Note de lecture du roman « Le secret de mon échec » de Kelly Yemdji

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J’apprécie très vite la verve de sa plume. Je lui trouve une charmante insolence, que je lui conseille vivement de garder. C’est ce toupet qui fait sourire, qui égaie le lecteur, et qui embellit vivement la jolie cacophonie du récit.
J’ai aimé cette cacophonie. Ce récurrent sauter du coq à l’âne, que j’invite vivement l’autrice à cultiver.
Une structure atypique : Les chapitres sont appelés Tableau (tableau1, tableau 2 etc.) comme des tableaux de peinture, devant lesquels on opère un à un, un arrêt sur image. Ce sont les mêmes personnages dans tous les tableaux. Exactement les mêmes. Mais les thématiques diffèrent au fur et à mesure du vernissage. Chaque tableau met en scène les personnages dans une thématique différente de celle du précédent tableau. J’ai aimé. J’aime tout ce qui sort des sentiers battus.
Autre aspect : le style est direct, sans fioritures. J’aime.
Insolent, cacophonique, direct, saut du coq à l’âne, engagé : Voici les caractéristiques de la plume de Kelly Yemdji, qui donnent à son texte une identité. Et cela, c’est très fort. L’identité d’une plume est un peu comme le timbre vocal unique d’un chanteur. Même les yeux fermés, sans voir le clip vidéo et sans connaitre la chanson, un Camerounais peut vous dire que c’est Ben Decca qui est en train de chanter ainsi à la radio. C’est ce que j’entends, en terme de littérature, par identité. Et cette toute jeune autrice, 22 ans, dans ce texte qui est ton premier livre, a déjà une identité.
Intrigue : Entre le système éducatif défaillant, le personnel enseignant à la dérive, les parents qui ont démissionné de leurs responsabilités, les familles déchirées, une jeunesse superficielle et abandonnée à elle- même etc. Kelly Yemdji dessine tout ce qui a conduit aurait causé l’échec scolaire de son héroïne.
Petites remarques :
Il est clair que Kelly Yemdji n’a pas de modèle en littérature. Et il est flagrant que c’est volontaire. Je veux dire par là, qu’elle n’a pas précisément un auteur en modèle ou en exemple dans son esprit. Son style se veut violemment libre… Et même libertin, sans s’encastrer dans des normes trop cartésiennes ou s’inspirer d’autres auteurs. Et j’aime cela.
Toutefois… Je vais sans doute sembler rabat-joie… Mais, je propose tout de même à l’autrice d’avoir un ou des modèles. Pour un début.  Il suffit simplement de lire sans se dédire. De humer l’odeur du repas sans en manger. De s’inspirer des autres simplement pour corser et raboter sa propre muse. Parce que trop de liberté, trop de cacophonie, trop de pléiades de thématiques pourraient perdre le lecteur… S’il l’on n’a pas encore la dextérité parfaite d’une Hemley Boum pour lier tous ces nœuds sur une même corde avec maestria.
Ce premier texte est audacieux dans sa structure et dans le style. J’ai beaucoup aimé cela. On dirait un pavé dans la mare.
Pour un début, l’avantage d’avoir une seule intrigue, une intrigue précise et unique tout le long du roman, serait pour l’auteur lui-même, de ne pas se perdre dans le fil de l’histoire, de pouvoir créer plus de tension. Cette tension qui fait battre le cœur du lecteur, et le pousse à tourner vite chaque page pour lire la suite… Une intrigue unique et précise, permettrait à un jeune auteur de mieux approfondir et corser les profils de chaque personnage, de mieux dessiner la trajectoire du récit, et surtout… De découvrir et apprendre à connaitre sa propre plume. La connaitre est vital, pour l’améliorer petit à petit. Il est sage d’apprendre à construire d’abord une maison simple, avant de construire un immeuble, plus complexe dans sa structure et la pléiade de matériaux qu’il exige…
Je propose humblement à Kelly Yemdji, de se concentrer sur une seule intrigue et une seule thématique précises dans son prochain texte. Pas une pléiade de thématiques. Non. Une seule, pour un début. Aussi, de s’exercer à créer de la tension dans le récit. Le souffle sans tension, c’est un peu comme courir sans motivation. Avec son imagination débordante, la libertine liberté de sa plume, et sa délicieuse cacophonie dans le style… Je peux me tromper… Mais je lui promets alors un roman magnifique, que le lecteur ne pourra pas déposer pendant quelques jours, pour vaquer d’abord à d’autres occupations.
Le souffle : cette enfant a incontestablement du souffle littéraire. Elle court avec vitesse et virulence sur 330 pages. Toutefois, toutes les pages ne seraient peut-être pas indispensables…
Mon avis :
J’ai beaucoup aimé ce livre que je vous conseille d’offrir comme cadeau de Noël.  Je l’avais comparé ici, si vous vous en souvenez, à ces films américains sur les teenagers à l’ambiance hyper drôle, jeune et cacophonique.
Kelly Yemdji jette un joli pavé dans la mare de la littérature camerounaise, et signe un texte audacieux, et très honnêtement, à applaudir pour un premier texte. Il est clair qu’elle est douée, et même très douée. Prétendre le contraire serait être de mauvaise foi manifeste.

Note de lecture du roman « Brigade 14 : L’affaire Cathy Nkeng » de Loïs Irène Nwaha

 

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Roman de 226 pages publié en 2020 aux éditions de Midi.
Le polar ou encore roman policier comporte beaucoup de sous-genres. Si Eve K-Rene que nous avons découverte avec son polar  » Femmes Fatales » fait du thriller ou encore roman à suspense, c’est à dire un roman policier où il y a du frisson et du suspense de bout en bout avec une épée de Damoclès sur la tête du héros-enquêteur, une machination qui se joue dans l’ombre etc.
Loïs Irène Nwaha, elle, fait du roman policier pur.
C’est-à-dire qu’ici, il n’y a pas de compte à rebours contre notre héros-enquêteur, le crime, lui, est déjà accompli. Il s’agit maintenant de retrouver le coupable.
Le polar ou roman policier a les caractéristiques ci-après:
■ La victime
■ Le coupable
■ Le mobile du crime ou l’intrigue
■ Une recherche METHODIQUE des preuves. La METHODE: on est ici dans la pure procédure policière, ou alors d’enquête, le héros pouvant être un officier de police ou un détective privé.
Et je le dis sans rougir: Loïs Irène Nwaha est excellente dans le roman policier. Je ne m’attendais pas à une telle maîtrise de l’enquête…j’ai lu et relu, cherchant les failles c’est-à-dire l’oubli d’expliquer une preuve, l’absence de lien entre les différents morceaux de puzzle car il y en a trop… et là était le danger… plus il y en a, mieux l’auteur se perd…plus on ouvre de fenêtres, plus on oublie d’en refermer… A ma 3e relecture, 03 choses étaient claires:
1) Aucune fenêtre n’était restée ouverte.
2) Loïs Irène avait passé des journées entières dans les bureaux de la police judiciaire de la ville de Kribi. Surement pendant des mois, elle avait vécu leur quotidien tant dans les bureaux que sur le terrain.
Et…
3) Et là je me souviens avoir eu un large sourire… Loïs Irène dévorait Agatha Christie!!!!!
Oh j’en mettrais ma main à couper…! Vous savez pourquoi…? Eh bien parce que je suis une mordue d’Agatha Christie. En classe de Première, je me suis payée au « poteau » toute sa collection…oui vous avez bien lu: TOUTE. Le mec du poteau me relookait avec l’air blasé d’un accro au crac …armée de mes énormes boutons d’acnée, mes binocles et ma tenue sur-shootée d’amidon, je ressemblais à une ado vachement aigrie…Je n’étais pas aigrie, je faisais simplement tapisserie lors des fêtes au collège, et mes premiers baisers à moi c’était avec les livres… ok c’est bon! j’étais aigrie…
Alors de quoi s’agit-il ici…? Cathy Nkeng, une ancienne Miss Cameroun, est brutalement assassinée dans sa chambre d’hotel, le soir même d’une prestigieuse cérémonie de la Jet-Set dont elle est l’une des étoiles phares.
Qui a tué Cathy Nkeng…? Oh la la!!! Décortiquer l’enquête était encore plus jouissif que le retour de flammes entre Ben Affleck et Jennifer Lopez!!! Mais qu’est-ce-que je raconte…? Bref…
Voici ce qui, pour moi, fait que ce roman mérite sa place sur votre lit ou si vous êtes toquée comme moi, dans votre trousse à maquillage:
( tous ces points ci-dessous sont de grosses similitudes avec Agatha Christie)
1) Loïs S’APPESANTIT sur les descriptions. Les descriptions des bâtiments, des paysages, des bureaux, des cadavres, des trajectoires etc.
Elle sait amener une scène et la planter, avec la lenteur et la minutie d’une grand-mère qui cuisine l’ékoki… on n’est pas pressé, on va pas à pas. Et c’est vital. Qui taxe de tels détails de superflu, ne maitrise pas ce que c’est qu’un pur roman policier. Quand Agatha Christie décrit le vallon ou encore la bibliothèque en 3 pages, elle n’est pas sénile: On est dans le roman policier donc dans le factuel, le toucher du doigt, le concret. Tout participe à la tension du récit. Tout. Un tabouret mal placé, la rue qui ne longe que sur 50 km, une vieille porte à l’arrière de la cuisine jamais réparée, le facteur qui ne vient que 2 fois par semestre, le chien pourtant jovial qu’on a dû emmener la veille chez le véto, la sueur sur le front de la ménagère, etc. Tout.
2) … Et là j’ai dit bravo… Chaque personnage a une histoire cachée. Chaque personnage voit son histoire décrite avec une minutie de grand-mère. On est dans une boîte à puzzle, et la grand-mère Loïs dénoue l’énigme en ouvrant des mini boîtes de pandore, sans jamais tout dévoiler d’un coup… comme Miss Marple, le personnage d’Agatha Christie. Chaque personnage autour de Cathy Nkeng a quelque chose à cacher.
3)… Cathy Nkeng elle-même porte la clé de l’énigme. Loïs Irène Nwaha aurait tout loupé dans ce roman si elle n’avait pas fait plein feu sur la victime. Nous relater à travers chaque personnage, un morceau précis du puzzle de la vie de Cathy Nkeng… du pur Agatha Christie.
4) La façon d’emmener les personnages. Comment vous l’expliquer…? C’est assez délicieux. Vous commencez par exemple un chapitre par  » Cynthia était toute nerveuse… » par exemple, alors même que depuis le début du récit, l’auteur n’a jamais mentionné une Cynthia… je me resservais du Martini blanc à ces moments là… top!
5) Les flashbacks dans les rendus et dépositions des proches de la victime. Vous pouvez avoir la fausse impression de répétition ou de redondance mais non, c’est cela tout le « sucre » d’une enquête policière. Chacun raconte selon ses peurs, ses propres secrets, son point de vue tant physique que psychique. Loïs Irène Nwaha a la patience de faire parler chaque personnage dans le plus petit détail. ET SURTOUT: La maîtrise dans l’accrochage parfait entre les multiples dépositions disparates!!! Alors là … j’ai cogné une ènième fois le véhicule clinquant neuf de mon voisin en me garant, c’était trop tentant!
Quatre choses sur lesquelles j’attire toutefois l’attention de l’auteure:
1) Un peu plus de tension dans la narration.
Ce serait très indiqué que l’auteure y travaille beaucoup. Par exemple, la toute première phrase du livre aurait pu être: « A la porte 30, elle frappa un moment. Aucune réponse ne lui parvint. » Phrase qui se trouve à la page 12, et qui porte déjà en elle, la tension de la découverte d’un morceau crucial de l’énigme.
Loïs Irène a déjà le fabuleux souci d’enquêter et de collecter la moindre information relative à son intrigue. Elle a aussi le souci, je dirais même l’obsession du détail. Elle a l’art de décrire, ainsi que la patience nécessaire pour narrer une enquête policière de bout en bout.
Toutefois, il lui manque encore cette tension et une bonne dynamique dans le récit, et aussi une grande légèreté dans la construction des phrases… cela peut n’avoir l’air de rien mais y parvenir n’est pas évident. Un travail plus approfondi sur son écriture comblera aisément tous ces manques.
2) Corser le personnage de l’enquêteur-héros.
 L’enquêtrice ici est assez pâlotte…il faut la singulariser tant physiquement que psychologiquement. Sa méthode d’enquête doit se démarquer de celle de tous ses collègues de la Police Judiciaire…bon, peut-être est-elle encore simplement à ses débuts dans le métier, et elle s’affinera encore mieux dans les enquêtes à venir. Mais dans ce premier texte, sa présence n’est pas forte, et partant, n’est même pas indispensable…
Aussi, son personnage est un peu trop obéissant à l’auteur… le contraire aurait rajouté du pep’s. Loïs Irène Nwaha devrait s’exercer à laisser son enquêteur se construire hors de son contrôle: ses textes prendraient alors une dimension autre. Hercule Poirot avait échappé au contrôle d’Agatha Christie. Elle avait même planifié sa mort, mais le mec était devenu immortel… et c’est cela le génie.
3) Veiller à donner aux personnages le même nom ou surnom de bout en bout… Quand on nomme un personnage  » Danielle » et que subitement, un peu plus loin on le surnomme  » Dania » … le lecteur se perd….
4) Aider le lecteur à se retrouver quand la présence de certains personnages est disparate, et non pas régulière.
Quand on mentionne un personnage, 1e ou 2 fois, le retrouver seulement 15 ou 20 pages après… on a du mal à se rappeller de qui il s’agit, surtout si le récit pillule de personnages dans une intrigue ou en tant que lecteur, on est déjà concentré à ne pas perdre le fil… Donc ce serait bien dans un tel contexte, de figer un petit qualificatif au nom du personnage genre  » Ben le bègue » etc.
Les détails 3) et 4)tout particulièrement, font partie du travail de relecture de l’éditeur… celui-ci par ailleurs, a laissé passé des « absences » d’accord grammaticaux, qui m’ont donné envie de lui passer un petit coup de fil… avant de me souvenir que mater Idris Elba sur Netflix me calmerait nettement mieux…
Lire ce roman a été une délicieuse surprise.  » Délicieux » est l’adjectif qui me revenait à chaque relecture.  » This girl is delicious reading » me suis-je dit en souriant à la 3e relecture, devant un pot tout neuf de crème multra hydratante, promettaient-ils cette fois ci…

Ma note de lecture de « Soleil noir : Petits poèmes pour l’éternel amant » d’Yvette Revellin, publié aux éditions Fondation AfricAvenir International

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« … Je viens de rêver que je tombais dans un puits, un puits sans fin… je tombais et ma chute n’avait pas de fin. Des cercles blancs se refermaient autour de moi… je tombais… je tombais… l’angoisse m’a réveillée et c’est là qu’elle est arrivée comme une voleuse, à pas de velours : l’absence… et les murs se sont mis à hurler : demain, il ne sera plus là… et les murs me menaçaient… et dans le noir de la nuit quelques mots brillaient : il ne sera plus là… l’absence a la couleur des ciels d’automne, gris, pesants, ces ciels qui ne semblent présager que de mauvaises nouvelles… nous avons souvent regardé le ciel ensemble ; mais c’était le ciel d’été, cet embrasement de couleurs qui nous faisait dire qu’il faut être peintre pour traduire la beauté d’un tel spectacle. Ce ciel-là a la couleur de notre amour. Il éclatait de joie, il éclatait de vie. L’absence n’a pas de couleur. L’absence a la couleur de la mort »
Il était une fois, une jeune Française qui fit la rencontre en mai 1968, d’un Prince venu du Cameroun. Une alchimie à la fois intellectuelle et spirituelle qui la marqua pour toute sa vie… « Je t’aime, Toi, Rivage inconnu, Rivage tant désiré, page à jamais inachevée, source de vie, source de mort ».
Yvette Revellin n’a aucune prétention d’être écrivaine et encore moins poétesse. Son écriture est dépouillée, mise à nuit, déshabillée de toute estime même d’écriture… et c’est cela qui séduit et désarçonne.
Yvette Revellin murmure; ce ne sont pas des crachats… aucune violence ici… ce sont des murmures intimes, intimistes… Yvette Revellin donc, murmure en ce que j’ai toujours baptisé des « jetés de textes », l’amour douloureux qui l’habite depuis 50 années. Cet amour qui l’a condamnée à ce qu’elle appelle « la grande vague noire », signifiant la solitude.
Elle fait beaucoup référence aux vagues, à la mer, la pluie, l’océan… pour imager peut-être la distance géographique entre les origines de son Prince et les siennes, pour imager aussi… surement… les obstacles que leur amour n’a pas su braver… pour imager aussi… précisément…la Côte, la culture endogène de son Prince. « Je crains de nous voir séparés un jour » lui dira-t-il sur un ton prémonitoire… mais Yvette était certaine que rien ne viendrait écorcher leur amour… leur amour trop solide… leur fusion intellectuelle puissante… du moins le croyait-elle… Mais le Prince avait une vue sur la Mer que la Française n’avait pas… il venait de l’Eau, alors Il en connaissait les abysses… Il savait. « Je crains… »
Ceci n’est pas un livre à lire avec la prétention de critiquer… « soleil noir » est un silence. Le silence d’une âme qui se sait habitée d’une solitude éternelle. Quand la Nuit frappe, on ne Lui hurle pas dessus, on n’exige pas alors le Soleil avec arrogance… on rentre dans sa case et on se couche. Silence. Il fait Nuit. Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit.
 » … Ponda éwô Bulu bwa pô tè, o si bèn nyông’a bwambo… ja nà pî. Mwésé mwâ tomba… Bulu bo mèndè kaïsè bwambo bwa mwésé…Bulu bo si tôndi bwambo… ja nà pî », disait ma grand-mère.
« … Parfois, la Nuit qui tombe n’a besoin d’aucune parole… fais silence. Le jour est déjà passé… la Nuit vient alors juger de chaque mot dit quand il faisait jour…la Nuit a horreur du bruit… fais silence. »
Quand la Nuit frappe, on ne Lui hurle pas dessus, on n’exige pas alors le Soleil avec arrogance… on rentre dans sa case et on se couche. Silence. Il fait Nuit. Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit.
Petite fille, j’étais toujours frappée par Mohamed Ali coincé dans un coin du ring, subissant les assauts de son adversaire. Les poings levés pour protéger son visage, il ne luttait pas. Je demandais à chaque fois à mon père : » papa, pourquoi il ne lutte pas? Pourquoi il laisse toujours qu’on le coince dans le ring? »… l’adversaire s’épuisait et insultait alors Ali, tout gonflé de sa domination… puis au bout d’un moment quand il n’en pouvait plus, à bout de souffle, c’est alors là qu’Ali lui décochait une droite qui le pulvérisait sur le ring. Ali renaissait à chaque fois tel un phoenix… tel cet amour apparemment battu par la Mer de la Vie, apparemment condamné, et broyé dans l’Oubli … mais qui ne cesse de hanter l’Univers tel le spectre d’un soleil jamais effacé. Jamais enterré.
Quand une âme pleure, on ne juge pas de l’objet de ses douleurs, on ne critique pas la syntaxe de ses cris, on ne dissèque pas la grammaire de ses grincements… on s’assoit près d’elle et on lui tient la main. Silence. Il fait Nuit. La Nuit qui est souvent présage d’un soleil d’éternité…
On se trompe très souvent en « surfacturant » de recherche « typée » de style, ou d’analyse pompeusement pédagogique, des textes qui veulent simplement virevolter dans le vent avant de s’effacer aussi discrètement qu’ils ont été écrits, tels des pas sur le sable de la mer…
Quand les oiseaux se cachent pour mourir… l’Antique Noblesse nous murmure alors de leur accorder en silence… la joie ô combien infime d’une dernière danse.
« … Tu as été et resteras, le rivage inconnu, le rivage que je n’ai jamais atteint et pourtant… d’aucuns pourraient trouver étrange ou pathétique de clamer dans le vide un amour sans écho et pourtant…pourtant cinquante ans que cet amour m’habite, il habite mes jours, il habite mes nuits, il tourmente mon sommeil et éclaire mes jours, il m’étouffe et me donne le souffle vital, il est tempête et havre de paix, il est mon soleil noir et ma lumière… surtout ne pas perdre le fil de la merveille… »