainsi, Bèllè alla une nuit à un bateau qui portait le nom de « Kata », extorquer les marchandises aux Européens. Pris au piège comme l’avait prévu son père Doo, car Bèllè n’avait pas la redoutable force physique de Piinso, les Européens lui demandèrent son nom et il dit « je m’appelle Piinso a Doo ». Les commerçants européens se contentèrent de noter minutieusement son nom dans leurs carnets. Certainement, pour reporter la situation à leur Consul afin qu’il en parle au Roi Doo La Makongo… qui donna son autorisation pour une petite punition à son fils Piinso…
Quelques jours plus tard, de retour de sa pêche en eaux profondes, Priso apprend qu’un nouveau bateau dénommé « Kata » a jeté l’ancre dans le royaume de son père. De son pas ferme et autoritaire, il y va donc bastonner tous ses occupants et arracher leurs marchandises. Les historiens racontent que Priso avait une force exceptionnelle, à tel point que les Duala le disaient possédé par les divinités de l’eau… Priso arrive et comprend rapidement qu’il y a anguille sous roche… tous les commerçants européens tombent sur lui, le saisissent et le clouent par l’oreille à un mât du bateau « Kata ». Devant un Priso stupéfait, ils expliquent qu’il est venu extorquer leurs marchandises il y a quelques jours et qu’il n’a toujours payé leurs dettes. Il restera donc là, suspendu tant que le Roi Doo La Makongo n’aura pas reversé leur argent. Le plus jeune des matelots, le capitaine en second en charge de le surveiller, et qui a une grande sympathie pour ce géant rebelle de la côte ouest-africaine dont il connait les aventures, via les explorateurs qui vont et viennent et notent tout dans leurs carnets… fasciné car il a enfin sous les yeux le magnifique spécimen qui lui semblait jusqu’ici comme une légende inventée par les marins de son pays…ce jeune matelot donc, chuchotera à Priso, que quelqu’un est venu une nuit voler leurs marchandises en donnant son nom. Priso comprend qu’il ne peut s’agir que de ce satané Bèllè. Précision que ces Duala étaient parfaitement polyglotes car, à force de commercer avec tous ces Européens, ils parlaient parfaitement Hollandais, Portugais, Espagnol, Anglais etc.
Mis au courant, le Roi Doo la Makongo ne s’empressa pas de faire libérer son fils… il le laissa poireauter pendant quelques jours puis, pris de compassion, il ordonna qu’on le relâche. Fou de colère et blessé dans son amour propre par une telle humiliation auprès de vulgaires commerçants européens, lui un Prince ! Priso jura de tuer Bèllè ! il apostropha son père en ces termes, dont le proverbe qu’il a créé est encore aujourd’hui employé régulièrement dans la langue Duala :
« A Piinso a Doo La Makongo ! moto a mènè lambo o nin was’a wei, ndé a si bwé nyolo é ! » « Piinso fils de Doo La Makongo ! L’Homme voit ( ou subit) des choses terribles sur cette terre sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
Ahaaaaaaan !!!! mémé !!! maman dit ça tout le temps ! même toi ! même tonton Vieux !!! euye !!! j’entends ça partout ! on dit ça tout le temps !!! moto a mènè lambo a si bwé nyolo éééé ! yééééé ! donc c’est Priso qui avait dit ça ?
Mémé pouffa de rire en tirant vers nous, la bassine de graines de pistache, pour qu’on les décortique… j’adorais décortiquer les pistaches avec mémé les soirs, sur sa vieille natte à sa véranda, tandis que le vent généreux de Deido allait et venait…ah si vous n’avez jamais décortiqué les graines de pistache avec votre grand-mère tandis qu’elle murmure à votre âme, alors…. Je ne sais pas… il y a là un délice d’enfance qui ne se raconte pas…
Eéééé ! Piinso ndé a kwadi nika ! mot’a Duala a tè ndé mu musia kè lâ buka mô ! kè épamè, a si bi pè njé o bola tô njé o kwala ! a tè ndé nà ayo ! moto a mènè lambo a si bwé nyolo é !
Oui ! c’est Piinso qui avait dit ce proverbe ! le Duala le dit aujourd’hui quand il est si choqué par une situation ou un drame, qu’il ne sait quoi faire ! il s’écrie alors : « mon Dieu ! l’homme voit des choses terribles sur cette terre, sous le soleil, et il ne meurt pourtant pas ! »
… « c’est toi qui m’as fait ça ! A moi ton fils ! tu as préféré protégé ce perfide de Bèllè ! mais je vais le tuer ! ce voyou ! je vais le tuer ! na bwa nu mun’à Mongo wèngè !!! je tuerai ce fils du fleuve Mongo ce soir même !»… Pris de panique, le roi Doo La Makongo qui savait très bien que Piinso disait ce qu’il faisait et faisait ce qu’il disait, fit voyager en secret dans une pirogue son épouse Mandonè et leurs enfants parmi lesquels Bèllè (déjà père de premier garçon Bébé à Bèllè), pour la rive droite du fleuve Wouri, chez Samè II ( l’un des fils de Makongo qui s’y était établit… Père des Bonasama…).
Plus tard, Bèllè en visite chez le chef Bassa Dissomé la Mbwèmè, demanda la main de sa fille la princesse Bassa Ebassi Dissomé. Le chef Bassa sur la demande de Bèllè, lui donna de grandes parcelles de terre. Bèllè sur le conseil de son père le Roi Doo La Makongo, versa aux Bassa une dot si grandiose que la nouvelle parvint au Plateau Joss, et sur toute la Côte. Par cette alliance, les Bassa assuraient la protection de Bèllè que Piinso cherchait toujours à éliminer. Piinso savait que même si sa force était redoutable, il ne pouvait à lui tout seul décimer tout un village Bassa, dont chaque fils était au moins aussi robuste que lui.
Par ailleurs, fou de jalousie car convaincu que c’était leur père Doo La Makongo qui avait payé cette dot faramineuse, Piinso entreprit de tuer son père. Pour sauver sa vie, Doo la Makongo fut obligé de se retirer dans la forêt où il se cacha pendant trois jours, tandis que les notables essayaient de ramener Piinso à la raison…
Mama ééééééé ! le type là c’était un fou hein mémé ! il voulait même tuer son père ?!
Ah ! Piinso ?! wa o si bi pôn nja nu ta Piinso ! mais toi tu ne sais pas qui était Priso ! quand on prononçait son nom, c’était la débandade totale ! tout le monde fuyait ! C’est à cause de son caractère là aussi que son père Doo la Makongo ne le voulait pas comme successuer…
Le Roi Doo La Makongo écrivit en secret une lettre de commandement qu’il remit à l’une de ses épouses, celle en qui il avait le plus confiance. Elle s’appelait Mandoungué Mandoumba. Il la lui remit deux jours avant sa mort. Nous sommes en 1792. Avant, il avait fait promettre à son fils Bèllè que ce dernier viendrait lui succéder au trône, ou tout au moins, un des fils de celui-ci. Après les obsèques grandioses de Doo La Makongo, Piinso qui avait fait une trève de guerre pour le bon déroulement des obsèques, s’enquit de la lettre de commandement, et on lui dit alors que cette lettre avait déjà été remise à son frère Bèllè. Fou de colère, il se rendit chez le Consul Anglais se faire reconnaitre comme successeur de Doo La Makongo, et donc, seul interlocuteur valable désormais, dans les transactions commerciales. Mais le Consul, lui demanda la lettre de commandement signée de son défunt père et Priso ne l’avait pas…
Allant chez le même Consul dans la nuit, par peur de son frère, Bèllè lui présenta la lettre de commandement dans laquelle Doo la Makongo le désignait comme son successeur au trône. Une réunion eut alors lieu la nuit même, à laquelle prirent part tous les notables et tous les capitaines des navires. Les écrits disent qu’il y avait au total 15 personnes à cette réunion. Lors de cette réunion, les notables confirmèrent la lettre de commandement de Doo La Makongo, et les griefs ci-après furent soulevés contre Njo a Doo alias Priso:
Comportement très sévère envers sa fratrie
Attaques répétées des Européens dans leurs navires et extorsion de leurs marchandises
Assasinat de 02 de ses frères : Makongo Ma Doo et Ngoundo a Doo
Tentative d’éliminer son frère Bèllè et même son père Doo La Makongo
Contenu de la lettre de commandement en faveur de Bèllè
Et selon le Dibambè la Sawa ( la Tradition), Priso appartenait au foyer de son oncle Ngangè à Makongo, parce que la mère de Priso fut acquise grâce au produit de la dot de la sœur utérine de Ngangè a Makongo. Selon le Dibambè, Priso n’appartenait donc pas au foyer de son père biologique Doo la Makongo, mais bel et bien au foyer de son oncle Ngangè a Makongo, partant… il ne pouvait prétende à la succession de Doo La Makongo.
Reconnu par tous comme digne successeur de son père, le Prince Bèllè fut proclamé en 1792, « King Bell ». Toutefois, il ne se fit pas introniser. Il voulait ce trône pour son fils aîné Bébé a Bèllè … mais en 1792, Bébé a Bèllè qui est né vers 1774 n’avait que 18 ans… il est possible que Bèllè l’ait jugé pas encore assez mûr et ait entrepris de gérer les affaires courantes du royaume, tandis qu’il formait son fils à en prendre les rennes… ou aussi et surtout… l’ombre menaçante de Piinso qui n’avait pas dit son dernier mot rodait toujours et ferait tout pour récupérer le trône… ou aussi d’autres frères de Bèllè qui estimaient qu’il était de leur droit de revendiquer ce trône… la mort d’un roi aussi puissant que Doo la Makongo fait toujours jaillir des fratricides sanglants.
Toujours est-il que ce n’est qu’en 1832 que Bébé a Bèllè, fils de Bèllè ba Doo la Makongo, fut intronisé comme successeur légitime de Doo La Makongo dit King Joss, dans la plus grande solennité et devint le fondateur de la Dynastie des Bell sous le patronyme King Bell 1er.
Mémé j’ai fini de danser. Regarde ! le soleil se couche déjà… Dieu va venir la nuit alors me donner une nouvelle dent mémé ?
Eéééé ! bon bulu mènè ! cette nuit même , Il va planter une nouvelle graine ! tu as bien chanté et bien dansé !
Mémé ooo raconte moi alors la suite de l’histoire…
Kèm ! o wodi !mba mènè pè na wodi… non ! tu es fatiguée et moi aussi… kiyèlè ndé ! demain je te dirai la suite… na tondi kè wa kwala dina lao… à mama ba ta ndé ba bélè mô na nja ? kwala pètè dina lao… J’aime quand tu dis son nom… maman on l’appelait encore comment ? dis-moi son nom…
Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo.
(Rudolf Duala fils de Manga fils de Ndumbè fils de Lobè fils de Bébé fils de Bèlè de Doo de Makongo.)
Kwala dina lao… Kwala… Dis son Nom… Dis son nom…
FIN EPISODE 3.
N.B : Je me fonde, lis, et collecte les informations de plusieurs livres pour notre série littéraire sur Rudolph :
-« Le Ngondo,Assemblée traditionnelle du peuple Duala » de Maurice Doumbé Moulongo
- « Le pays Sawa, Ma passion » de Eric de Rosny Dibounjé
- « les Bonadoo La Makongo au sein de Sawa Douala » de Samuel Ngoyè Mukuri
- « le paradis tabou » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Douala Manga Bell, héros de la résistance douala » de Iwiyè kala Lobè - « Adolf Ngosso Din l’étoile des forces vives » du Dr jean Toto Moukouo
- « Maso ma ndala, révélations des vérités cachées » de Ebele Wei de son nom connu Valère Epée
-« Ngum’a jéméa, la foi inébranlable de Rudolf Dualla Manga Bell » de David Mbongo Eyombwan - Plusieurs articles et écrits de Kum’a Ndumbè III à moi envoyés par son fils Khéops à qui je dis grandement merci.
- Merci à Tété Mandjombé pour son soutien dans cette démarche.
- Merci à Ngueng y Yango pour son accompagnement.
- Merci à toi PNB pour les livres ô combien rarissimes que tu m’as donnés. Tu sais au moins que plus on m’en donne, plus j’en veux non… ? je n’ai pas fini de vider ta bibliothèque, i’m just getting started… (sourire).
- Merci à mémé, ma défunte grand-mère pour… pour… et pour…
Danielle EYANGO raconte Duala Manga Bell. Saison 1 – Épisode 4 : Le fils de Dieu
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… O ni ponda, ba ta ndé ba bélè mô na Mun’a Loba… en ces temps- là, on l’appelait alors le Fils de Dieu…
… Elle nous préparait de la sardine… ah ! la sardine de ma grand-mère… son goût n’existe plus que dans mon esprit. Elle la faisait revenir à la poêle avec des oignons, de l’ail écrasé et un peu d’ésèsè, simplement. Assises sur sa natte, elle et moi mangions sa délicieuse sardine avec des miondos d’une blancheur écarlate. On mangeait dans la poêle qui avait servi à la cuisson. Manger dans la poêle ou la casserole ou même la marmite, avait alors un goût particulièrement délicieux.
Qui ça mémé… ? Rudolf… ?
Langwéa pètè mba dina lao. Rappelle-moi son nom. Il s’appelait comment ?
Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo.
Tu sais pourquoi je t’ai dit la dernière fois, que Rudolf venait de Bonabèri, maman… ? fit-elle en se levant pour placer des grandes bassines vides dans la cour, alors même que le ciel jaunâtre du soleil couchant ne montrait alors aucun nuage noir… mais ma grand-mère maternelle pouvait sentir l’odeur de la pluie à des kilomètres…
Parce que Bèllè ba Doo La Makongo son aïeul est parti se cacher à Bonabèri quand son frère Priso voulait le tuer !
Oui oui… ééé… Bèllè ndé à manéyè o Bonabèdi nà o Bonanjo. C’est la lignée de Bèllè qui règne sur les 02 rives du fleuve Wouri : Bèllè règne à Bonabèri (Mbappa’a Bèllè va créer Bon’a Bèllè) et Bèllè règne sur le Plateau Joss (Béb’a Bèllè, King Bell 1er, va fonder Bonanjo).
Ah bon mémé?
Ceci a toujours créé de grosses tensions mon enfant…
Un éclair se fit entendre tout à coup.
Ahan ! Tom je t’ai dit noor ? quand ma mère pose ses cuvettes dehors comme ça, même si le soleil brille comment, sache que la pluie arrive ! allons continuer les répétitions au salon ! ta voix même qui ronronne comme celle des chats-là didon articule bien ! wèkè ! moi je ne comprends même pas les paroles hein ! tu t’amuses je n’arrange même plus ton kankan album-là ! ou tu chantes même quoi oooo …
Tom Yom’s éclata d’un rire mélodieux en suivant tonton Vieux dans ses appartements. Je le surnommais « le tonton propre qui a la peau rose comme pour les bébés souris là » tellement j’étais fascinée par la propreté impeccable et le teint rose de ses orteils dans ses babouches en cuir noir… je passais le clair de mon temps à contempler ses pieds, à chaque fois qu’il venait à Deido voir tonton Vieux.
Mémé c’est Rudolf qu’on appelait le Fils de Dieu… ?
Kèm, sè tô mô ! non, ce n’est pas lui ! mais son grand-père… le Roi Ndumb’a Lobè.
… Ainsi Beb’a Bèllè ba Doo la Makongo hérita du trône de son grand-père l’illustre Roi Doo La Makongo ( King Joss), et fondant alors la Dynastie Bell, il prit le nom de King Bell 1er.
Beb’a Bèllè engendra Lobe a Bebe dit King Bell II, il signa le 1er traité anglo-Duala du 18 juin 1840. Signataires : Lobe a bebe, et Ngando’a Akwa dit King Akwa I. En tout 05 traités anglo-Duala seront signés : 1840, 1842, 1850, 1852, et 1856. Selon l’illustre journaliste Henriette Ekwè, conformément à un principe majeur de leur Tradition notamment « moto tè o épol’ao » (chacun à sa place), il s’agissait pour les rois Duala, d’obtenir du soutien contre la montée vers les côtes des peuples de l’Hinterland ( intérieur du pays), qui, voyant la prospérité de la Côte montraient eux aussi des désirs de commercer dans les ports, directement avec les étrangers… Or, pour le peuple de la Côte, il devait rester souverain et unique maitre de son territoire et des commerces y relatifs, et donc, seul et unique interlocuteur valable en ce qui concerne la Côte. Car disait-il et avec raison, ils ne se mêlaient nullement des commerces dans les forêts et régions des peuples de l’Hinterland, chacun devait rester maître de son territoire. Mais avaient-ils seulement compris que tout engagement formel de leur part avec l’Etranger engageait tout le pays… ? avaient-ils alors seulement compris que stratégiquement, étant les rois de la Côte… la Côte qui était l’unique voie vers les autres mondes…. ils étaient alors les représentants légaux du pays quand ils engageaient des négociations avec le visage pâle… ? En retour de ce soutien, les Anglais exigeaient des clauses qui visaient à aliéner les pratiques religieuses du Ngondo et autres pratiques qu’ils jugeaient barbares. Les rois Duala signaient mais continuaient d’obéir aux pratiques de leurs Pères. Ce qui créait continuellement des tensions entre les Anglais et eux. Après 18 ans de règne, Bebe a Bèllè se sentit épuisé et abandonna le trône au profit de son fils Ndumbè a Lobè a Bébé.
Lobe a Bebe engendra Ndumb’a Lobe dit King Bell III (période de règne: 1858-1897).
Ndumb’a Lobe se distingua par une telle sagesse et un tel sens de la Justice, qu’il fut surnommé par tous les peuples de la Côte Ndumb’a Loba, « Fils de Dieu ». On raconte que sa prestance physique était telle qu’elle rappelait le Divin. Les femmes ainsi que les hommes se retournaient à son passage. Toute sa présence dégageait une telle majesté qu’il était évident qu’il avait été fait roi depuis les entrailles de sa mère. On l’appelait « Bongongui ba Bèllè», cet arbre mystique géant qui lui fut légué par un Chef Bassa, qui l’avait planté dans la cour royale du Plateau Joss. On raconte que son charisme, sa tempérance et sa sagesse étaient telles que même les autres peuples voisins hors du pays, venaient par navire quérir les conseils du « Fils de Dieu » qui régnait sur la côte ouest-africaine. Selon l’écrivain Iwiyè Kala Lobè, la légende attribue au Fils de Dieu, 99 femmes et plusieurs concubines.
Mais Ndumb’a Lobè était un homme aussi… un homme avec son égo, ses faiblesses et ses lacunes… un homme magnifique, qui laissait toutefois un goût aigre à son souvenir…
Mémé, il avait fait quoi… ? hein ?
Elle se contenta de soupirer en écoutant la musique de la pluie qui tombait. Puis, se tournant vers moi et me regardant droit dans les yeux, elle souffla :
Moto a bè a tapi tè Loba tobo tobo… mwititi mwa pomanè ndé kudumanè mô… parfois, lorsque l’homme s’approche d’un peu trop près de Dieu… la Nuit alors, se hâte de le recouvrir…
Ndumb’a Lobè avait une faiblesse : son égo. Amoureux de la guerre, il en déclenchait à chaque fois qu’il estimait bafoué, sa fierté.
Ndumb’a Lobè avait un grand troupeau de porcs, mais ses procs sepromenaient partout à cahque fois et détruisaient les champs et les récoltes des gens sur leur passage. Bunya bô sô, bat oba bonadibong ba wôli… agacés, les gens de Bonadibong tuèrent un jour un cochon de Ndumb’a Lobè.
Entrant dans une violente colère, le King Bell III leur exigea en compensation de son porc et à l’immédiat, rien de moins que 4 femmes vierges. Les Bonadibong ne lui en donnèrent que 02 en lui disant de s’en contenter. Piqué à vif, Ndumb’a Lobè envoya ses troupes décimer toutes les plantations de Bonadibong ainsi que leurs bananiers, afin de les affamer et dans cette guerre, Toi’a Mbongo le chef de l’armée des Akwa et mari d’une des sœurs de Ndumb’a Lobè, trouva la mort. Cette guerre futa appelée la guerre des cochons.
Hein mémé, !!! mamaééééééé c’est pour un seul petit porc qu’il a détruit tout un village ?!!!
Moto a bè a tapi tè Loba tobo tobo… mwititi mwa pomanè ndé kudumanè mô… parfois, lorsque l’homme s’approche d’un peu trop près de Dieu… la Nuit alors, se hâte de le recouvrir…
Grand commerçant comme ses ancêtres, le roi Ndumb’a Lobè possédait des pirogues qui vendaient alors ses marchandises à Japoma. Un jour, pris de convoitise, le chef du village Japoma confiqua toutes les marchandides. Terrifiés, les pagayeurs lui dirent alors qu’elles appartenaient au Fils de Dieu, le Maitre de la Côte. Ce à quoi, le chef de Japoma répondit « allez lui dire que, quel que soit l’endroit d’où il sortira, du ciel ou de sous-terre, je l’attends de pied ferme »
HEIN ?!!!!!! mémé le type là n’avait pas peur de la mort ?!!! Ndumb’a Lobè a fait quoi ?
On raconte que cette nuit-là, lorsque les comemrçants-priogiers pénétrèrent la cour royale en trembalnt de tous leurs membres, ils trouvèrent Ndumb’a Loba majestuesuement assis sous son arbre mythique, la tête penchée en arrière et les yeux fermés. On raconte qu’apprenant la nouvelle, il se leva lentement de toute sa stature et les piroguiers reculèrent : « na njé ?! »
Le Fils de Dieu décima Japoma dans une guerre sans précédent qu’on appela la guerre de Japoma. Une guerre meurtrière de laquelle, il ramena des captifs qu’il enrôla comme soldats, y compris les enfants. Le chef de Japoma lui-même fut fait captif et devint son serviteur. Il prit également des femmes. Les plus belles.
Ndumb’a Lobè avait été désigné également Président du Ngondo aussi tribunal coutumier Duala. Au cours de son mandat largement apprécié par les populations, Ndumb’a Lobè prononca 02 condamnations à mort majeures, selon la loi du Dibombè (vie pour vie, dent pour dent, œil pour œil). Toutes ses décisions furent jugées équitables et justes, et il régnait avec autorité sur les eaux les forêts et les villages environnants de la Côte. Toutefois, loin de le desservir, ces nombreuses guerres augmentèrent son aura auprès du peuple, son prestige ainsi que la grandeur de sa réputation. Ah ! les colères viriles de Ndumb’a Lobè… ! ah.. ! cette masculinité à fleur de peau… ! on raconte que les femmes en jacassaient de plaisir et de fantasme aux abords des rivières…
Ahan… mais mémé pourquoi tu es triste en parlant de lui alors ? aka ! moi-même je susi d’accord hein ! koma ! quelqu’un prend ma nourriture ? il est fou ? bon, à part l’affaire du cochon là où il avait un peu exagéré, moi je ne vois rien de mal hein…
Moto a bè a tapi tè Loba tobo tobo… mwititi mwa pomanè ndé kudumanè mô… parfois, lorsque l’homme s’approche d’un peu trop près de Dieu… la Nuit alors, se hâte de le recouvrir…
Mémé tu aimes trop parler en paraboles ! c’est quoi ? tu veux dire quoi ?
Par égoisme et uniquement pour dominer ses frères, Ndumb’a Lobè a pactisé avec le visage pâle… contre ses frères.
HEIN ?!
L’intronisation de Ndumb’a Lobè avait rencontré de virulentes contestations, provenant notamment de ses oncles Kum’a Mbappè alias Lock Priso de Bonabèri, et Elamè Doo Joss de Bonapriso, qui auraient revendiqué leur droit d’aînesse pour la succession au trône de Doo La Makongo… ces contestations avaient longtemps retardé l’intronisation de Ndumb’a Lobè. Ndumb’a Lobè se fit grand ami des Allemands, notamment de l’amiral Knorr, auprès duquel il trahit à plusieurs reprises les plans de résistance de ses oncles en les dénonçant comme germanophobes… contre l’avis de ses oncles, Ndumb’a Lobè signa le traité germano-duala du 12 juillet 1884… ce traité contre lequel Rudolf, sur le conseil de Kum’a Mbappè alias Lock Priso, se révoltera et le paiera librement de sa vie…
Les Anciens imputèrent aussi à Ndumb’a Lobè le meurtre du prince Priso Ekambi a priso, victime d’une attaque en haute mer alors qu’il revenait de ses palntations du Moungo… Le peuple n’apprécia pas. En 1883, Ndumb’a Lobè tua de sang froid Endènè, une de ses épouses, surprise en flagrant délit d’adultère avec l’un de ses propres princes.
Sous le prétexte de le punir pour ce meurtre, mais certainement plus pour le protéger de la foudre des populations, l’administration locale allemande l’envoya en exil pour 01 an dans ses plantations du Moungo.
Suite à la signature du traité de juillet 1884, et s’obstinant dans la résistance à l’impérialisme allemand et son complice Ndumb’a Lobè, les peuples de la Côte se soulevèrent contre ce dernier, et brûlèrent toutes ses cases au Plateau Joss le 26 décembre 1884. Le Ngondo le jugea et le condamna à mort par contumace. Le Fils de Dieu était résolument déchu du Ciel.
Moto a bè a tapi tè Loba tobo tobo… mwititi mwa pomanè pè ndé o kudumanè mô… parfois, lorsque l’homme s’approche d’un peu trop près de Dieu… la Nuit alors, se hâte de le recouvrir… Il a attaché le nœud, que Rudolf a dû défaire au prix de sa vie… Moto a bè a tapi tè Loba tobo tobo… mwititi mwa pomanè pè ndé o kudumanè mô…
Ndumb’a Lobè se fit sans équivoque aucune, l’allié des Allemands sur les terres et eaux acquises à grands sacrifices par ses Pères. Protégé par l’Administration allemande à chaque fois qu’il était pourchassé par Lock Priso, Elame DOO Joss, ou encore oppo Priso Ekambi, il prenait soin de les dénoncer aux Allemands et même, de traquer lui-même ses ennemis, qu’il projeta même de tuer avec son efficacité redoutable, n’eût été l’intervention pacifique de son fils Mang’a Ndumbè Bell qui oeuvrait inlassablement pour la paix entre son père et les oncles de celui-ci.
O bi nà Soppo Priso Ekambi à ta ndé à wutamè o tétén’a ……. ? tu sais que Soppo Priso Ekambi se cachait dasn le soleil ?
Hein Mémé ?
Oui… c’est lui qui menait la résistance à Bonapriso, mais les Allemands ne comprenaient pas…non seulement, il était invisible, mais les rares fois qu’ils tiraient lui, il ne mourait pas. Ils ignoraient alors que le cœur de Soppo Priso Ekambi était dans le soleil…
HEIN ?!
Ce phénomène étrange rapporté par écrit par les Historiens n’est pas une légende ou un mythe. Soppo Prioso Ekambi sera trahi par l’un des siens, alors allié des Allemands avec Ndumb’a Lobè. Le traitre livrera au visage pâle, le secret de l’invisibilité et de l’invincibilité de Soppo Priso Ekambi : « idiots que vous êtes ! tirez plutôt dans l’astre du jour ! » soufflera-t-il… Interloqués, les Allemands viseront dasn le soleil lorsqu’ il brillera à son firmament… à l’instant même, Soppo Priso Ekambi tombera et mourra. La voie enfin libre et toute résistance vaincue, les Allemands entreprendront alors de chasser les populations du Plateau Joss : l’aube de l’expropriation des terres, se levait…
Moto a bè a tapi tè Loba tobo tobo… mwititi mwa pomanè pè ndé o kudumanè mô… parfois, lorsque l’homme s’approche d’un peu trop près de Dieu… la Nuit alors, se hâte de le recouvrir…
Ndumb’a Lobè engendra Auguste Mang’a Ndumbè, King Bell IV (période de règne : 1897-1908).
qui décroche une licence en économie à l’Université de Bristol en Angleterre. Revenu au pays, il développe et intensifie les activités agricoles dans le Moungo où son père possède de vastes plantations de cacaoyers, de palmiers à huile, de bananiers plantains et d’autres cultures vivrières. A cette époque précise (1897-1908), les Camerounais étaient de plus en plus maltraités par les Allemands, et le projet violent de confiscation des terres était déjà mis en œuvre.
Mang’a Ndumbè fut condamné à l’exil par les Allemands, au Togo en 1892 et voici pourquoi : dans un article écrit par Christaller le 01er institeur allemand au Cameroun, une photographie du prince apparaissant chargeant un fût d’huile de palme dans sa pirogue avec pour commentaire « les rois du Cameroun sont inférieurs aux ros européens parce qu’ils s’adonnent aux travaux domestiques ». Jugeant cet article méprisant, le Prince Mang’a Ndubmè constitua une délégation et se rendit chez Christaller, où il l’insulta sans détours de toute la puissance virulente de la langue méprisante héritée de ses aïeuls. Christaller vit rouge et dénonça le Prince à son administration allemenade comme un opposant au pouvoir allemand. L’administration allemande qui justement, cherchait depuis à soumettre cette satanée famille royale déporta le Prince et l’envoya en exil. Pendant tout le temps de son exil, son père Ndumb’a Lobè King Bell III, porta le deuil de son fils chaque jour.
Le jour de la libération de son fils approchant, l’interprète malhonnête Mouanguè ma Ngando Meeton à la solde lâche des Allemands et mis au courant, se rendit auprès du Roi Ndumb’a Lobè King Bell III et, pénétrant dans le désert de la douloureuse solitude du vieux roi et lui souffla : « si tu me donnes ta fille Yondo A Ndoumbè en mariage, je fais revenir ton fils héritier dans les prochains jours » King Bell piqua la colère meurtrière de ses aïeux et tonna : « par mes Ancêtres ! où a-t-on déjà vu l’enfant du Requin dans le ventre d’un vulgaire poisson ?! Disparais vite devant ma face avant que j’ordonne qu’on te tranche la tête ! je ne me soumets à rien ni personne ! si tel est le prix à payer, que mon fils meure au Togo ! j’en ai engendré bien d’autres ! » revenu au Cameroun en 1897, le prince exilé Mang’a Ndumbè King Bell IV trouva que les maltraitances allemandes sur son peuple avaient empiré. Un cliamt de tension régnait. Il succéda à son père qui mourut le 13 décembre 1897, quelques mois seulement après son retour d’exil.
… Et Mang’a Ndumbè engendra Rudolf Duala Manga Bell King Bell V, le Roi Martyr, qui régnera de 1910 à 1914.
A mama.. wa pè bunya bô nitèngèn, o mèndè o tapa Loba tobo tobo ! ndé o si bwa bôngô é, na bè wa bèbè … mwititi mu si mèndè o kudumanè wa ! tô bunya ! wa ndé wa kudumanè mwititi o tétén’a mu mwayé nindènè wa tapa nô….
… Mémé était étrange cette nuit-là. Se relevant, elle prit un seau plein d’’eau de pluie et revint vers moi…
Lâlé jôkèlè à mama.. allons prendre notre bain, maman… kwala pètè mba dina lao…dis-moi encore son nom… il s’appelait comment.
Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Belè ba Dooh La Makongo.
Je me levai toute heureuse. J’adorais l’eau de pluie, et suivant mémé vers l’arrière de la cour, à la salle de bains traditionnelle qu’elle avait exigé qu’on lui construise, je murmurais en boucle…
Il s’apelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Belè ba Dooh La Makongo.
Langwéa mba dina lao… langwa… dis-moi son nom… dis son nom…
Fin épisode 4.
saison 1 fin
Danielle Eyango raconte Rudolf Duala Manga Bell. Saison 2, épisode 1: Celui qui venait du Soleil…
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Danielle EYANGO raconte Duala Manga Bell. Saison 2. Épisode 2 : L’apartheid
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1ère partie : l’Evangile de la Ténèbre…
Elle s’appelait Barbara Nkono. Tonton Vieux en était fou amoureux. Quand elle présentait le journal de 20h, il la regardait, fasciné, obnubilé. Je n’existais plus. Elle l’hypnotisait, avec ses beaux pagnes et ses foulards gonflés de dignité. Elle l’enchantait, avec sa discrétion qui crevait les écrans. Elle s’appelait Barbara Nkono, et tonton Vieux en était amoureux. Elle s’appelait Barbara Nkono… et je la détestais.
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Pourquoi tu me regardes comme ça ? j’ai fait quoi encore maman… ?
Je rugissais de l’intérieur et je serrais fort mes maigres poings rongés de varicelle. Irrésistiblement, mon regard allait de mon oncle au téléviseur et vice versa. Un volcan m’incendiait le cœur. J’en étais devenue aussi rouge qu’une tomate.
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Ayo mba ndéééééééééé ! nun muna a boa bè éwusu éééé ! seigneur ! cette enfant est une sorcière ! l’autre jour, tu as mordu une femme ici au quartier parce qu’elle est seulement venue me chercher ! je ne la connaissais même pas hein! la fille d’autrui vient parce qu’elle veut voir Kotto Bass pour lui faire écouter ses maquettes, on me dit que tu as couru derrière la femme là ici au quartier, jusqu’à lui mordre la fesse ! Quand elle a voulu te frapper, tu lui as jeté le sable aux yeux, et tu as couru te cacher chez ta grand-mère ! toi la petite chintoc ci, nga o wu ndé wèni na si bi ! on t’a envoyée sur moi ? c’est même quoi avec toi ? je dis hein, la nourriture que ta grand-mère te fait manger là, ce n’est pas la sorcellerie par hasard ? donc maintenant ton problème c’est Barbara Nkono hein… elle est alors loin là-bas à Yaoundé, tu vas faire quoi ? achouka ! weu !
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A Danyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy ! wé ndé wèni ! ya wanan !
Sortant lentement du grand salon pour aller à la maison de Mémé qui criait mon nom, je ne répondis pas à tonton Vieux. Ce soir-là, lui et moi n’étions pas amis. Ça nous arrivait très souvent. Il m’avait encore trahie. Sur le point de franchir la porte, je me retournai et lançai au téléviseur un regard étrange. Instinctivement, tonton Vieux se pencha vers Barbara Nkono, comme pour la protéger. Il connaissait bien ce regard… ça n’annonçait rien de bon…
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Mémé ! Me voici ! fis-je de ma voix la plus innocente en déambulant les escaliers de la villa de mère, qui donnaient dans la vaste cour de la grande concession, où se trouvait à droite, la maison de ma grand-mère, avec sa large véranda où elle m’attendait, assise sur sa vieille natte.
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A mama mbana é, o yén ésukudu o mala nô, ba langwédi binyô miango ma apartheid éé ? à ton école, vous a-t-on parlé de l’apartheid ?
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Huhuuuuuum ! le truc-là qui chauffe comme ça en Afrique du Sud depuis depuis là noor… ? ce mbongo était délicieux. Il n’était pas noir, mais marron. Mémé disait toujours que le mbongo des femmes Duala, lui, était marron. Je soufflais sur mes doigts tellement c’était chaud. Mais ça ne m’empêchait pas tremper mes doigts dans ce délicieux makabo ma sèsè et ce mbongo, qui calmaient peu à peu ma jalousie vis-à-vis de cette … cette… c’était encore quoi son nom là-même… ? heinhien ! Barbara Nkono ! tsuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip !
Mémé m’observait en souriant tandis que je mangeais. Son pauvre fils, Vieux, faisait encore les frais de mon complexe d’Œdipe.
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Tô bunya o si lôkômè wéa ngô kè tô o ndôti, mba Makollo na mèndè pô o jondisè mô… apartheid é ta o yén ékomobo ! é ta pè nginya wè !
N’éteins jamais le feu qui te brûle dans le cœur, sinon même en rêve, moi ta grand-mère, je viendrai le rallumer… il y avait l’apartheid dans ce pays, et il était très violent…
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Hein Mémé ?! un morceau de macabo glissa de mes mains et retomba dans la casserole. J’étais stupéfaite. Tu dis que quoi ? il y avait l’apartheid ici au Cameroun ci ?
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Oui… il n’y a pas si longtemps que ça…
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Hein ?! mais pourquoi on ne nous dit rien à l’école ?
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To moto a si ma kwala mi miango. Ba bi to nika momènè ? personne n’en parle. Est-ce-que les gens savent même ça ? ba bi ndé nà Rudolf a wédi o nyol’ékombo… ils savent simplement que Rudolf est mort pour défendre ses terres, mais ils ne savent pas ce qu’il a vu… ba si bi à mun’am…ils ne savent pas mon enfant. Ils ne savent pas ce qu’il a vu…
Mon cœur battait la chamade. Mémé avait le regard perdu au loin dans la nuit, et une profonde mélancolie l’avait envahie… « ba si bi…. Ba si bi… » « ils ne savent pas… ils ne savent pas… » balbutiait-elle en boucle…
Nous sommes dans les années 1900. Ngo Basusugo épouse Komol s’en alla au fleuve ce matin-là très tôt. Ndog-Hem était un petit village Bassa situé dans les terres de ce qui s’appelle aujourd’hui Edéa. Arrivée au fleuve, Ngo Basusugo découvre des hommes à la peau étrange. Environ une centaine. Leur peau était aussi pâle que le ciel de certains midis. Ngo Basusugo est intriguée. Les missionnaires allemands protestants qui ont échoué dans cette zone rocailleuse sont morts de faim. Par des gestes de leurs mains allant du ventre à la bouche, ils font part de leur désespoir à Ngo Basusugo. Prise de compassion, elle leur fait signe en retour qu’elle s’en va à l’instant leur chercher de quoi se nourrir.
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Comment dit-on « un étranger » en Duala maman… ?
Mémé ne me regardait pas. Elle avait toujours la tête levée vers le ciel de la nuit. Les pieds allongés et les mains croisées sur ses jambes, elle murmurait une sorte de chant en balançant son corps de l’avant vers l’arrière. Je connaissais cette mimique typique des femmes Duala… la douleur n’était plus loin. Mon estomac plein se crispa.
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Quand.. quand elle reçoit les invités de sa tontine, maman dit souvent que « na kasa bèn ba bato »…
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Huhum… invité oui. Mais comment dit-on en Duala « un étranger » dans le sens de l’homme Blanc… ?
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Je.. je ne sais pas…
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Parce que ça n’existe pas. Ça n’existe pas dans nos langues. Chez nous, l’ « étranger » est un invité de Dieu, de la Providence, on lui apporte à manger, on lui apporte à boire, on lui donne une case pour se reposer… mais chez eux… chez eux… bato ba si bi à mun’am ! ba si bi njé Rudolf èn nô ! ba si bi na tèï tèï njoma malinga mao ! les gens ne savent pas mon enfant… ils ne savent pas ce que Rudolf a vu ! ils ne connaissent pas en détail, les raisons de sa colère ! pourquoi il a préféré mourir plutôt que d’accepter l’argent de ces gens.
Quelques heures plus tard, Ngo Basusugo revient avec des corbeilles pleines de fruits, et une calebasse de bouillon de poisson. Elle n’est pas seule. Elle est accompagnée de sa jeune fille d’environ 13 ans. Komol son mari, ainsi que quelques notables du village lui ont donné l’autorisation d’emmener à manger à ces hommes étranges dont ils ne veulent pas.
En effet, à Ndog-Hem on n’aime pas l’homme Blanc. Ils ont appris leurs méfaits et leurs actes de barbarie chez le peuple Duala ; ici, en pays Bassa, ils cachaient très souvent leurs frères Duala pourchassés. Alors, ces Blancs, ils n’en voulaient pas. Mais cet Hickong Hi Yap n’en faisait qu’à sa tête ! le prince héritier avait été en effet, converti au Dieu de ces Allemands et il les avait conduits jusqu’ici à Ndog-Hem. L’imbécile ! le naïf ! ils mangeraient et ensuite, ils remonteraient dans leurs satanés bateaux et s’en iraient très vite loin d’ici. Les notables s’en allaient ainsi à la case du roi Yap encore vivant, l’informer de la présence de ces Blancs aux abords du fleuve et de leur décision irrévocable d’empêcher ces derniers d’entrer dans leur terre.
Na poï ndé sunga binyô
Na poï ndé sunga binyô
Ndé binyô lo nongéa mba mun’am até !
Eboma na binyô éboma na binyô
Eboma na mun mwendi manyu !
Eboma na binyô éboma na binyô
Eboma na mun mwendi manyu !
Je suis venue vous sauver
Je suis venue vous sauver
Mais vous m’arrachez mon enfant !
Soyez maudits soyez maudit
Que votre évangile soit maudit !
Soyez maudits soyez maudit
Que votre évangile soit maudit !
Mémé chantait son ésèwè spontané, le corps allant de l’avant à l’arrière, tandis que des larmes coulaient irrésistiblement de ses yeux « ba si bi à mun’am ! ba si bi ! ils ne savent pas mon enfant ! ils ne savent pas »
A la vue de la jeune enfant de Ngo Basusugo, les missionnaires déposèrent leurs bibles et la retinrent prisonnière. Ils n’eurent aucune pitié pour les larmes de Ngo Basusugo. Ils lui intimèrent par des gestes de retourner au village. Elle les supplia à genoux, mais ils n’eurent aucune pitié. On raconte que la jeune enfant tremblait de tous les membres de son corps. Ils déposèrent leurs bibles et se jetèrent sur elle. Ils étaient une centaine. Tel fut le tout premier acte des pasteurs et missionnaires allemands en terre Bassa.
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M… mémé… ? les… les pasteurs-là ont fait les betises au bébé là… ?
Mémé renifla et s’essuya les yeux d’un pan de son kaba.
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Bato ba si bi ndé à mun’am ! bato ba si bi ndé… ndé bunya bô o mèndè langwa mi miango… bato bangamènè o bia njé é tombi o yén ékombo. Les gens ne savent pas mon enfant ! les gens ne savent pas… mais un jour, tu leur raconteras… ils doivent connaitre ce qui s’est passé dans ce pays.
Le roi Yap piqua une colère terrible. Avec ses soldats et munis de leurs armes artisanales, ils coururent au fleuve et ouvrirent le feu sur les missionnaires allemands. Ils en ont tué la grande majorité, le reste a pu s’échapper et naviguer jusqu’à Yaoundé, pour se réfugier chez un certain Hans Dominik, alors Officier de l’armée allemande au Cameroun, et Chef du poste militaire de Ydé ( décédé le 16/12/1910 à Yoko).
L’enfant de Ngo Basusugo et de Komol ne survivra pas… elle mourra cette même nuit-là, malgré les soins intensifs des guérisseurs de Ndog-Hem. Outrés, les anciens du village réclamèrent la vie du prince Hickong Hi Yap qui avait osé emmener sur leur terre ces hommes Blancs. Désespéré, le roi Yap dut acheter la vie de son fils avec une centaine de chèvres. Mais l’accalmie ne dura pas. Blessée dans son amour propre, l’armée allemande conduite par Hans Dominik, lance l’assaut sur Ndog-Hem et détruit tout le village, ainsi que femmes et enfants. Les coups de feu pleuvront des jours entiers.
Hans Dominik voit rouge : comment ces nègres ont osé ouvrir le feu sur des citoyens allemands ? ils le paieront. Femmes et enfants violés. Hommes tués et déchiquetés. Lorsque tout fut détruit, et qu’il n’y avait plus aucune résistance, ils firent ce qu’ils faisaient partout au Cameroun… les missionnaires se mirent à prêcher l’évangile. L’armée fouettait ceux qui refusaient le baptême. Quoi ? comment ça enterrer d’abord vos parents aux corps encore tout chauds sur le sable ? Jésus n’a-t-il pas dit de laisser les morts s’occuper des morts ? décidément, ces satanés nègres, n’étaient pas aisés à civiliser ! 25 coups de fouet sur le champ et jusqu’au sang ! acceptez-vous le baptême?renoncez-vous à vos pratiques sataniques ?!
C’était ça ou être attaché de nouveau à un arbre et être battu nu devant ses enfants. C’était ça ou être violée à nouveau devant ses enfants. C’était ça ou voir sa fillete de 9 ans donnée en récompense aux soldats pour avoir si bien décimé votre terre.
Alors, un à un, on renonçait à « satan ». On jetait dans la cour aux pieds de l’homme blanc, amulettes, gris-gris, statuettes… tous les outils rituels des pratiques ancestrales hérités depuis la Nubie (Egypte antique)
Na poï ndé sunga binyô
Na poï ndé sunga binyô
Ndé binyô lo nongéa mba mun’am até !
Eboma na binyô éboma na binyô
Eboma na mun mwendi manyu !
Eboma na binyô éboma na binyô
Eboma na mun mwendi manyu !
Je suis venue vous sauver
Je suis venue vous sauver
Mais vous m’arrachez mon enfant !
Soyez maudits soyez maudit
Que votre évangile soit maudit !
Soyez maudits soyez maudit
Que votre évangile soit maudit !
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Ils pourchassaient les gens ma fille… beaucoup refusaient de renoncer à la science de nos pères et s’enfuyaient bien loin au plus profond de la forêt… où ils mouraient comme ça, sans sépulture, comme des animaux. Le litige foncier n’était que le problème apparent… mais les gens ne savent pas ce que Rudolf voyait au quotidien… une fois, les Allemands ont pendu 9 Camerounais d’un coup, le même jour et tous ensemble.
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Hein Mémé… ?! pourquoi ?
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Parce qu’ils avaient refusé d’accepter Jésus-Christ.
Il s’appelait Etotokè. Un chef Bakoko d’Edéa. Accusé par des larbins des Allemands d’appartenir à une société secrète qui pratiquait encore les rites ancestraux. La terreur était telle que pour survivre, plusieurs trahissaient et faisaient tuer leurs frères. Trahis, Etotokè et les 08 autres membres de sa société secrète traditionnelle, seront emmenés au centre du village. Déshabillés. Nus. Puis pendus. Tous les 09 d’un coup. Nous sommes en 1904.
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Ponda éwô, ba malanè binyô o téténa éyidi ndé ba dia binyô wo ! tô da tô lambo ! bâ tchaka binyô ! ndé binyô lo botéa wô son à son ! ba ta ndé ba bwa minyangadi na miengè ma bana nika !
Certaines fois, ils emmenaient uniquement les femmes nouvellement mères ainsi que les nouveaux-nés et les tous petits enfants au plus profond de la forêt, et ils les abandonnaient là-bas ! sans nourriture ! sans eau ! pour qu’ils meurent à petit feu ! ils ne voulaient pas qu’on se reproduise beaucoup, parce qu’ils voulaient nos terres sans nous ! alors dans certaines terres bien situées selon leur goût, ils faisaient ça et ils forçaient les hommes à coup de fouet à travailler dans les chantiers de construction de la nouvelle ville qu’ils voulaient installer. Ndé à mun’am… mais dis-moi mon enfant, quel homme peut travailler quand sa famille meurt de faim et de soif au fond de la forêt ? beaucoup se laissaient mourir eux aussi. C’est sous les Allemands, que le mot « njokmasi » est né. Travaux forcés.
Di mèndè jènè nika bunya bo pèpè. Je t’en parlerai la prochaine fois. Bato ba si bi, à mun’am. Bato ba si bi. Les gens ne savent pas ma fille. Les gens ne savent pas.
Mon silence faisait écho à ses murmures. Je ne pouvais pas parler. J’avais l’impression incongrue de me moquer de Ngo Basusugo en bavardant. Je ne comprenais pas. Elle leur apportait seulement à manger… ? qu’avait-elle fait de mal… ? chez ces Allemands, l’étranger, on lui faisait du mal pour rien ? je ne comprenais pas. Je ne savais pas encore ce que Rudolf avait fait concrètement, mais j’étais plus que jamais de son côté. Mémé baissa les yeux vers moi.
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Tô bunya o si lôkômè wéa ngô kè tô o ndôti, mba Mkaollo na mèndè pô o tuba mô… n’éteins jamais le feu qui te brûle dans le cœur, sinon même en rêve, moi ta grand-mère, je viendrai le rallumer… Je vais te raconter la suite de l’apartheid un autre jour. Pour cette nuit, ça suffit. Comment il s’appelait encore ? dis son nom.
Pour la toute première fois, depuis qu’elle avait commencé à me raconter l’histoire de Rudolf, ma voix se fit froide, claire et résolue. Sans hésitation et le ton déterminé, je répondis.
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Il s’appelait Rudolf. Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Belè ba Dooh La Makongo.
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Langwéa mba dina lao… langwa… dis-moi son nom… dis son nom…
Fin épisode 2 saison 2.
Lien épisode 1 Saison 2:
https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=104968562399328&id=100086585525810&mibextid=Nif5oz
N.B : Il va de soi que s’il fallait raconter toutes les atrocités commises en terre camerounaise, un post facebook ne suffirait pas. Il y a eu des horreurs et des barbaries d’une telle inhumanité, que le colon aura vite entrepris de les effacer de la Mémoire Collective. Les quelques faits de cet épisode ont été rapportés par des rescapés de cette période. 118 au total, de différentes tribus du Cameroun. 118 vieillards que l’Historien Kum’a Ndumbè avait entrepris de retrouver, d’enregistrer leurs propos, et de les retranscrire tels quels dans une collection de livres intitulée « Quand les Anciens parlent… ».
N’essayez pas de vous convaincre que c’est exagéré. C’est votre histoire, et je vous le dis : il y a bien pis.
Mon but n’est pas de réveiller une révolte inutile et stérile en vous. Mon but est de vous ouvrir les yeux sur votre véritable histoire, afin qu’elle façonne votre positionnement et votre projection de vous-mêmes dans le monde, dans vos entreprises et dans les défis quotidiens auxquels vous faites face. Un homme qui ignore d’où il vient, est battu d’avance dans l’échiquier mondial. Inconsciemment, il se verra toujours en-dessous des autres, ou moins méritant que les autres. Il verra un droit comme un privilège. Sa conception de son positionnement par rapport aux autres, sera toujours biaisée. Fatalement.
Mais un homme qui a pleine conscience de la lutte pénible de ses aïeux et de ce qu’ils ont dû endurer, lève la tête avec défi le matin, car il sait qu’il n’a pas le droit d’abandonner. Il a en lui, la juste rage… le Juste Feu de courir plus vite… et même plus loin que les autres. Car désormais, il sait à quel point il vient de loin… à quel point, il n’a même jamais failli voir la vie… à quel point d’autres ont payé le prix pour qu’il soit là. Alors, il n’a pas le droit de désespérer ou de se contenter de peu. Il se doit de conquérir le monde. Pour lui. Pour eux.💖
Danielle EYANGO raconte Duala Manga Bell – Saison 2. Episode 3: Le Njokmassi
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Une bête étrange fit irruption un beau matin sur la côte camerounaise… hagarde, affamée, vorace…
Elle envahissait les demeures et dévorait tout sur son passage…. Femmes, enfants, hommes, vivres… un animal féroce rugissait sur les décombres d’un pays qu’il avait détruit et qu’il n’avait pas bâti… il volait les hommes comme on vole des mangues… à la queue-leu-leu, parqués au fond des cales des bateaux telles des brebis bonnes à égorger… on aurait dit un chacal avec des ailes… il atterrissait les nuits dans les villages sans crier gare, et vous arrachait vos garçons et vos filles, puis il courait se réfugier dans des sortes de châteaux forts construits aux abords de vos plages… il mentira après à vos descendants que c’était vous qui lui vendiez vos enfants… Que c’était une entente entre lui et vous… il dira le mot « Traite » en lieu et place de « razzia », « kidnapping ». Parfois, revêtu d’un semblant d’humanisme, il vous flattait comme le serpent antique. Il vous disait qu’il emmènerait votre enfant faire de hautes études, puis vous ne le voyiez plus jamais… et là-bas au fond de la cale qui le transportera en Amérique ou aux Antilles, il lui dira en ricanant que son père ou sa mère l’ont vendu, et votre enfant le dira à son tour à ses enfants, et aux enfants de ses enfants…
Puis des siècles plus tard, la pratique alors abolie… la Bête assoiffée de sang et fiévreuse de malice, créera des camps de concentration, maquillés sous les grands chantiers de travaux structurants des villes… de grands chantiers plein de charité… si pleins de charité que les cadavres de vos fils s’y comptaient par milliers, chaque jour. Elle les aimait tellement la Bête, les pauvres indigènes incultes. La Bête autrefois esclavagiste apportait la Civilisation : les routes, les ponts aux indigènes alors, désormais condamnés au forçat : le Njokmassi.
« Ndé à ba ! yén éwékédi é wu ndé wèni ééé ? ndé à mun’am ba bato ba si bèn pôn éwékédi ! » s’étonnait très souvent Makollo, ma grand-mère. Sautant du coq à l’âne, elle s’écriait ainsi en se frappant les mains : « mais d’où venait donc cette créature ?! «
C’était quoi cet animal étrange qui se nourrissait du sang comme la chèvre se nourrissait des plantes ?
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A mun’am nika ndé bisô di ta nô di bélè babô : nyama ! mon enfant, c’était ainsi qu’on les appelait : des animaux, des bêtes…
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Pourquoi Mémé ?
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Nyana ba tétè bâsu ba ta ba kwala nà moto Nyamb’éwékè a wéki nô ka mô mènè a si ma péta ndolo, nyana o péti ndolo o lon,guè longo à mun’am kè o si bèn éwékédi ! sè tô Nyamb’éwékè ndé a wéki wa ! wa mènè o bi wèni o busédi nô !
Parce qu’ils n’avaient pas l’Amour en eux ! et nos Ancêtres disaient que l’être humain que Dieu a créé à son image, ne peut pas manquer d’Amour, si tu n’en as pas, alors tu n’as jamais été sorti de Dieu ! toi-même va chercher de qui tu es sorti, car ce n’est pas de Dieu !
Mais d’où sortait donc cet animal étrange ? qui arrachait les enfants des seins de leurs mères à Kribi, chez les Batanga…
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A mun’am bato ba si bi ! bato ba si bi ! ba si bi njé Rudolf èn nô na misô mao !
Mon enfant, les gens ne savent pas ! ils ne savent pas ce que Rudolf a vu de ses yeux !
… qui arrachait des nouveaux-nés des seins de leurs mères, et les balançait à manger à des crocodiles sous les yeux des femmes Batanga dont le lait dégoulinait encore, et dont les cris déchiraient le ciel de la Côte…
Mais quelle était donc cette créature étrange, sortie de nulle part… qui jetait les bébés encore vivants à l’océan de kribi…juste pour le spectacle, sous les yeux des parents glacés de douleur… puis pour essuyer leurs larmes, la Bête, l’Immonde Bête… Leur donnait Jésus-Christ… comme on donne un os à un petit chien: « Heureux les affligés ! Heureux êtes-vous si on commet contre vous toute sorte d’injustice, car le Royaume des Cieux est à vous ! »
Iwiya Kala Lobè écrira que Rudolf hurla dans sa cellule : « Arrière de moi Satan ! » aux prêtres pallotins et pasteurs allemands venus le convaincre de laisser tomber la révolte. Toute sa vie, il avait été un chrétien exemplaire, toute sa vie…. ! Il avait appuyé la construction des églises. Depuis petit, il avait été moulé dans l’éducation de la haute aristocratie allemande.
En tant que Prince, il avait grandi dans le palais du Reich lui-même. Son père Manga Ndumbè et son grand-père Ndumb’a Lobè lui avaient toujours répété que pour le bien du peuple, il ne fallait pas provoquer d’esclandre fatal. Il fallait assurer contre vents et marées, la paix et l’harmonie dans cette cohabitation imposée. Il le savait et il avait toujours été irréprochable.
Mais quelle paix et quelle harmonie à garantir quand cette créature dévorait son peuple comme le lion dévore les brebis ?! courber l’échine et ne rien dire, ! non ! il préférait mourir ! la veille Ngosso Din, son fidèle compagnon, lui avait suggéré de disparaitre… il connaissait bien ce rituel… plusieurs fois son oncle Lock Priso le lui avait montré, et cela lui avait servi dans sa marche clandestine à travers tout le pays pour rallier tous les rois… mais il ne pouvait pas faire disparaitre tout le pays avec lui d’un coup ! et il ne pouvait s’enfuir comme un lâche ! Non. Levant la tête cette nuit- là, vers le plafond dégoulinant d’eau, de rats et de cafards, et où aucune lumière ne passait, Rudolf tourna résolument le dos aux prélats et pasteurs.
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Par pitié Rudolf, pensez à votre si jeune femme et à vos enfants, quel serait leur sort sans vous… ? y avez-vous pensé ? signez cette lettre d’excuses au Reich que le Gouverneur a déjà pris le soin de rédiger pour vous ! reconnaissez votre acte de trahison envers l’empire allemand et implorez sa miséricorde ! au nom du Christ, signez ! signez et vivez !
Ma grand-mère raconte qu’à la phrase « implorez sa miséricorde ! » Rudolf tressaillit, et son visage se fit de marbre. Il ne se retourna pas.
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Mes Ancêtres m’attendent déjà. Je peux entrer leurs tam tam de joie, car à l’aube les Allemands me pendront et moi leur fils, je leur rendrai mon sang aussi pur que je l’ai reçu d’eux. N’est -ce pas vous qui nous enseignez que le Christ a dit qu’il n’y a pas de plus grand amour que de mourir pour ses brebis… ? sortez !
Il ne sera pas écrit que lui, Rudolf Dual’a Mang’a Ndumb’a Lob’a Beb’a Bèlè Ba Doo La Makongo avait fui. A 41 ans, il était assez vieux pour mourir.
« Ndé à ba ! yén éwékédi é wu ndé wèni ééé ?! Nyama yiii !» s’exclamait Mémé Makollo. Mais c’était qui ces gens ? dans quel moule avaient –ils été fabriqués… ? mais d’où sortaient-ils ? c’était donc ça être civilisés ?
Le Duala raconte qu’un jour une bête… une bête à la peau pâle apparut sur la Côte. Sortie de nulle part. Une bête affamée… affamée de pouvoir, de conquête… une bête batarde… sans identité…
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« Sè tô mot’a bénama à mun’am ! Ndé mulal’a mot’a bénama ! » enrageait Makollo en secouant les pans de son kaba…
Une bête qui tuait le fils du continent-mère pour se nourrir de son histoire, de son identité… une bête batarde qui faisait du fils aîné son esclave … qui emmenait avec elle les pires abominations sur la terre de Mbèdi, d’Ewalè et du grand Doo La Makongo…
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Ces gens là avaient un bateau spécial du nom de « Sodom », a ba tétè bam ! par mes ancêtres ! ne me demande même pas ce qu’ils y faisaient ! quand tu grandiras, tu comprendras toute seule, même si moi ta grand-mère je ne suis plus là ! bisô di si ta di bia nika ! a ba ! njika ébéyédi ni ééééé ?! ééééééé ! nous on ne connaissait pas cela ! mon Dieu ! c’était quoi ces « habitudes » ? mais d’où sortaient ces gens ?!
Mon cœur battait la chamade.
Mémé nous faisait des prunes à la poêle, des grosses prunes que tonton Vieux avait baptisées les « prunes-beurres ». Il n’avait pas son pareil pour choisir les prunes, à l’œil nu; il savait voir celles qui étaient acides, et il les rejettait. Maman et moi on n’a jamais su comment il faisait ça ; quand il ramenait des prunes, c’était la joie à Deido : « Vieux tu as ramené les prunes-beurres ! » s’exclamait alors de joie ma mère tandis que moi je dansais. Je dansais toujours à la vue de la nourriture… d’ailleurs je danse encore…
Mémé disait alors « o i mèn nù ? o sokwa jipè ééé ? wa mô da ndé ! o mèndè pô wémsè mba sôngo o jipè wa da séngi iiii schwaïn ! ». » Regardez-moi donc celle-là! N’apprends pas à cuisiner tu entends? Tu viendras me réveiller dans ma tombe pour cuisiner pour toi! ».
Tonton Vieux voulait se faire pardonner son infidélité avec Barbara Nkono, alors il toucha mon point sensible : la gourmandise, tout en me jurant mordicus de ne plus jamais de sa vie, regarder le journal de 20h quand c’est elle qui le présentait. Qu’il n’aimait que moi et moi seule et patati et patata. Bref, Il mentait comme un homme. Je revois Catherine ma mère, se tordre de rire… je compris plus tard, qu’il craignait simplement que je fracasse la télé…
-
Mama éééé! Mémé donc c’est à cause de tout ce que Rudolf voyait comme ça là qu’il était fâché jusqu’à abandonner ses enfants.. ?
-
Malinga mao ma ta nginya manyaka ! na tè a koma Jaman éboma ! Sa colère était si grande qu’il a maudit les Allemands avant de mourir ! Et sa malédiction s’est bel et bien accomplie.
-
Hein ?
-
Oui. Mais, parlons d’abord du Njokmassi… j’ai commencé un peu à te raconter l’appartheid, le njokmassi que tu entends là en faisait partie…
-
Le njokmassi c’était quoi Mémé ?
-
N’est-ce-pas comme l’esclavage avait été aboli, les gens là ne pouvaient plus continuer ça… ?
-
Huhum
-
Ils ont alors trouvé une autre forme d’esclavage parce que le njokmassi que tu entends là c’était l’esclavage !
-
Hein ?!
A l’aide de mercenaires Togolais, les Allemands emmenaient de force les hommes dans leurs bananeraies, palmeraies, plantations d’hévéa, et chantiers de chemin de fer. Les hommes y étaient trainés à la queue- leu-leu, corde au cou, et grosses chaines aux pieds. Ces chiens de chasse mercenaires étaient surnommés « headman ». Ils vous forçaient à sacrifier vos enfants au njokmassi. Ils servaient aussi de garde rapprochée aux chefs traditionnels que les Allemands installaient. C’étaient des traitres qui avaient facilité l’entrée des missionnaires, ils étaient ainsi récompensés en étant faits chefs traditionnels. Les Allemands étaient ainsi rassurés d’avoir la man mise sur la population et sur les ressources du pays. Mais pour plus d’assurance, les Allemands leur imposaient des gardes « headmen », ces mercenaires venus du Togo.
-
Tu te souviens du village Ndog-Hem noor ? je t’en ai parlé la dernière fois…
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Oui… là où les pasteurs allemands avaient fait « les bêtises » à la petite fille de Ngo Basusugo…
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Et tu te souviens qui avait emmené ces pasteurs à Ndog Hem contre la volonté des notables ?
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Hickong I Yap, le fils du chef.
-
Après la victoire écrasante des Allemands conduits par Hans Dominik, le traitre Hickong fut fait chef traditionnel, et il facilita l’installation des Missionnaires de Bâle en pays Bassa…
En ces temps-là, mon enfant, dans une même case, le père redoutait alors le fils et la mère craignait la fille. Tout était contre-nature ; tout mon enfant. Ces bêtes avaient détruit l’harmonie et les règles : avec eux, il n’y en avait qu’une seule : l’argent ou la servitude. Même l’air était toxique, même la terre était polluée. Ils avaient fait de nous des bêtes comme eux : trahir les siens ou mourir. Subitement, on avait peur de la mort ! a ba tétè bam ! Mais depuis quand avions nous peur de la mort ?! hein ?!
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Bato ba tôpô ndé tô njé ndé tatan ! nyana ba i bi miango m’ékombo ! les gens racontent des sornettes aujourd’hui parce qu’ils ignorent l’histoire de ce pays ! on n’a pas perdu cette guerre parce qu’on était faible !
-
Hein mémé ? ah bon ?
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Non non ! ils avaient pollué la terre. Cette guerre était plus spirituelle que physique ! tous les peuples étaient unis dans la résistance. Tous. Chez nous les Sawa, la grande réunion se faisait les nuits en plein fleuve sur les bancs de sable. Une communion mystique se faisait avec les Bamoun, les Bassa, les Bamiléké, les Peulhs etc. Rudolf arpentait le pays, dans le maquis, et des foyers de résistance visibles et mystiques se raffermissaient partout.
Il y avait un système de connexion mystique à une heure précise de la nuit. Les Blancs ne diront jamais comment des milliers d’entre eux sont morts. Ils ont tué Rudolf parce qu’ils ont compris qu’il était la tête mystique et que si on l’abattait tout l’arbre s’écroulait. Tous les peuples étaient soudés, et à part, quelques larbins, aucun roi ne trahissait l’autre. Rudolf avait réveillé un feu inébranlable. Comme il y avait de cela des siècles, pour bâtir le pays, chaque peuple avait apporté le secret de sa science et ils avaient tous juré de ne pas se trahir. Seule la mort devait les arrêter.
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Hein mémé ?
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Oui. Ils vous racontent des bêtises dans vos écoles. Ils ne diront jamais combien d’Allemands devenaient des fous errants dans les forêts Bamiléké quand ceux-ci déployaient leur science, combien d’Allemands sont morts foudroyés par des incendies étranges dans les forêts grâce à la science des Bassa, ou comment un beau matin en pays Batanga là-bas à Kribi, tout le peuple Batanga disparut mystérieusement à leurs yeux sous leurs coups de canon…. Les Batanga les voyaient mais eux ne les voyaient pas, ou combien de bateaux ont péri mystérieusement dans l’eau grâce au génie soudé de tous les peuples de l’eau. Ce n’était pas pacifique mon enfant : c’était une guerre sanglante.
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Hein ?!
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Les Bakoko, eux, étaient divisés en 02 groupes de guerriers principaux : les Yandon qui maitrisaient la science des eaux et les Yanjok qui eux, maitrisaient la terre ; ils étaient des guerriers farouches et impitoyables. L’un d’eux Tindè Mukutu, le chef de la résistance, tenait le tam-tam sacré, par lequel il déployait, quand il le jouait, la stratégie de résistance en pays Bakoko. Les larbins des Allemands, pour la plupart non-initiés, ne comprenaient pas le langage de ce tam-tam. Alors les Yanjok surprenaient toujours l’armée allemande et les tuaient par centaines. Au procès de Rudolf, le greffier traitre était un Bakoko, il s’appelait Esawa Yé Toto. Plus tard, les Allemands l’imposèrent comme chef. Les Bakoko le renièrent, et les matriarches Bakoko le maudirent lui et toute sa lignée.
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Hein ?! Yéééé! Mama Sara!!!!!
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Hum… à mun’am, mon enfant, ces gens-là ne vous raconteront jamais la vraie histoire. Ils n’ont pas gagné parce qu’ils étaient forts mais bien parce qu’ils étaient lâches ! ils droguaient, dévoraient, corrompaient, violaient, terrorisaient, divisaient pour mieux régner. C’étaient des bêtes assoiffées de sang.
Le chantier de Njokmassi se situait à Njok, en pays Bassa. C’était le plus grand foyer de maltraitance de tout le pays ; le plus grand. L’enfer sur terre. Les prisonniers venaient de partout, de Bafia, de Bamoun, etc. Les Béti, eux principalement, les Allemands en avaient fait leurs policiers, et ils les emmenaient partout avec eux.
Vous travaillez alors à construire leurs chemins de fer jusqu’à épuisement. Vous n’aviez droit qu’à un seul bol de riz ; si vous en réclamiez un 2e, le Blanc vous donnait 25 coups de fouet jusqu’au sang. Parfois on vous trainait, chaines aux pieds et au cou, dans d’autres chantiers à d’autres villes du pays, puis à la fin des chantiers, on vous ramenait comme des bœufs à Njokmassi.
Quand certains s’échappaient, on capturait alors leurs familles, et ils était bien obligés de revenir la mort dans l’âme. Et quand vous reveniez, on vous fouettait jusqu’à l’évanouissement et on vous enfermait dans une cage, et vous y restiez sans nourriture pendant une journée. Au Njokmassi, en fin de journée ou une fois par semaines, les missionnaires allemands venaient exhorter les pauvres indigènes à « tendre l’autre joue ».
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Un jour un homme, un Bassa appelé Ndoumba-Mback tua un des Allemands de garde au Njokmassi ce jour-là et il tua tous ses larbins : Mbee-Hiong, Bikund, Bindock et 03 autres personnes avant de se donner lui-même la mort. Njokmassi rendait fou ma fille. Au Njokmassi, quand il y avait moyen de tuer un Blanc, on le tuait sans hésiter. Je me souviens du Blanc qui s’appelait Clemaud Arthur quelque chose comme ça, na si bi pè…
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Il avait eu quoi Mémé ?
On raconte que ce jour-là, il avait emmené les indigènes travailler en forêt, couper les arbres pour pouvoir construire plus tard une ligne de chemin de fer. A un moment, devant un arbre, il voit un des indigènes s’arrêter et il se met à lui donner des coups de fouet en lui ordonnant de se remettre au travail. L’indigène refusa. Et le Clémaud Arthur se remit à le frapper sans même remarquer que les autres indigènes avaient reculé bien loin de l’arbre… excédé, on raconte qu’il s’approcha alors lui-même de l’arbre pour asséner le premier coup, quand une lourde branche fracassa sa tête et il mourut sur le champ.
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Hein ?
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Ces bêtes ne comprenaient pas que la Nature parle, ba si bi nika ! ils ne le savent pas ! nous on le sait depuis. Il y a des arbres auxquels on ne touche pas. Une autre fois, ils ont tué des centaines d’indigènes du Njokmassi à cause de l’hévéa…
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Hein ? comment ?
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Wèngè binyô lo si bi nika. Aujourd’hui, vous l’ignorez, mais il y avait dans ce pays un arbre en brousse surnommé « keskia »…
Il donnait continuellement de l’hévéa, bien avant même l’arrivée des Blancs. On ne l’agressait pas. On venait simplement à lui pour en prendre, et on lui disait merci. Il coulait continuellement sans qu’on ne fasse aucun effort.
Quand les maltraitances allemandes ont commencé, « keskia » a arrêté de couler. Il a tari.
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Les Allemands ont alors dit que c’était à cause de nos gris-gris démoniaques, que c’était nous qui avions lancé un sort à « keskia » pour les priver de son hévéa, que nous, on manquait de charité et d’amour du prochain, que nous étions des bêtes égoïstes et ingrates pour toute la civilisation qu’ils nous apportaient. Ils ont alors sélectionné une centaine d’esclaves du njokmassi qui était auparavant, des initiés de sociétés secrètes et leur ont donné l’ordre de ressusciter « keskia» sur le champ sinon ils tuaient leurs femmes et leurs enfants.
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Hein ?! wè mémé ! pourquoi les gens-là étaient même méchants avec nous comme ça ? hein ? On leur avait même fait quoi ?
Les prunes étaient cuites depuis longtemps. Elles étaient délicieuses. J’en avais déjà ingurgité trois et j’en voulais encore, c’était trop bon. Mémé sourit en coin, en garnissant des pains d’huile de palme. Parfois les soirs, elle nous faisait un repas frugal comme celui-ci, et même si personne n’avait faim, elle cuisinait toujours. C’était plus fort qu’elle. Tonton Vieux avait ramené du pain chaud… du bon pain chaud garni d’huile de palme, mais qu’est-ce que c’était bon… j’en ai envie là, tout d’un coup … ça va faire quoi trente ans ou plus que je n’en ai plus mangé ? purée… si vous n’avez jamais mangé du pain chaud (je précise, c’est important !) garni d’huile rouge (l’huile épaisse qui a dormi !) avec des prunes-beurres… mais mon Dieu, que faites-vous donc sur terre ???!
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Et ils ont ressuscité l’arbre alors Mémé ? fis-je gourmande en croquant dans mon pain et en piquant bien vite une 4e prune dans la poêle. Mémé ne put s’empêcher de pouffer de rire.
A Vieux ya nôngo sao éééééé nun munj’ango é bôlè mô nyèsè na bam ! Vieux viens vite prendre tes prunes, ta femme est en train de tout finir ici !
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Non. Ils n’ont rien dit.
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Comment ça Mémé ?
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On leur a donné cent coups de fouets jusqu’au sang, mais ils ne disaient pas un mot. Et leur regard était tellement empreint de mépris que les soldats Allemands furent pris de rage. Alors on a tué leurs familles sous leurs yeux. Plus les femmes criaient en pleurant et en expliquant que « keskia » n’aimait pas le mal et c’est pourquoi il avait tari, plus les Allemands enrageaient. Ils les ont tués, eux et leurs familles. « keskia » n’a plus jamais donné de l’hévéa depuis. A mun’am, mon enfant, sa qualité était divine, pas les bêtises d’hévéa qu’on a aujourd’hui.
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Et « keskia » est où maintenant mémé ?
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Je ne sais pas, na si bi, peut-être qu’il est tout à fait mort, ou peut-être qu’on l’a détruit pour construire les routes… les Allemands ont brûlé tous les arbres sacrés qui nous soignaient…
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Quoi ?
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Ils disaient qu’on était trop fécond, qu’on se reproduisait trop, et que les fièvres les tuaient et pas nous à cause de nos gris-gris. Leurs larbins ont trahi nos arbres qui soignaient toutes les maladies. Ils avaient compris que ces plantes avaient des dons non seulement curatifs, mais aussi mystiques… alors pour nous affaiblir dans cette guerre, ils ont brûlé des hectares et des hectares d’arbres et de plantes, craignant qu’on ne renforce notre force pour les vaincre.
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Mémé… donc on a tout perdu alors… ?
Mémé eut un sourire étrange… ce type de sourire qu’n vieux sage a face à la bêtise humaine.
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Ces gens-là n’ont pas compris une chose…
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Quoi Mémé… ?
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Que « tiki é si mala sôngô ». Ce que Dieu lui-même a consacré comme précieux, jamais ne va à la tombe…
La porte de sa cellule grinçailla en se refermant, sur les murmures las des prélats qui s’éloignaient, et il entendit alors son compagnon de toujours gronder dans le cachot d’à côté :
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Jéméa na tè na wèni é… ? La foi jusqu’où… ?
Rudolf sourit.
Ngosso Din avait toujours brûlé de zèle, même dans les pires moments. Il se demandait parfois qui entre eux d’eux, était réellement la force de l’autre… mais est-ce que cela en valait la peine… ? Ses enfants… sa femme… son cœur frémit… juste signer… c’était si facile… Ngosso et lui avaient peut –être encore une chance de s’en sortir…s’il parlait à Ngosso, ce dernier l’écouterait… il pouvait signer et ils reprendraient alors la lutte plus tard….
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Jéméa na tè na wèni ééé ?! La foi jusqu’où… ?! Ngosso Din était inquiét. Pourquoi Rudolf ne répondait-il pas…? s’il fléchissait, ils étaient perdus… Sa voix rugit alors plus fort dans cette bâtisse dégoûtante qui des siècles, plus tard, abriterait un commissariat ici à Bonanjo…
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A DUAL’A MANG’A NDUMB’A LOB’A BEB’A BELLE BA DOO LA MAKONGO ! JEMEA NA TE NA WENI ?!
Au son de sa généalogie, Rudolf sursauta et eut honte en lui-même. Son visage redevint de marbre. Ses Ancêtres l’attendaient. Il mourrait demain. Il ne fuirait pas.
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Jéméa na tè na kwédi… na tè na kwédi. La foi jusqu’à la mort… jusqu’à la mort.